Doctrine et analyses
Compte rendu

Les Brevets européens modifiés sont-ils bloqués au purgatoire espagnol ? La cour d'appel de Barcelone statue sur les effets de la limitation d'un brevet à l'OEB sur une procédure nationale parallèle

PIBD 1180-II-1

d'après l'article de Fernando Cerdà Belda* : Are European amended patents stuck in Spanish purgatory? The Barcelona Cour of Appeal rules on the effects of a patent limitation at the EPO in parallel national proceedings, in EIPR, (44), 1, janvier 2022, p. 51-55

Texte

L’auteur relate deux arrêts de la cour d’appel de Barcelone sur les effets du maintien d’un brevet européen sous une forme modifiée, suite à une procédure d’opposition européenne, sur la procédure nationale en cours.

Jusqu’à maintenant, lorsqu’un brevet opposé dans une action en contrefaçon nationale était maintenu dans le cadre d’une procédure d’opposition parallèle devant l’Office européen des brevets (OEB), mais sous une forme modifiée par rapport à celle du brevet opposé dans la procédure nationale de contrefaçon, certains tribunaux espagnols avaient l’habitude de rejeter l’action en contrefaçon et mettaient ainsi un terme à la procédure nationale. Le titulaire n’avait alors pas d’autre choix que d'engager une nouvelle action en contrefaçon nationale sur la base du brevet modifié, une fois la traduction en espagnol publiée par l’Office espagnol des brevets et des marques.

L’auteur rappelle qu’en Espagne, le demandeur doit démontrer qu’il a de fortes chances de l’emporter au fond pour obtenir des mesures provisoires. Or, certains tribunaux estimaient que cette condition n’était pas remplie par un brevet européen maintenu sous une forme modifiée mais dont on attendait la publication de la traduction par l’Office espagnol. Les brevets issus de brevets européens modifiés suite à une procédure d’opposition se retrouvaient donc dans une sorte de « purgatoire juridique », ne pouvant être opposés avant que la décision d’opposition ne soit plus susceptible de recours, que le brevet modifié soit traduit en espagnol et que cette traduction soit publiée par l’Office.

La première affaire relatée ici concerne une action en contrefaçon engagée par Corning contre Huawei sur la base de la partie espagnole d’un brevet européen. Une action reconventionnelle en nullité a été engagée par le défendeur.

En première instance, le tribunal a jugé que le brevet avait été contrefait et a rejeté la demande en nullité. Huawei a interjeté appel. Pendant la procédure d’appel, la division d’opposition de l’OEB a décidé de maintenir le brevet sous une forme modifiée. Le titulaire du brevet et deux des trois opposants, dont Huawei, ont déposé un recours contre la décision de la division d’opposition, ce qui a eu pour conséquence la suspension de la procédure nationale dans l’attente de la décision définitive de la chambre de recours de l’OEB. Celle-ci a décidé de maintenir le brevet sous une forme modifiée, avec une portée restreinte par rapport à la décision de la division d’opposition. Huawei a demandé à la cour d’appel de Barcelone de mettre un terme à l’action en nullité, devenue sans objet puisqu’elle portait sur le brevet tel qu’il avait été délivré initialement, et de rejeter l’action en contrefaçon. De son côté, Corning alléguait que l’action devait se poursuivre à partir du brevet maintenu sous une forme modifiée.

La cour d’appel de Barcelone a considéré que la modification du brevet suite à la procédure d’opposition européenne avait un effet rétroactif, c’est-à-dire qu’elle produisait des effets à partir de la date de publication de la mention de la délivrance initiale du brevet dans le Bulletin européen des brevets.

Concernant les effets de la modification du brevet sur la procédure nationale en cours, la cour a, pour la première fois semble-t-il, appliqué les dispositions de l’article 120.4 de la loi espagnole sur les brevets (en vigueur depuis le 1er avril 2017). Cet article donne la possibilité au titulaire d’un brevet qui a été modifié au cours d’une autre procédure, de demander que son brevet modifié serve de base à la procédure nationale.

Il restait à trancher la question de savoir à partir de quel moment le brevet modifié est opposable dans la procédure nationale dans la mesure où en Espagne, le brevet européen produit des effets lorsqu’il est traduit en espagnol et que la traduction est publiée par l’Office. La Cour a finalement décidé que le brevet modifié était opposable à compter du moment où était versée à la procédure nationale la décision définitive de l’OEB maintenant le brevet sous une forme modifiée ainsi que la traduction en espagnol du brevet modifié, sans pour autant attendre la publication de la traduction par l’Office.

Le deuxième arrêt relaté concerne une procédure d’appel suite au refus du tribunal de première instance d’accorder des mesures provisoires (Sanofi c. Mylan). La cour d’appel de Barcelone a décidé d’appliquer la jurisprudence Corning/Huawei. Elle a précisé que le demandeur (Sanofi) aurait pu opposer son brevet modifié lors de sa demande de mesures provisoires et que le tribunal de première instance aurait dû se fonder sur le brevet modifié pour évaluer les chances du demandeur de l’emporter au fond. La Cour a fait remarquer que la validité du brevet modifié était renforcée par rapport au brevet délivré initialement puisque non seulement il avait été validé par le service d’examen, mais aussi par la division d’opposition et la chambre de recours de l’OEB.

L’auteur se félicite de ces deux arrêts en faveur des titulaires de brevets. Il se demande toutefois s’il ne subsiste pas une forme de purgatoire juridique lorsque, dans le cadre d’une demande de mesures provisoires, un brevet est modifié suite à la décision de la division d’opposition de l’OEB mais que celle-ci fait l’objet d’un recours. Si la cour d’appel de Barcelone a clairement établi que le titulaire ne devait pas attendre la publication de la traduction du brevet modifié par l’Office espagnol, elle n’a pas tranché la question de savoir s’il devait attendre la décision définitive de l’OEB.

* Clifford Chance, Barcelone.

Texte

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