Jurisprudence
Dessins et modèles

Étendue des droits patrimoniaux cédés dans le cadre d’un contrat de prestation de services - Contrefaçon de droits d’auteur par une adaptation non autorisée de dessins

PIBD 1169-III-8
CA Paris, 7 septembre 2021

Titularité des droits d’auteur sur les dessins - 1) Présomption de la qualité d’auteur - Divulgation sous son nom - 2) Cession des droits patrimoniaux - Interprétation du contrat de prestation de services

Protection au titre du droit d’auteur (oui) - Originalité - Combinaison d’éléments - Effort de création - Empreinte de la personnalité

Contrefaçon de droits d’auteur (oui) - Reproduction des caractéristiques protégeables - Adaptation - Atteinte au droit moral

Concurrence déloyale et parasitaire (oui) - Fait distinct des actes de contrefaçon - Usage du nom du créateur - Début d’exploitation des produits litigieux - Risque de confusion - Volonté de profiter de la notoriété d’autrui

Texte

Le demandeur à l’action en contrefaçon justifie de sa qualité d’auteur des œuvres qu’il revendique et de la date certaine de leur divulgation. Si certains dessins qu’il produit ne sont pas signés, il établit sans équivoque qu'ils ont été divulgués sous son nom. En outre, la société défenderesse n’explique pas en quoi les publications sur le réseau social Instagram au nom du créateur ne constitueraient pas la preuve de cette divulgation ou de leur date certaine, certaines divulgations étant au surplus corroborées par leur exposition sur le domaine public, leur commercialisation ou des publications dans la presse.

La société défenderesse ne justifie pas, pour sa part, être bénéficiaire d’une cession des droits de l’auteur sur les œuvres en cause. En effet, les parties avaient conclu un contrat de prestation de services, aux termes duquel la société avait confié la direction artistique de ses collections de vêtements et d’accessoires au demandeur. Si elle peut de ce fait revendiquer des droits de propriété intellectuelle sur les œuvres créées avant l’expiration du contrat, dans le cadre des « activités » de directeur artistique, elle ne peut, en revanche, en revendiquer sur les créations effectuées dans le cadre des « activités dérogatoires » telles que définies au contrat (édition, arts graphiques, design d’immeuble …). En tout état de cause, la société n’est pas autorisée à modifier l’apparence des créations réalisées pour elle avant la date d’expiration du contrat, ni à reproduire ou adapter celles réalisées après. En l’espèce, certains des dessins revendiqués ont été réalisés après la fin du contrat ou relèvent du domaine des activités dérogatoires.

Le créateur met en avant plusieurs éléments (visage et haut du corps de personnages réalisés d'un trait au feutre noir, cou allongé de forme simple, arête du nez se prolongeant au niveau du sourcil afin de faire ressortir des cœurs rouges au niveau des pommettes et des ailes au niveau du cou, personnages revêtus d'un pull marinière avec des rayures horizontales inachevées et aléatoires, emploi des couleurs jaune, rouge et bleu, environnement très caractéristique d'étoiles et de cœurs reproduit comme un leitmotiv) dont la combinaison est originale. Si la notion d’univers poétique n’est pas protégeable en tant que telle, la combinaison de l’ensemble de ces éléments contribue à créer un univers singulier et personnel, propre à l’artiste, permettant d’identifier immédiatement et sans conteste ses créations. Par ailleurs, si les œuvres revendiquées reprennent des dessins de personnages naïfs avec des aplats de couleurs primaires présents dans les œuvres d’autres artistes, elles s'en démarquent de manière nette, aucune ne présentant la combinaison arbitraire décrite par le créateur.

L’adaptation non autorisée de ces dessins pour illustrer des tablettes de chocolat, dans le cadre d’un partenariat entre la société défenderesse et une société tierce, constitue une contrefaçon. Les dessins litigieux reproduisent en les adaptant, la combinaison originale et arbitraire de plusieurs éléments protégés. La ressemblance est aggravée par l'ajout d'étoiles bleues, de cœurs rouges et des messages manuscrits propres au travail du créateur.

La concurrence déloyale est caractérisée. Si les tablettes de chocolat litigieuses n’ont jamais été commercialisées, la société poursuivie a toutefois diffusé, dans le cadre d’une campagne de presse, les dessins qu’elle a faussement attribués au créateur. Ainsi, le fait de faire croire que ce dernier en serait l’auteur et qu'il aurait accepté de s'associer au lancement de la vente des produits qui en sont revêtus, alors que lui-même, dans le cadre de ses activités personnelles, a développé des partenariats avec des marques, crée un risque de confusion dans l'esprit du public et de ses partenaires. Ce faisant, elle a également commis des actes de parasitisme en tentant de tirer profit du travail et du renom du créateur, à titre lucratif et de façon injustifiée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 7 septembre 2021, 19/13325 (D20210050)[1]
PMJC SAS c. Jean-Charles C

(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 6 juin 2019, 18/05712)

[1] Parallèlement à son action en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale, objet de l’arrêt ci-dessus publié, le créateur a présenté devant l’INPI, en son nom propre ou via une société dont il est le président, plusieurs actions en déchéance de marques dont la société défenderesse est titulaire. L’une de ces décisions a fait l’objet d’une publication au PIBD (Décision INPI, 9 avr. 2021, DC 20-0022, DC20200022 ; PIBD 2021,1168, III-7). Le créateur a également introduit une action en nullité d’une marque de l’UE appartenant à cette société, en cours devant l’EUIPO.