Recevabilité des actions en contrefaçon et en nullité (non) - Forclusion par tolérance - Point de départ du délai - Connaissance de l’usage de la marque postérieure - Publication au BOPI de la demande d’enregistrement - Droit de l’UE
Déchéance partielle de la marque verbale (oui) - Usage sérieux - Usage pour un service différent
Contrefaçon des marques verbales et semi-figurative (non) - Exploitation des signes contestés pour des produits et services différents
Atteinte aux marques de renommée (non) - Différence visuelle, phonétique et intellectuelle - Risque de lien entre les marques de renommée et les signes contestés - Services et activités différents - Public pertinent - Professionnels
Atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et au nom de domaine (non) - Usurpation - Risque de confusion - Activités différentes - Signes différents - Volonté de tirer profit de la notoriété d’autrui
L’action en contrefaçon des marques verbales et semi-figurative FREE et l’action en nullité de la marque semi-figurative postérieure free-sbe sont irrecevables, la société demanderesse ayant toléré l’usage de cette marque pendant plus de cinq ans. Le point de départ du délai quinquennal de forclusion est, à la lumière de la jurisprudence de l’Union européenne[1], la date à laquelle le titulaire de la marque antérieure acquiert la connaissance de l'usage de la marque postérieure et a la possibilité de ne pas le tolérer et de s'y opposer, et non la date de l'enregistrement de la marque postérieure. En l’espèce, la société demanderesse se trouvait en mesure d'avoir connaissance de la demande d'enregistrement de la marque free-sbe dès le jour de sa publication au BOPI[2]. Cette formalité a en effet pour objectif de porter la marque à la connaissance des tiers et de permettre au titulaire d’une marque antérieure, dans les deux mois de la publication, de former opposition à la demande d’enregistrement de la marque postérieure. La société demanderesse dispose également d'un système de surveillance lui signalant tout dépôt de marque contenant le vocable « free » et engage systématiquement des actions à l'encontre de quiconque tenterait de se l'approprier. En outre, la société poursuivie a fait usage de la marque free-sbe en la faisant figurer sur les pages de son site internet, ce qui n'a pu échapper à la société demanderesse.
La contrefaçon des marques verbales et semi-figurative FREE par la dénomination sociale et le nom commercial free-sbe, ainsi que le nom de domaine free-sbe.com, n’est pas caractérisée, dès lors que les services de courtage, audit, conseil et centrale d’achat pour les PME, exploités par la société poursuivie, sont différents des produits et services désignés par les marques invoquées, relatifs à la téléphonie, l’informatique et les télécommunications.
L’atteinte à la renommée des marques FREE n’est pas plus démontrée. Visuellement, l’élément figuratif de la marque semi-figurative, constitué de la représentation stylisée d'un homme-oiseau est très dissemblable de la figure purement géométrique de couleurs rouge et noire qui compose la marque semi-figurative free-sbe, située en attaque du signe et accrochant d'emblée l'attention. Dans cette marque, le terme « free » n’est pas dominant. Sur le plan conceptuel, l'élément figuratif, formant un carré lui-même composé de seize petits carrés, n'évoque pas un clavier de téléphone ou d'ordinateur, de nature à susciter un rapprochement avec les services visés par les marques de renommée. Par ailleurs, si l'élément verbal « free » de ces dernières est aisément perçu par un large public comme en rapport avec la notion de liberté, d'autant que la marque semi-figurative est notamment composée du slogan explicite « la liberté n'a pas de prix », l'expression « free-sbe » ne conduit pas, de manière évidente, à effectuer un lien entre la marque free-sbe et la notion de liberté. Enfin, le terme « sbe » n'est pas nécessairement appréhendé comme un sigle, mais peut être perçu comme issu, à l'instar du terme « free », de la langue anglaise, ce qui lui confère au sein de l'expression « free-sbe » un caractère distinctif propre.
Par ailleurs, les services concernés sont différents, à l'exception de certains services (publicité, abonnement à des services de télécommunication …) qui sont communs à la marque contestée et à l’une des marques verbales invoquées ainsi qu’à la marque semi-figurative. Cependant, ces services ne représentent qu'une partie minime des services couverts par la marque contestée. En outre, ils s’adressent exclusivement à des entreprises. Le public de professionnels concerné par les services de la société poursuivie ne sera pas enclin à effectuer un lien entre les marques en conflit, d'autant que la société demanderesse propose ses produits et services de télécommunications, téléphonie et internet à un très large public de consommateurs, sans cibler spécifiquement les entreprises. Les résultats obtenus par les moteurs de recherche sur des requêtes contenant le terme « free » ne recensent pas le site internet de la société poursuivie, dont la page d'accueil, qui présente un tableau de l'ensemble de ses partenaires, ne mentionne pas les marques invoquées. Le public concerné ne sera donc pas fondé à croire que la marque contestée désigne des services fournis par la société demanderesse ou en partenariat avec celle-ci. En outre, l'activité exercée par la société poursuivie sous la dénomination sociale et le nom commercial free-sbe et à travers le site internet free-sbe.com est également différente, par sa nature et par son objet, des services proposés par la société demanderesse sous les marques FREE, et n'est pas destinée au même public. L'atteinte à la renommée des marques par l'usage de ces signes n'est donc pas davantage établie.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 14 janvier 2022, 20/05019 (M20220015)
Free SAS c. Free-sbe SAS et Rodolphe T
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 31 janv. 2020, 18/05243)
[1] CJUE, 1re ch., 22 sept. 2011, Budejovicky Budvar, C-482/09 (M20110539) ; TUE, 6e ch., 28 juin 2012, Antonio B c. I Marchi Italiani Srl, T‑134/09.
[2] Il a été précédemment jugé que la connaissance de l’usage de la marque postérieure, qui constitue le point de départ du délai quinquennal de forclusion, ne pouvait pas être établie par la publication de la demande d’enregistrement au BOPI (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 17 nov. 2017, Commerce Rechange Automobiles SASU c. Cora SASU, 16/20736 ; M20170472 ; PIBD 2018, 1087, III-94 : « Dans les deux cas c'est la connaissance de l'usage de la marque qui doit avoir été toléré durant 5 années pour entraîner la forclusion de l'action en nullité ou l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon. Dès lors, le point de départ de ces délais ne peuvent être ceux de la publication de la demande d'enregistrement de la marque, ni même de son octroi mais doit être apprécié, au cas d'espèce, par la connaissance de l'usage effectif de la marque seconde. » ; Cass.com., 15 juin 2010, Sporazur Morris Sportswear SA c. Free SA et al., 08-18279 ; M20100350 ; PIBD 2010, 924, III-582 : « Mais attendu que la simple publication de l’enregistrement de la marque seconde au Bulletin officiel de la propriété industrielle ne constitue pas un acte propre à caractériser la tolérance en connaissance de cause par le propriétaire de la marque première de l’usage de la marque seconde ».)