Jurisprudence
Brevets

Demande d’un CCP pour un médicament contre le cancer - Identification du principe actif défini de manière fonctionnelle dans le brevet de base

PIBD 1222-III-1
Cass. com., 31 janv. 2024

Demande de CCP pour un médicament - Procédure devant l’INPI - Recours en annulation - Éléments de preuve - Protection du produit par le brevet de base - Définition fonctionnelle - Produit spécifiquement identifiable - Activité inventive autonome

Texte

La demande de CCP portant sur l’avelumab, qui a été présentée pour une spécialité pharmaceutique destinée au traitement du cancer par immunothérapie, a été rejetée au motif qu'elle ne satisfaisait pas aux conditions de l'article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009. Le brevet européen de base invoqué porte sur la découverte de nouvelles molécules, les protéines B7-4 (appelées PD-L1), qui sont utiles pour moduler la réponse immunitaire. Les revendications 17 et 27 couvrent les anticorps susceptibles de se lier avec ces protéines.

Dans son arrêt Royalty Pharma Collection Trust[1], la Cour de justice de l'Union européenne a précisé les conditions requises pour qu’un produit qui répond à une définition fonctionnelle générale employée par l'une des revendications du brevet de base et qui relève nécessairement de l'invention, sans pour autant être individualisé en tant que mode concret de réalisation, soit considéré comme protégé par le brevet de base au sens de l’article 3, a) du règlement (CE) n° 469/2009. Il faut que le produit soit spécifiquement identifiable, à la lumière de l'ensemble des éléments divulgués par le brevet, par l'homme du métier, sur la base de ses connaissances générales dans le domaine considéré et de l'état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet. La Cour a ajouté qu’un produit n'est pas protégé par le brevet de base lorsque, bien que relevant de la définition fonctionnelle donnée dans les revendications, il a été développé après la date de dépôt de la demande du brevet, au terme d'une activité inventive autonome. Ainsi, l'objet du CCP doit être compris dans les limites de ce que la personne du métier est objectivement en mesure, à la date du dépôt ou de priorité du brevet de base, de déduire directement et sans équivoque du fascicule de ce brevet tel qu'il a été déposé.

Lors de la procédure devant l’INPI, le demandeur à un CCP doit démontrer que les conditions énoncées à l'article 3 du règlement (CE) n° 469/2009 sont réunies. Il incombe au directeur général de l’INPI, s'il entend rejeter la demande de CCP, de faire connaître en temps utile au demandeur les éléments pertinents sur lesquels il appuie sa décision, afin de permettre à ce dernier de rapporter des éléments complémentaires en cours d'instruction de la demande. En effet, la cour d'appel, saisie d'un recours en annulation d’une décision du directeur général de l’INPI, se place dans les conditions qui étaient celles existant au moment où la décision a été prise et ne peut pas prendre en compte les pièces nouvelles produites devant elle[2], dans la mesure où ce recours n'a pas d'effet dévolutif.

Par l’arrêt attaqué, la cour d’appel a annulé la décision de rejet de l’INPI. En premier lieu, elle a retenu que le principe actif objet du CCP, l’avelumab, qui est un anticorps monoclonal humain se liant à l'antigène PD-L1, relevait de la définition fonctionnelle contenue dans les revendications 17 et 27 du brevet de base en cause, de sorte qu'il était implicitement mais nécessairement visé par ce brevet. Elle a constaté que le brevet mentionnait des méthodes pour la génération et l'identification d'un anticorps dirigé contre un antigène donné. Se référant aux directives de l’OEB et à une décision de cet office, elle a retenu que, lorsque l'antigène ciblé est déjà connu, la découverte d'un anticorps se liant avec lui ne procède d'aucune activité inventive, dès lors que les méthodes précitées constituent des techniques de routine pour la personne du métier à la date de priorité. Elle a ainsi fait ressortir que la découverte d'un nouvel anticorps qui se lie à un antigène connu n'implique pas nécessairement d'activité inventive autonome. Elle a pu en déduire que l'avelumab était spécifiquement identifiable, à la lumière des enseignements du brevet, par la personne du métier, par des essais de routine connus et maîtrisés, et que ce produit relevait en conséquence de l'objet de la protection du brevet au sens de l'article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009.

En second lieu, la cour d’appel a relevé que le fait que la société licenciée du brevet de base ait déposé un brevet américain concernant des anticorps anti PD-L1, couvrant notamment l'avelumab, ne suffisait pas à démontrer que ce produit avait été développé au terme d'une activité inventive autonome. Elle a retenu que la durée des recherches ayant conduit la licenciée à découvrir l'avelumab, soit trois années, ne suffisait pas non plus à rapporter la preuve d'une activité inventive.

C'est donc, notamment sans opérer de confusion avec l'activité inventive, que la cour d'appel a estimé qu'en l'état des éléments de preuve et de fait échangés au cours de l'examen de la demande de CCP, l’INPI ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, que l'avelumab avait été développé au terme d'une activité inventive autonome.

Cour de cassation, ch. com., 31 janvier 2024, 22-18.374 (B20240003)[3]
INPI c. Dana-Farber Cancer Institute Inc.
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 mai 2022, 21/08514 ; B20220048 ; PIBD 2022, 1186, III-1)

[1] CJUE, 4e ch., 30 avr. 2020, C-650/17 (B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, L. Idot).

[2] V. Cass.com., 1er févr. 2023, Ono Pharmaceutical Co. Ltd et al. c. INPI, 21-13.663, 21-13.664 (B20230009 ; B20230010 ; PIBD 2023, 1201, III-1 ; Propr. industr., avr. 2023, p. 19, P. Schmitt) ; en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque : Cass.com., 24 mai 2011, Compagnie hôtelière et fermière d'Eugénie-Les-Bains Michel Guérard SAS c. INPI et al., 10-16.429 (M20110327 ; PIBD 2011, 946, III-562).

[3] Sur la base du même brevet européen, la société Dana-Farber Cancer Institute avait demandé, le même jour, la délivrance d’un autre CCP pour l'anticorps atezolizumab, lequel avait, comme l’avelumab, fait explicitement l’objet d’un brevet quelques années après la date de dépôt ou de priorité du brevet de base. Cette demande a également été rejetée, mais la deuxième chambre du pôle 5 de la cour d’appel de Paris, contrairement à la chambre statuant dans la présente affaire, a rejeté le recours formé contre la décision de l’INPI (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, Dana-Farber Cancer Institute Inc. c. INPI, 21/17890 ; B20230026 ; PIBD 2023, 1207, III-2, avec une note).