Jurisprudence
Marques

Revendication de propriété des marques TIMEOUT et BLACKOUT pour dépôts frauduleux - Intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité

PIBD 1211-III-5
CA Paris, 12 mai 2023

Revendication de propriété des marques - Dépôts frauduleux (oui) - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Connaissance de l’usage antérieur des signes - Preuve - Presse - Internet - Réseau social - Secteur d’activité et réseaux de distribution identiques - Transfert des titres

Concurrence déloyale (oui) - Imitation de la dénomination du produit (oui) - Situation de concurrence - Clientèle et réseau de distribution identiques - Usage antérieur - Imitation  de l'étiquetage (non) - Parasitisme (non)

Texte
Marque n° 4 438 924 de la société Brasserie La Choulette
Marque n° 4 438 929 de la société Brasserie La Choulette
Texte

Un dépôt de marque est entaché de fraude, au sens des dispositions de l'article L.712-6 du CPI, lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité. L'action en revendication de propriété ne suppose pas la justification de droits antérieurs sur le signe litigieux mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant.

En l’espèce, la société défenderesse a procédé au dépôt des marques timeout et blackout en ayant connaissance des signes « TIME OUT » et « BLACK OUT », antérieurement utilisés par la société demanderesse pour commercialiser des bières, et ce, dans l'intention de priver cette dernière de signes nécessaires à son activité. Les marques litigieuses ne différent des signes antérieurs que par l'absence d'espace entre les termes « time » et « out », d'une part, et « black » et « out », d'autre part, et sont donc très fortement similaires, voire identiques.

Les éléments produits aux débats (publications sur Facebook et un site internet, articles de presse dans un magazine spécialisé...) suffisent à rapporter la preuve de l'exploitation, sur le territoire français depuis 2016, par la société demanderesse des signes « TIME OUT » et « BLACK OUT » pour désigner des bières, et, partant, la preuve de la connaissance de ces signes par la société poursuivie. En effet, les parties exercent dans le même secteur d'activité, exploitent des produits identiques et les commercialisent par le biais des mêmes réseaux de distribution, notamment via Internet, participant en outre régulièrement l'une et l'autre à des foires et salons professionnels.

La circonstance que l'INPI a rendu antérieurement une décision d'irrecevabilité dans le cadre d’une procédure d'opposition à l’enregistrement des marques litigieuses est indifférente à la solution du présent litige. L'INPI avait notamment notifié à la société demanderesse, opposante, un projet de décision déclarant l'opposition à l'enregistrement de la marque blackout irrecevable, considérant qu’il n’était pas démontré la connaissance du signe antérieur « BLACK OUT » par une large fraction du public français au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris. Par ailleurs, la société défenderesse reconnaît n'avoir jamais exploité la marque timeout et ne justifie aucunement d'une communication sur sa nouvelle gamme de produits « Out ». Enfin, le fait que d'autres brasseries utiliseraient les mêmes dénominations pour désigner des bières est inopérant, s'agissant en l'espèce d'apprécier le caractère frauduleux du dépôt des marques en cause. Les dépôts des marques timeout et blackout sont donc frauduleux et il y a lieu d’en ordonner le transfert au profit de la société demanderesse.

La société défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale. Les parties sont en situation de concurrence et s'adressent à une même clientèle en vendant notamment leurs produits sur Internet. Il a été démontré que la société demanderesse exploite la dénomination « BLACK OUT » depuis plusieurs années. Enfin, cette dénomination présente un caractère arbitraire pour désigner une bière, la distinctivité du signe étant ici un critère inopérant. En utilisant le signe « BlackOut » ou « BLACKOUT » qui est similaire, voire identique, au signe premier, la société défenderesse a commis un acte qui dépasse les usages loyaux du commerce. En revanche, les éléments de packaging qui auraient été repris ne sont pas décrits par la société demanderesse et les explications qui s'y rapportent sont développées au titre du parasitisme. En tout état de cause, les étiquettes respectivement apposées sur des bouteilles de bières, qui comportent de façon usuelle leur dénomination en leur centre, ne présentent aucune similitude de nature à entraîner une confusion dans l'esprit du consommateur.

La demande fondée sur le parasitisme doit être rejetée, la société demanderesse invoquant le dépôt frauduleux des marques litigieuses en connaissance de cause, déjà sanctionné, ainsi que la reprise des éléments graphiques de l'étiquette de la bière « BLACK OUT » et de son logo, non caractérisée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 12 mai 2023, 21/00586 (M20230114 ; LEPI, 8, sept. 2023, p. 5, note de G. Nadjombé)
Brasserie La Choulette SARL c. Be More Creative SARL
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 26 nov. 2020, 19/05470)