Demandes en déchéance et en nullité de la marque antérieure - Compétence du juge de la mise en état (non) - Défenses au fond
Fins de non-recevoir opposées à l'action en nullité de la marque - Questions de fond - 1°) Défaut de caractère distinctif de la marque antérieure - Compétence du juge de la mise en état (non) - Opposition du demandeur - 2°) Défaut d’usage sérieux - Compétence du JME (oui)
Action en nullité de la marque - Recevabilité (oui) - Usage sérieux de la marque antérieure - Preuve - Exploitation sur le territoire français - Nature des services - Structure du marché
Dans le cadre de l'action en nullité de la marque LA BIENNALE PARIS, le juge de la mise en état ne peut pas prononcer la nullité de la marque antérieure invoquée BIENNALE DE PARIS pour défaut de caractère distinctif ou la déchéance des droits sur celle-ci, ces demandes constituant des défenses au fond[1]. Il peut uniquement statuer sur la recevabilité de l'action en nullité en appréciant la validité de la marque antérieure ou les preuves d'usage produites afin de déterminer si cette marque n'est pas susceptible d'encourir la nullité ou si son titulaire n'encourt pas la déchéance de ses droits pour défaut d'exploitation.
Les deux fins de non-recevoir invoquées, qui ont été introduites dans le Code de la propriété intellectuelle par l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, nécessitent que soit tranchée au préalable une question de fond. Or, concernant le défaut de caractère distinctif, l’association qui est titulaire de la marque BIENNALE DE PARIS a contesté la compétence du juge de la mise en état pour connaître de la nullité de sa marque soulevée par son adversaire, exprimant ainsi clairement son opposition à ce que ce juge tranche cette question. Dès lors, celui-ci n’est pas compétent pour statuer sur cette fin de non-recevoir et l’affaire doit être renvoyée, sur ce point, devant la formation de jugement du tribunal.
En revanche, s’agissant du défaut d’usage sérieux, il ne résulte pas de l'ordonnance critiquée que la demanderesse a clairement exprimé son opposition à ce que le juge de la mise en état, statuant sur la fin de non-recevoir soulevée par son adversaire, tranche cette question. Le juge doit donc examiner les preuves d’usage de la marque BIENNALE DE PARIS, en tenant compte du secteur concerné et de la nature des services désignés (diffusion d'informations relatives à l'art, à la création artistique, à la créativité ; organisation d'événements artistiques entre chaque biennale appelés inter-biennales de Paris), lesquels, en l'espèce, s'adressent à un public restreint.
Il ressort des éléments versés par l'association, dont l’objet consiste à initier des échanges à dimension internationale dans le domaine artistique, que celle-ci organise sous l'appellation « Biennale de Paris » des événements dans différentes parties du monde, notamment en Pologne, au Liban, aux États-Unis et au Guatemala. Le fait que ces événements soient organisés à l'étranger n'exclut pas l'usage de la marque en France pour diffuser des informations relatives à la création artistique et désigner les événements « délocalisés » s'y rapportant. La demanderesse fournit donc la preuve suffisante de l'exploitation de sa marque, sans qu'aucune confusion ne soit opérée entre les services visés au dépôt et l'activité de l'association. La fin de non-recevoir tirée du défaut d'exploitation de la marque antérieure BIENNALE DE PARIS, qui est opposée en défense à l'action en nullité de la marque LA BIENNALE PARIS, sera dès lors rejetée.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 8 avril 2022, 21/12841 (M20220125)[2]
Syndicat national des antiquaires, négociants en objets d'art, tableaux anciens et modernes (SNA) c. association Biennale de Paris
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 2e sect., ord. juge de la mise en état, 25 juin 2021, 20/06953)
[1] Voir également dans le cadre d’une action en contrefaçon : TGI Paris, 3e ch., 3e sect., ord. JME, 11 mai 2021, E. Rémy Martin & Co SAS c. Disco SAS, 20/03355 (Legifrance).
[2] Sur les nouvelles fins de non-recevoir opposables aux demandes en nullité ou en contrefaçon d’une marque française, qui ont été introduites dans le Code de la propriété intellectuelle (articles L. 716-2-3, L. 716-2-4, L. 716-4-3 et L. 716-4-5) par l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, voir également : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 10 juin 2022, Simon Marie Pierre B et al. c. L'Oréal SA, 21/19296 (M20220186 ; PIBD 2022, 1189, III-4) ; TJ Paris, 3e ch., 3e sect., ord. JME, 22 févr. 2022, E. Rémy Martin & Co SAS c. Sire Spirits LLC et al., 21/3340 (M20220222) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 11 janv. 2022, Parisot Industrie SASU c. Aphorism Factory SASU, 21/09668 (M20220198 ; PIBD 2022, 1187, III-4). Voir aussi lorsque de telles fins de non-recevoir sont invoquées dans le cadre d'une action en contrefaçon d'une marque de l'Union européenne : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 10 juin 2022 (v. supra) ; TJ Paris, 3e ch., 3e sect., ord. JME, 22 févr. 2022 (v. supra) ; TJ Paris, 3e ch., 3e sect., ord. JME, 8 févr. 2022, Cuts Ice Ltd c. Espace Phone SARL, 20/12226 (M20220168 ; PIBD 2022, 1187, III-6).