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Le nouveau régime différencié de protection des marques renommées et des marques notoires en France : quelques éléments de comparaison à l’international

PIBD 1142-IV-2
Par Céline Boisseau
Texte

Par Céline Boisseau, chargée de missions relations internationales à l'INPI

La transposition en droit français de la directive (UE) 2015/2435 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques vient bouleverser au sein du Code de la propriété intellectuelle un certain nombre de dispositions relatives à la contrefaçon.

En la matière, l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, entrée en vigueur le
11 décembre suivant, entraîne une évolution particulièrement notable s’agissant des atteintes portées aux marques de renommée, dès lors que celles-ci sont désormais sanctionnées au titre d’une action en contrefaçon.

Pour mesurer l’ampleur de cette évolution, il convient de rappeler que l’article
L. 713- 5 du CPI, dans sa rédaction telle qu’issue de l’ordonnance n°2008-1301 du 11 décembre 2008, prévoyait, dans un premier alinéa, que
la reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engageait la responsabilité civile de son auteur si elle était de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constituait une exploitation injustifiée de cette dernière.

Ainsi, en dehors de leur spécialité, les marques renommées étaient auparavant protégées par une action en responsabilité civile, soit une action spécifique non fondée sur le droit exclusif conféré par la marque.

Il en va tout autrement du nouvel article L. 716-4 du CPI, lequel vient explicitement inclure dans le champ de la contrefaçon la violation des dispositions de l’article L. 713-3 du CPI, précisant qu’ « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque jouissant d'une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice ».

La renommée permet en effet d’étendre au-delà de la spécialité la protection conférée par le dépôt de la marque. L’atteinte à une marque jouissant d’une renommée est ainsi sanctionnée au titre de la contrefaçon et non plus sur le terrain de la responsabilité civile comme cela était le cas jusqu’à présent en droit français.

Toutefois, si l’action en contrefaçon d’une marque de renommée permet de dépasser le principe de spécialité, elle reste spécifique car nécessitera la démonstration que l’usage du signe dans la vie des affaires « tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice ».

Par ailleurs, au titre des nouvelles dispositions, les articles L. 713-3-1 et suivants du CPI  viennent lister l’ensemble des actes ou usages matérialisant les atteintes relevant aussi bien du droit commun des marques, qu’au droit spécialement consacré à la marque de renommée.

Incontestablement, en faisant basculer la protection des marques renommées dans le champ de la contrefaçon en rattachant celle-ci au droit exclusif inhérent à la marque, de nombreuses conséquences en découlent, aussi bien d’un point de vue procédural, qu’au niveau des sanctions applicables.

En termes de procédure, l’action en contrefaçon d’une marque renommée peut être engagée dans les conditions du droit commun des marques. À titre d’exemple, les fins de non-recevoir applicables aux actions en contrefaçon, tout comme les mesures accessoires telles que notamment les saisies-contrefaçon, les retenues douanières ou les mesures provisoires peuvent maintenant être envisagées. Enfin, autre corollaire, la marque renommée peut également bénéficier d’une protection pénale.

Si la nature du régime de protection des marques renommées dans les États membres de l’Union est aujourd’hui harmonisée, la question se pose naturellement de la protection de ces marques dans d’autres pays.

Au plan international, de multiples législations ont mis en œuvre les obligations découlant de l’article 16.3. de l'accord sur les ADPIC, qui prévoit que « L'article 6bis de la Convention de Paris (1967) s'appliquera, mutatis mutandis, aux produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels une marque de fabrique ou de commerce est enregistrée, à condition que l'usage de cette marque pour ces produits ou services indique un lien entre ces produits ou services et le titulaire de la marque enregistrée et à condition que cet usage risque de nuire aux intérêts du titulaire de la marque enregistrée ».

Aux États-Unis, la comparaison semble intéressante, en ce sens que le titulaire d'une marque notoire peut intenter une action en contrefaçon de marque devant un tribunal fédéral américain en vertu de la section 43(a) de la loi Laham.

Il revient alors au tribunal fédéral américain de déterminer s'il existe un risque de confusion en statuant sur la contrefaçon.

