Jurisprudence
Brevets

Interdiction provisoire de commercialisation d’un médicament générique pour le traitement du diabète - Absence de contestation sérieuse sur la validité du CCP portant sur une combinaison de principes actifs

PIBD 1222-III-2
CA Paris, 12 janvier 2024

CCP pour un médicament - Interdiction provisoire (oui) - Caractère vraisemblable de la contrefaçon - Contestation sérieuse - Validité du CCP - Produit - Combinaison de principes actifs - Protection par le brevet de base - Pluralité de CCP - Validité du brevet de base - Activité inventive - Effet thérapeutique

Texte

La demande d’interdiction provisoire, présentée par le titulaire du CCP (033) ayant pour objet la combinaison de phosphate monohydraté de sitagliptine et de chlorydrate de metformine, afin d’empêcher la commercialisation de spécialités génériques, est accueillie. La mise sur le marché, par les sociétés défenderesses, de ces médicaments pour le traitement du diabète, pour lesquels deux AMM ont été obtenues, constitue une contrefaçon vraisemblable du CCP invoqué.

La contestation élevée par ces sociétés quant à la validité du CCP, sur le fondement de l'article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009 et au regard notamment de la décision Teva/Gilead[1] de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), n’est pas suffisamment sérieuse. La combinaison de sitagliptine et de metformine constitue bien un « produit protégé par le brevet de base », au sens de cet article.

Ce brevet couvre notamment de nouveaux antidiabétiques tétrahydrotriazolopyrazine ß- amino-substitués, auxquels appartient la sitagliptine ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celle-ci. . Le produit sitagliptine, qui a permis, seul, la délivrance d’un autre CCP (041) dont la validité n'est pas contestée, est expressément visé dans plusieurs revendications du brevet de base. S’agissant du « produit » constitué par la sitagliptine ou ses sels pharmaceutiquement acceptable en combinaison avec le composé metformine, la revendication 25 vise un composé selon l'une quelconque des revendications 1 à 15 ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celui-ci, lequel peut être la sitagliptine, et un deuxième composé choisi dans un groupe, qui peut consister en un anticorps de l’insuline tel qu’un biguanide. La partie descriptive du brevet énonce que la metformine est le composé préféré de la classe des biguanides. Elle est d'ailleurs le seul composé de l'art antérieur identifié comme communément prescrit pour le traitement du diabète de type 2. La revendication 25 couvre ainsi clairement la combinaison de sitagliptine et de metformine. Cette combinaison est en outre expressément visée par la revendication 30 du brevet.

Le test en deux étapes, tel que préconisé par les arrêts Teva/Gilead et Royalty Pharma[2] de la CJUE afin de déterminer si le produit est protégé par un brevet de base, au sens de l'article 3, a), du règlement (CE) n°469/2009, n'apparaît pas nécessaire en l'espèce. Selon ces arrêts, ce test doit être utilisé lorsque le produit n'est pas explicitement mentionné dans les revendications du brevet de base. Il en résulte que la CJUE n'impose pas que la combinaison revendiquée figure dans une seule revendication citant expressément tous les composés de la combinaison. Par ailleurs, ces arrêts visent des hypothèses où l'un des principes actifs de la combinaison n'est pas désigné par son nom chimique ou sa structure, contrairement au cas d’espèce.

Dès lors, l'homme du métier, un pharmacologue spécialisé dans le traitement de l'hyperglycémie, pourra identifier la combinaison, objet du CCP litigieux, tant par les revendications du brevet que par sa partie descriptive, qui révèlent la combinaison des deux principes actifs précités.

La contestation quant à la validité du CCP fondée sur l'article 3 c) du règlement (CE) n°469/2009, aux termes duquel un CCP est délivré si « le produit n'a pas déjà fait l'objet d'un certificat », n'apparaît pas non plus suffisamment sérieuse. Sur la base du brevet en cause, une première demande de CCP (041) portant sur le produit sitagliptine, seul, a été déposée, puis, un an plus tard, une seconde demande (CCP 033) pour la combinaison de sitagliptine et de metformine. Le texte précité, qui est clair et n’appelle pas d’interprétation, vise un « certificat », et non des demandes déposées ou en cours d'examen, et dès lors un CCP délivré. Le CCP (033), qui a été délivré avant le CCP (041), ne peut ainsi être annulé du fait de la demande de CCP antérieure.

Enfin, la contestation de la validité du CCP litigieux reposant sur la nullité du brevet de base n'apparaît pas non plus suffisamment sérieuse. Les sociétés défenderesses soutiennent, pour contester l'activité inventive, que l'effet thérapeutique de la sitagliptine ne serait ni démontré par le brevet, ni même plausible. Ainsi, il s'agit d'une critique portant sur la sitagliptine elle-même, non sur la combinaison de produits, objet du CCP, et sur la validité de la revendication 1 du brevet. Or, la partie descriptive du brevet décrit de manière détaillée le protocole de tests qui a été mis en œuvre pour mettre en évidence l'activité inhibitrice des composés revendiqués. Les sociétés défenderesse, auxquelles il appartient de prouver l'absence d'effet thérapeutique qu'elles reprochent à l'invention et de justifier par des moyens sérieux que le brevet est manifestement nul, ne démontrent aucunement en quoi l'homme du métier serait amené à croire que les tests n'auraient pas été effectués ou qu'ils n'auraient pas abouti aux résultats décrits.

CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 janvier 2024, 22/16673 (B20240001)
Mylan Ireland Ltd et Viatris Santé SASU c. Merck Sharp & Dohme LLC et MSD France SAS
(Confirmation TJ Paris,
ord. réf., 20 sept. 2022, 22/55128 ; B20220099)

[1] CJUE, gr. ch., 25 juill. 2018, Teva UK Ltd, C-121/17  (B20180064 ; PIBD 2018, 1100, III-528 ; LEPI, 9, oct. 2018, p. 5, P. Langlais ; Europe, oct. 2018, p. 54, L. Idot ; Propr. industr., nov. 2018, p. 23, F. Macrez et E. Py ; D IP/IT, janv. 2019, p. 47, E. Enderlin ; Propr. industr., mars 2019, p. 55, M. Gabriel ; Propr. industr., juill.-août 2019, p. 22, H. Gaumont-Prat).

[2] CJUE, 4e ch., 30 avr. 2020, Royalty Pharma Collection Trust, C-650/17 (B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, L. Idot) : « D'une part, le produit doit nécessairement relever, pour l'homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l'invention couverte par ce brevet. D'autre part, l'homme du métier doit être en mesure d'identifier ce produit de façon spécifique à la lumière de l'ensemble des éléments divulgués par ledit brevet, et sur la base de l'état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du même brevet » (point 37).