Contrefaçon de brevet - Réparation du préjudice économique subi par le titulaire (oui) - Droit de l’UE - Exploitation indirecte du brevet - Bénéfices tirés des actes incriminés
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne[1] que la directive 2004/48/CE vise à atteindre un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, qui tient compte des spécificités de chaque cas et qui est basé sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités, dont le choix relève de la partie lésée.
L'existence d'un préjudice économique résultant de la contrefaçon n'est pas subordonnée à la condition que le titulaire du brevet se livre personnellement à son exploitation. En l'espèce, la société demanderesse exploitait le brevet jugé contrefait par l'intermédiaire de sociétés auxquelles elle avait consenti des licences gratuites, ces sociétés ayant été déclarées irrecevables à intervenir à l'instance en l’absence d’inscription des contrats de licence au RNB. Elle est fondée, au visa de l'article L. 615-7 du CPI - dans sa version antérieure à la loi du 11 mars 2014 -, à se prévaloir de la réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon, en faisant valoir les bénéfices réalisés par les contrefacteurs, qui doivent, dès lors, être pris en considération pour fixer les dommages-intérêts.
En l’espèce, il est tenu compte du chiffre d’affaires réalisé par les défendeurs et du taux de marge moyen, sans qu’il y ait lieu de déduire les coûts fixes pour la prise en considération des bénéfices du contrefacteur, en ce qu’ils auraient été de toute façon encourus même en l'absence de contrefaçon.
Les dispositions de l'article L. 615-7 du CPI exigent la prise en compte par le juge des bénéfices réalisés par le contrefacteur, sans ordonner leur confiscation et leur allocation au profit de la partie lésée. En effet, une part de ces bénéfices peut résulter non de la contrefaçon, mais des efforts propres du contrefacteur. Le brevet contrefait protège notamment un procédé portant sur la fabrication de l'élément chauffant d'un appareil de chauffage. Si le procédé est utilisé pour fabriquer un élément important des appareils contrefaisants, son utilisation n'est pas annoncée aux consommateurs sur les emballages, ni sur aucun autre mode de promotion. Il ne constitue donc pas un élément déterminant du choix des consommateurs, dont l'achat sera conditionné par les autres éléments mis en avant sur l'emballage, ne présentant aucun lien avec le brevet litigieux. Il s’ensuit que les bénéfices réalisés doivent être pondérés à hauteur de 25% environ.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 11 mai 2021, 19/07127 (B20210032)[2]
Carrera SARL et Texas de France SAS c. Muller & Cie SA
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 14 janv. 2016, 14/17385, B20160017 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 2e ch., 9 déc. 2016, 16/02891, B20160174, PIBD 2017, 1067, III-170, Propr. industr., mai 2017, p. 35, note de J. Raynard ; Cass. com., 23 janv. 2019, R 16-28.322 et A 17-14.673, B20190005, PIBD 2019, 1112, III-120, avec une note de S. Lepoutre et C. Martin, L'Essentiel, avr. 2019, p. 5, note de F. Herpe ; Propr. industr., mai 2019, p. 2, note de P. Vigand et J. Raynard ; Propr. industr., mai 2019, p. 25, note de P. Tréfigny ; RTD com, janv.-mars 2019, p. 88, note de J-C. Galloux, ; Europe, août-sept. 2019, p. 10, note de L. Leblonc ; Propr. industr., oct. 2019, p. 25, note de J. Larrieu ; Propr. industr., janv.2020, p. 31, note de J. Raynard)
[1]Voir notammentCJUE, 5e ch., 17 mars 2016, Christian L c. Producciones Mandarina SL et al., C-99/15 (P20160043 ; Comm. com. électr., sept. 2016, p. 26, note de C. Caron).
[2]Sur la question du choix du mode de réparation du préjudice par le titulaire d’un brevet contrefait, voir notamment un arrêt récent de la Cour suprême : Cass. com, 17 mars 2021, Time Sport International SAS c. Décathlon France SAS et al., B 17-28.221 et Y 18-19.206 ; B20210020 ; PIBD 2021, 1159, III-1.