Jurisprudence
Brevets

Interdiction provisoire de commercialisation d’un médicament générique argué de contrefaçon - Contestation sérieuse relative à l’activité inventive du brevet

PIBD 1168-III-1
CA Paris, 15 juin 2021

Demande de mesures provisoires - Droit de l'UE - 1) Rappel des produits argués de contrefaçon - Compétence du juge des référés (oui) - 2) Recevabilité du distributeur (oui) - Action conjointe aux côtés du titulaire du brevet

Interdiction provisoire (non) - Rappel des circuits commerciaux (non) - Caractère vraisemblable de la contrefaçon du brevet - Caractère sérieux de l'action au fond - Contestation sérieuse - Validité du brevet - Médicament - Activité inventive - Dosage - Proportionnalité des mesures provisoires

Texte
Brevet EP n° 1 753 434 de la société Allergan
Texte

Il résulte de l'article L. 615-3 du CPI relatif aux mesures provisoires, interprété à la lumière de l’article 9 1. b) de la directive n° 2004/48/CE, que le juge des référés, après avoir apprécié la proportionnalité des mesures sollicitées au regard des atteintes alléguées, peut ordonner le rappel des produits argués de contrefaçon et leur retrait des circuits commerciaux, en ce compris les produits vendus à des tiers. Par conséquence, l’exception d'incompétence est rejetée.

En application des articles L. 615-2 et L. 615-3 du CPI, interprétés à la lumière de la directive susvisée, la société qui distribue en France le médicament Lumigan 0,1 mg/ml mettant en œuvre le brevet, avec l’accord de la société titulaire des droits, est recevable à demander des mesures provisoires conjointement avec cette dernière.

Les demandes d’interdiction provisoire de commercialisation des médicaments génériques et de rappel des circuits commerciaux sont rejetées. Le brevet européen en cause porte sur une solution ophtalmique constituée d’un ingrédient actif (le bimatoprost) et notamment d’un conservateur (le chlorure de benzalkonium, dit BAK). L'atteinte alléguée aux droits sur ce brevet n'est pas caractérisée de façon vraisemblable en raison de l’existence d’une contestation sérieuse relative à sa validité.

En effet, la société demanderesse était titulaire d’un brevet européen antérieur portant sur un collyre contenant les mêmes composants dans des dosages différents, mis en œuvre par le médicament Lumigan 0,3 mg/ml. L'homme du métier (en l’espèce, une équipe constituée d’un ophtalmologue spécialisé dans le traitement du glaucome et d’un formulateur expérimenté), partant de l’art antérieur le plus proche constitué de ce médicament et cherchant à améliorer sa formulation en maintenant son efficacité tout en réduisant les effets secondaires, n'était pas dissuadé, en dépit des incertitudes qui caractérisent les expériences en matière de dosage d'un médicament, de réduire la concentration de bimatoprost aux fins de limiter les effets indésirables.

En outre, il savait grâce à ses connaissances personnelles à la date de priorité du brevet, que le BAK était présent dans la grande majorité des produits ophtalmiques traitant la même pathologie présents sur le marché, dont le Lumigan 0,3 mg/ml, et que certains des collyres étaient conservés dans des doses supérieures à celle de ce médicament, ce qui atteste de la bonne tolérance de ce conservateur pour les patients.

Par ailleurs, l'homme du métier qui connaissait les effets du BAK en termes d’activateur de pénétration du principe actif dans la cornée, qui constatait que la concentration du bimatoprost dans le Lumigan 0,3 mg/ml était élevée par comparaison à d'autres produits analogues et que la concentration du BAK y était au contraire bien plus faible, n'était pas dissuadé d'ajuster les doses respectives de ces composants par de simples essais de routine méritant d'être explorés aux fins de tenter de réduire l’irritation oculaire et de maintenir l'efficacité du composé.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 15 juin 2021, 20/12617 (B20210045, Propr. industr., sept. 2021, comm. 46 par E. Py)
Allergan Inc. et Allergan France SAS c. Mylan SAS
(Confirmation TJ Paris, ord. réf., 17 juill. 2020, 20/53265)