Doctrine et analyses
Compte rendu

La Cour d'appel de la JUB se prononce sur la transparence : un arrêt de principe en demi-teinte

PIBD 1226-II-1

d’après l’article de Adam Houldsworth : Landmark UPC appeal judgment has mixed implications for transparency, in IAM, 11 avril 2024

Texte

La cour d’appel de la Juridiction unifiée du brevet a rendu un arrêt très attendu sur l’accès du public au registre. Cet arrêt, que l’auteur qualifie de nuancé, est d’un grand intérêt pour les avocats, les entreprises et les journalistes.

La cour d’appel a procédé à l’interprétation de la règle 262, paragraphe 1 du Règlement de procédure selon laquelle « les mémoires et preuves déposés auprès de la Juridiction et inscrits au registre sont accessibles au public sur demande motivée au greffe »  par décision du juge-rapporteur après consultation des parties.

La Cour a dû définir ce qui constitue une « demande motivée » en tenant compte des intérêts divergents conformément à l’article 45 de l’accord sur la JUB1.

Dans le cadre de l’action en contrefaçon opposant Ocado à Autostore, M. S. a demandé à avoir accès au mémoire en demande au motif qu’il lui semblait intéressant de voir comment le mémoire était rédigé et parce qu’il considérait que l’accès à cette information relevait de l’intérêt général.

En première instance, les arguments de M. S. ont été acceptés par la division régionale nordique et balte (UPC_ CFI_11/2023) qui a jugé que les mémoires et preuves devaient être accessibles au public à moins que la Juridiction n’ait des raisons précises de les rendre confidentiels, dans l’intérêt des parties ou dans l’intérêt général. La division régionale s’est fondée sur une ordonnance rendue en 2023 selon laquelle la règle 262 devait être interprétée en ce sens que seule une « explication crédible » était requise pour motiver une demande d’accès aux informations. Ocado a interjeté appel de cette décision.

La position de la division centrale de Munich a été tout autre. À deux reprises (UPC_CFI_1/2023 et UPC_CFI_75/2023), la division centrale a refusé l’accès aux informations qui avaient été demandées « à des fins d’enseignement et de formation » et a exigé un « motif concret, vérifiable et légitime ». La division centrale de Paris (UPC_CFI_263/2023) a elle aussi refusé l’accès à un tiers, mais la décision portait sur une interprétation restrictive du type de documents qui pouvaient être accessibles.

La cour d’appel a dégagé le principe suivant : « le registre est public et les débats sont ouverts au public sauf si l’équilibre des intérêts exige qu’ils soient rendus confidentiels ». La Cour a reconnu au public un intérêt à avoir accès aux mémoires et preuves pour une meilleure compréhension des arrêts. L’auteur relève que la cour d’appel interprète de façon large la notion de « demande motivée ».

Cependant, la cour d’appel précise que l’intérêt du public pour ce genre d’informations survient une fois la décision rendue ou, en cas de transaction, une fois les débats terminés. D’autre part, les intérêts mentionnés à l’article 45 de l’accord sur la JUB comprennent l’intérêt général de la justice dont fait partie, selon la cour d’appel, « l’intégrité de la procédure juridictionnelle ». Ceci implique que les parties fassent valoir leurs arguments sans influence ni interférence extérieures.

L’intérêt général du public pour ces documents ne peut donc exister qu’une fois la décision rendue ou à la fin des débats. Cependant, pendant la procédure, les documents ne doivent être échangés qu’entre les parties ayant « un intérêt direct et légitime » dans l’objet de la procédure. Cela peut être le cas, par exemple, d’une procédure portant sur la validité d’un brevet appartenant à un concurrent ou à un licencié, ou sur un produit identique ou similaire à un produit commercialisé.

Dans l’affaire Ocado c. Autostore, l’ordonnance avait été rendue après transaction entre les parties sur la contrefaçon, la cour d’appel a considéré que l’équilibre des intérêts voulait que l’on accorde l’accès aux documents à M. S. La cour d’appel a rejeté l’argument d’Ocado selon lequel l’accès devait être accordé après que la décision a été rendue mais pas en cas de transaction entre les parties.

Bien que l’accès aux documents de M. S. ait été confirmé par la cour d’appel, le raisonnement de la Cour laisse penser que la demande d’accès aurait été rejetée s’il n’avait pas été mis fin au litige ou si une décision n’avait pas été rendue. M. S. avait tenté de faire valoir que l’accès devait toujours être accordé, à n’importe quelle étape de la procédure. L’auteur fait remarquer que la position de la cour d’appel sur ce sujet est très différente de celles des juridictions britanniques et américaines.

Un autre point traité dans cet arrêt concerne la composition de la cour. En effet, la cour statuant dans l’affaire Ocado/M. S. n’était composée que de trois juges qualifiés sur le plan juridique. Or, l’article 9, paragraphe 1 de l’accord sur la JUB dispose qu’elle doit être également composée de deux juges qualifiés sur le plan technique. La cour d’appel a confirmé ce que trois ordonnances rendues en 2023 avait établi, à savoir que les trois juges qualifiés sur le plan juridique pouvaient suffire dans certains cas.

1Art 45 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet : « Les débats de la Juridiction sont publics sauf si elle décide, dans la mesure où cela est nécessaire, de les rendre confidentiels dans l’intérêt d’une des parties ou d’autres personnes concernées, ou dans l’intérêt général de la justice ou de l’ordre public ».

Texte

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