Jurisprudence
Brevets

Rejet d’une demande de CCP pour un médicament contre le cancer - Principe actif non spécifiquement identifiable dans le brevet de base

PIBD 1207-III-2
CA Paris, 26 mai 2023

Procédure - Rejet d'une demande de CCP - Recours en annulation contre décision INPI - Rejet des pièces nouvelles

Demande de CCP pour un médicament - Protection du produit par le brevet de base (non) - Identification du principe actif - Définition fonctionnelle - Interprétation des revendications - Droit de l’UE - Activité inventive autonome - Décisions et directives OEB

Texte

La demande de certificat complémentaire de protection (CCP) pour le produit atezolizumab a été, à bon droit, rejetée, ce principe actif n’étant pas protégé par le brevet de base au sens de l’article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne. Cette demande faisait référence à une autorisation de mise sur le marché (AMM) octroyée pour la spécialité pharmaceutique Tecentriq, destinée au traitement de certains cancers, et avait été présentée sur la base d’un brevet européen intitulé « nouvelles molécules B7-4 et leurs utilisations », revendiquant la priorité d’un brevet américain en date du 23 août 1999.

Ainsi, d’après l’arrêt Royalty Pharma[1], pour déterminer si un produit est protégé par le brevet de base, il convient de vérifier, lorsque ce produit n'est pas explicitement mentionné dans les revendications, s’il est nécessairement et spécifiquement visé dans l'une de ces revendications. À cette fin, deux conditions cumulatives doivent être remplies. D'une part, le produit doit nécessairement relever, pour l'homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l'invention couverte pas le brevet. D'autre part, l'homme du métier doit être en mesure d'identifier ce produit de façon spécifique à la lumière de l'ensemble des éléments divulgués par le brevet, et sur la base de l'état de la technique à la date de dépôt ou de priorité.

Afin de déterminer si la seconde de ces conditions est satisfaite, la Cour de justice préconise de rechercher si l’objet du CCP est compris dans les limites de ce que l'homme du métier est objectivement en mesure, à la date de dépôt ou de priorité, de déduire directement et sans équivoque du fascicule du brevet tel qu'il a été déposé, en se fondant sur ses connaissances générales dans le domaine considéré et à la lumière de l'état de la technique, à cette date. Il s'ensuit qu'un produit faisant l'objet d'un CCP ou d'une demande de CCP qui a été développé, après la date de dépôt ou de priorité du brevet de base, au terme d'une activité inventive autonome, ne saurait être considéré comme relevant de la protection conférée par ce brevet.

En l’espèce, les revendications 17, 21 et 27 du brevet de base portent sur des anticorps anti-PD-L1 ainsi que sur leur utilisation dans la modulation d'une réponse immunitaire chez un sujet. L'atezolizumab est un anticorps monoclonal humanisé, anti PD-L1, de type IgG1 à Fc modifié, produit dans des cellules d'ovaire de hamster chinois par la technique d'ADN recombinant. Il ne résulte ni des revendications du brevet, ni de sa description à la lumière de laquelle, ainsi que le prescrivent l'article 69 de la CBE et son protocole interprétatif, doivent être interprétées les revendications, que ce principe actif serait spécifiquement visé par le brevet.

En effet, si l'atezolizumab, anticorps se liant à un polypeptide B7-4 de la SEQ ID n° 2 ou 4 (PD-L1), relève bien de la définition fonctionnelle couverte par le brevet de base, il n'est pas démontré que l'homme du métier se trouvait en mesure, à la date de dépôt ou de priorité, d'identifier ce produit de façon spécifique, au vu des enseignements du brevet, et sur la base de l'état de la technique à cette date.

Le brevet de base porte sur la découverte d'un antigène et décrit la protéine B7-4 (PD-L1) comme une protéine impliquée dans la prolifération des cellules T et la modulation des réponses immunitaires. Mais, il ne donne aucune indication sur l'anticorps se liant à l'antigène, alors que de très nombreux anticorps peuvent se lier à un même antigène et que l'atezolizumab possède des caractéristiques différentes de celles d'autres anticorps ayant la même fonction. L'identification d'un anticorps qui pourra faire l'objet d'un médicament susceptible de donner lieu à une AMM nécessite de nombreux tests pharmacologiques.

Si le brevet mentionne bien des protocoles génériques permettant de fabriquer des anticorps, il vise à la fois les anticorps chimériques et les anticorps humanisés, et n'enseigne pas à l'homme du métier la direction dans laquelle il doit orienter ses recherches. Deux techniques pour générer des anticorps murins ou humains sont exposées dans le brevet, celle du phage display et celle des hybridomes, qui apparaissent maîtrisées à la date de priorité. Cependant, il ne peut en être déduit que l'atezolizumab était spécifiquement identifiable par l'homme du métier, alors que des travaux de recherche sont nécessaires pour parvenir aux anticorps monoclonaux humanisés anti PD-L1 ou anti B7-4.

En effet, s'agissant de la première technique, une fois la bibliothèque de phage display créée, d'autres étapes sont nécessaires, telles que le criblage des clones, leur quantification, leur maturation aux fins de stabilisation, leur culture, purification et sélection, afin de conserver ceux qui permettent d'inhiber la voie des PD1-PDL1. Il faut enfin procéder à des expériences in vivo pour conserver ceux qui ont la capacité d'exercer un effet thérapeutique attendu. Ces étapes ne sont nullement décrites dans le brevet et il n'est pas démontré qu'il s'agit pour l'homme du métier d'une simple opération de routine.

La seconde technique permet l'isolement et la sélection des hybridomes contenant des anticorps se liant à B7-4. Mais elle n'expose pas la technique de caractérisation d'un anticorps murin ou humain qui nécessite d'autres étapes fastidieuses d'identification et de sélection, d'isolement et de purification. Il ne s’agit pas d’une simple opération de routine comme pourrait l’être une simple purification d'une molécule chimique.