La jurisprudence américaine identifie une série de facteurs non exhaustifs susceptibles d’être utilisés dans la reconnaissance de l’existence d’un risque de confusion. Ces facteurs incluent notamment la similitude des marques, le lien ou la proximité des produits et/ou services, la force de la marque du demandeur, y compris le niveau de reconnaissance commerciale, les canaux de commercialisation utilisés, y compris la similitude ou la dissimilitude entre les consommateurs des produits et/ou services des parties, le degré de soin susceptible d'être exercé par les acheteurs dans le choix des produits et/ou services, l'intention du défendeur dans le choix de sa marque, la preuve d'une confusion réelle, la probabilité d'expansion des gammes de produits, etc.

Même si aucun facteur n’est déterminant, plus une marque sera connue, plus large sera sa protection. Il n'est pas nécessaire qu'une marque soit enregistrée pour bénéficier d'une protection.

En effet, aux États-Unis les marques notoires enregistrées ou non enregistrées, d'origine nationale et étrangère, font l’objet d’une protection contre l'utilisation et/ou l'enregistrement par des parties non autorisées par le biais de la loi Lanham §43(a), §43(c), §44(b) et §44(h) et en vertu des §2(a) et 2(d) de la même loi (15 U.S.C., §1125(a), §1125(c), §1126(b) et (h), et §1052(a) et (d)).

Du côté de l’Asie du Sud-est, où nous retiendrons l’exemple de la Corée du sud et du Japon, la protection des marques notoires, enregistrées ou non, repose cette fois non pas sur une action en contrefaçon, mais sur une action en concurrence déloyale.

La Corée du Sud peut se prévaloir d'un niveau relativement élevé de protection des marques notoires, notamment grâce à la loi sur la prévention de la concurrence déloyale et la protection des secrets commerciaux The Unfair Competition Prevention and Trade Secret Protection (Article 2 ).

Ainsi, toute personne qui est, ou est susceptible d'être lésée par des actes de concurrence déloyale tels que des actes susceptibles de créer une confusion avec les produits ou les installations commerciales d'une autre personne en utilisant une indication identique ou similaire au nom, à la dénomination commerciale ou aux marques d'une autre personne, y compris les marques notoires, peut intenter une action civile devant le tribunal pour obtenir une mesure injonctive, un dédommagement et/ou la restauration de la réputation ou de l'achalandage commercial lésé. En outre, la loi prévoit également des dispositions pénales.

De façon similaire, le Japon ne sanctionne pas les atteintes aux marques notoires sur le terrain de la contrefaçon, la loi japonaise sur la prévention de la concurrence déloyale (Unfair Competition Prevention Act)  venant réglementer, dans son article 2, l'utilisation déloyale d'un signe connu, qu’il soit ou non enregistré.

Le nouveau droit des marques français, tel que résultant de l’ordonnance n° 2019-1169, vient quant à lui dissocier  le régime de protection des marques renommées de celui des marques notoires au sens de l’article 6 bis de la Convention de Paris, alors même que la directive 2015-2436 ne l’imposait pas aux États membres dans le cadre de la transposition de celle-ci.

Ainsi, la marque notoire, qui peut être définie comme une marque non enregistrée connue d’une large fraction des milieux concernés, demeure soumise au régime de l’action en responsabilité civile distincte de l’action en contrefaçon.

L’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit trois cas d’atteinte à la marque notoire :

1) l’usage d’un signe identique pour des produits ou services identiques (double identité) ;
2) l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires s’il existe un risque de confusion, ce dernier comprenant le risque d’association ;
3) l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque, utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires lorsque cet usage tire indûment profit de la distinctivité ou de la notoriété de la marque, ou lui porte préjudice.

Enfin, pour que l’atteinte soit constituée, l’article L. 713-5 pose la condition d’un usage, « dans la vie des affaires » ainsi que l’absence d’autorisation du titulaire de la marque.

L’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 rassemble d’une certaine façon les dispositions relatives au régime de protection des marques notoires, que l’atteinte portée à ces dernières soit réalisée ou non dans le cadre de la spécialité, et partant le différencie clairement de celui des marques de  renommées.

En effet, force est de constater que ces nouvelles dispositions du droit des marques viennent uniformiser le régime de sanction par la contrefaçon en cas d’atteinte à la marque de renommée, démontrant si besoin était l’intérêt d’un enregistrement préalable de la marque pour bénéficier du régime préférentiel de la contrefaçon. 

Merci à Charlotte Beaumatin et Anne-Catherine Milleron, conseillères régionales INPI respectivement basées à Washington et Séoul, pour leur relecture attentive sur les questions de propriété intellectuelle relevant de leur zone géographique de compétence.