Il ne peut être soutenu utilement que l'absence de description explicite, dans le brevet de base, de ces différentes étapes s'explique par le fait qu'il s'agit de méthodes de biologie moléculaire usuelles qui font partie des connaissances générales de l'homme du métier. Les décisions de l'OEB, citées à ce titre par le requérant, se rapportent à la production et la sélection d’hybridomes, qui relèvent de techniques de routine courantes mais qui ne sont qu’une étape dans la fabrication d'un anticorps humanisé. 

Quant aux directives de l’OEB de 2021, relatives à l’activité inventive, elles sont inopérantes en l’espèce en ce que, d’une part, elles sont postérieures à la date de priorité du brevet de base invoqué et que, d’autre part, elles visent la découverte d'un nouvel anticorps se liant à un antigène connu alors que d'autres anticorps se liant à cet antigène sont déjà connus.

En revanche, le brevet européen portant sur l'identification de l'atezolizumab, qui a été déposé par une société tierce plus de neuf ans après la date de priorité du brevet de base invoqué, et le brevet américain correspondant peuvent constituer un indice de la complexité des recherches à effectuer pour aboutir à cet anticorps humanisé et de l’activité inventive autonome au terme de laquelle il a été développé. Le fait que ces brevets visent le brevet de base et utilisent les techniques du phage display ou des hybridomes pour développer l'atezolizumab est indifférent à cet égard. À supposer que le brevet européen a été invalidé par la chambre des recours de l'OEB pour défaut d'activité inventive, ce fait ne démontre pas plus que l’anticorps était spécifiquement identifiable dans le brevet de base à sa date de priorité.

Refuser, en l’espèce, l’octroi d’un CCP pour l’atezolizumab n’est pas contraire à l'objectif du règlement (CE) n° 469/2009, qui est d’encourager la recherche et de permettre un amortissement des investissements réalisés. Le requérant, dont le brevet de base ne vise pas un produit entendu au sens strict de substance active, mais un antigène, a pu exploiter son brevet en accordant des licences à des laboratoires pharmaceutiques qui ont ensuite entrepris les recherches et consenti les investissements ayant permis le développement de substances actives, dont l’atezolizumab, pour lesquelles des brevets ont été délivrés et des AMM octroyées.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, 21/17890 (B20230026)[2]
Dana-Farber Cancer Institute Inc. c. INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 13 juil. 2021, 17C1045)

[1] CJUE, 4e ch., 30 avr. 2020, Royalty Pharma Collection Trust, C-650/17 (B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, L. Idot).

[2] L’institut de recherche américain Dana-Farber, requérant dans la présente affaire, avait demandé le même jour, sur la base du même brevet EP 1 210 424, la délivrance d’un autre CCP pour l’anticorps avelumab. La demande reposait sur une AMM octroyée à la société Merck Serono Europe, licenciée du brevet, qui avait déposé, plus de douze ans après la date de priorité revendiquée par celui-ci, un brevet américain couvrant expressément l’avelumab. Cette demande de CCP a été rejetée par le directeur général de l’INPI, comme celle qui portait sur l’atezolizumab, au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions de l'article 3, a), du règlement n°469/2009. Mais contrairement à la présente affaire, la décision de rejet de la demande de CCP a été annulée par une autre chambre de la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 mai 2022, 21/08514 ; B20220048 ; PIBD 2022, 1207, III-2). Un pourvoi en cassation est en cours. Ces affaires peuvent être rapprochées de trois autres affaires similaires touchant le domaine des médicaments pour le traitement du cancer, dans lesquelles le principe actif visé par chacune des demandes de CCP en cause relevait de la définition fonctionnelle employée par les revendications du brevet de base invoqué et avait fait expressément l’objet d’un brevet, plusieurs années après le dépôt du brevet de base.Toutes les demandes de CCP ont été rejetées au motif, notamment, que le principe actif n’était pas protégé par le brevet de base. Aucun recours formé devant la cour d’appel de Paris n’a été couronné de succès (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 9 févr. 2021, Wyeth LLC et al c. INPI, 19-19410, B20210011, PIBD 2021, 1158, III-2 ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 janv. 2021, Ono Pharmaceutical Co. Ltd et al c. INPI, 18/10540, B20210003, PIBD 2021, 1154, III-1, note de V. Landais ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 janv. 2021, Ono Pharmaceutical Co. Ltd et al c. INPI, 18/10522, B20210007). La Cour de cassation s’est prononcée le même jour sur les pourvois. Si elle a rejeté celui formé dans l’affaire Wyeth (Cass. com., 1er févr. 2023, 21-17.773, B20230008, PIBD 2023, 1201, III-2), elle a sanctionné les juges du fond dans les deux affaires Ono Pharmaceutical qui concernaient, chacune, une demande de CCP pour un anticorps monoclonal anti-PD-1, se référant au même brevet de base (Cass. com., 1er févr. 2023, 21-13.664, B20230010, PIBD 2023, 1201, III-1 ; Cass. com., 1er févr. 2023, 21-13.663, B20230009, Propr. industr., avr. 2023, p. 19, note de P. Schmitt). La Cour a considéré que les arrêts attaqués n'étaient pas suffisamment motivés. Pour retenir que les principes actifs en cause n’étaient pas spécifiquement identifiables par l’homme du métier à partir de ses connaissances et de l'état de la technique à la date du dépôt du brevet, les juges du fond s’étaient notamment appuyés sur une nouvelle pièce produite par l'INPI devant la cour d'appel – un article scientifique sur les processus de production des anticorps –, laquelle aurait dû être écartée.