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CJUE

Première admission d'un pourvoi formé par l'EUIPO depuis l'entrée en vigueur des nouvelles règles organisant la procédure de recours devant la Cour de justice (ordonnance du 10 décembre 2021, aff. C-382/21)

PIBD 1179-IV-6
par Baptiste Deschamps
Texte

Par Baptiste Deschamps, rédacteur au PIBD

Depuis le 1er mai 20191, la Cour de justice de l’Union européenne s’est dotée de nouvelles règles concernant l’admission des pourvois dans les affaires ayant déjà bénéficié d’un double examen, d'abord par une chambre de recours indépendante d'un office ou d'une agence de l'Union, comme l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) notamment, puis par le Tribunal de l'Union européenne. Il est désormais prévu qu’un tel pourvoi ne sera admis, en tout ou en partie, que s’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.

La raison de ce changement réside dans le fait que de nombreux pourvois formés dans des affaires qui ont déjà bénéficié d’un double examen, par une chambre de recours indépendante et le Tribunal de l’Union européenne, sont rejetés par la Cour pour cause d’irrecevabilité manifeste ou pour absence manifeste de fondement. Cette évolution a entraîné la modification du statut de la Cour de justice2 et de son règlement de procédure3.

Désormais, le pourvoi devra être accompagné d’une demande d’admission, d’une longueur maximale de sept pages, dans laquelle la partie requérante expose, de manière claire, la question importante que soulève le pourvoi pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union. À défaut, le pourvoi est déclaré irrecevable.

Selon cette nouvelle procédure, la Cour de justice statue sur l’admission ou non du pourvoi dans les meilleurs délais par voie d’ordonnance motivée et publiée par la chambre d’admission des pourvois. Il a fallu attendre une ordonnance du 10 décembre 20214 pour que la chambre d’admission des pourvois accueille une demande de pourvoi contre un arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne statuant sur un recours contre une décision de l’EUIPO.

Il s’agissait, en l’espèce, d’un pourvoi formé par l’EUIPO en matière de dessins ou modèles communautaires. L’Office demandait l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 avril 20215 par lequel celui-ci avait annulé la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 13 juin 20196 concernant une demande d’enregistrement d’appareils et d’articles de gymnastiques ou de sport revendiquant le droit de priorité d’une demande internationale de brevet déposée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT).

Alors que l’EUIPO avait considéré que le délai de priorité à appliquer en l’espèce était celui prévu par l’article 41 du règlement (CE) n° 6/2002, soit limité à six mois, sur la base d’un dessin ou modèle ou d’un modèle d’utilité antérieurs, le Tribunal s’est opposé à cette appréciation et a considéré que le délai de priorité devait être calculé en fonction de la nature du droit sur la base duquel la priorité est revendiquée. Le Tribunal a ainsi appliqué le délai de priorité prévu pour les brevets à l’article 4 de la Convention de Paris, c’est-à-dire douze mois. 

La question invoquée par l’Office, dans sa demande d’admission du pourvoi, est celle de savoir « si une éventuelle lacune législative dans un acte de droit de l’Union peut être comblée par l’application directe d’une disposition de droit international qui ne remplit pas les conditions requises par la jurisprudence de la Cour afin de produire des effets directs ».

Dans l’étude du pourvoi, la chambre d’admission des pourvois relève l’argument avancé par le requérant selon lequel le Tribunal aurait mal interprété l’article 41 du règlement (CE) n°6/2002 en estimant qu’il existait une lacune dans ce texte en ce qu’il ne prévoit pas la situation dans laquelle une demande de dessin ou modèle est déposée en revendiquant la priorité d’une demande de brevet et ne régit pas le délai pour revendiquer une telle priorité (pt. 24). En conférant alors un effet direct à l’article 4 de la Convention de Paris, au demeurant interprété de manière erronée, le Tribunal serait allé à l’encontre de la jurisprudence de la Cour7. Le requérant a ainsi bien identifié l’erreur de droit alléguée. Comme il le démontre également, les conséquences d’une telle interprétation du règlement n° 6/2002 sont évidentes sur l’issue de l’arrêt attaqué, à savoir l’annulation de la décision de la chambre de recours de l’EUIPO.

La chambre d’admission des pourvois considère, par ailleurs, que l’EUIPO a bien fait ressortir l’importance de la question soulevée par le pourvoi, celui-ci dépassant le cadre du droit des dessins ou modèles communautaires en ce que le principe dégagé par l’arrêt attaqué serait susceptible de déterminer le régime des revendications de priorité applicable à d’autres types de droit de propriété intellectuelle (pt. 32). À l’appui d’exemples concrets illustrant les conséquences que pourrait avoir l’arrêt attaqué pour les déposants de brevets, le requérant alerte à cet égard sur le risque d’insécurité juridique et de défaut de réciprocité dans certains États tiers résultant de la reconnaissance d’un délai de priorité de douze mois pour les dessins ou modèles communautaires lorsque la revendication de priorité est fondée sur une demande de brevet (pt. 32).

Retenant ensuite que le requérant a dûment mis en exergue les conséquences systémiques, portant atteinte à l’unité, à la cohérence et au développement du droit de l’Union, de la reconnaissance d’un effet direct de l’article 4 de la Convention de Paris, en ce que l’interprétation de cet article par le juge de l’Union européenne s’imposerait au législateur de l’Union ainsi qu’aux États membres et en que cette reconnaissance irait à l’encontre des objectifs de la Convention de Paris et de l’accord ADPIC, la Cour de justice a accueilli la demande d’admission du pourvoi8.

1 Cf. JOUE, 25/04/2019, L 111, p. 1-3.
2 Cf. article 58 bis du Statut de la Cour de justice de l’Union européenne (version consolidée).
3 Cf. chapitre premier bis du titre cinquième du règlement de procédure de la Cour de justice du 25 septembre 2012 (version consolidée).
4 CJUE, ch. d’admission des pourvois, 10 déc. 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21.
5 TUE, 3e ch., 14 avr. 2021, T-579/19,
Propr. intell., n° 82, janv. 2022, p. 6, « La Tentation de Paris Libre opinion sur la possible distorsion du droit et du délai de priorité dans l’arrêt KaiKai du TUE », par C.-H. Massa.
6 EUIPO, 3e ch., R 573/2019-3.
7 CJUE, 8e ch., 25 oct. 2007, Develey/OHMI, C-238/06, points 37 à 44.
8 Voir aussi sur le sujet traité : J. Tassi, « Ordonnance « KaiKai » : du nouveau sur le filtre des pourvois devant la Cour de justice ? » (CJUE, ord., 10 déc. 2021, aff. C-382/21), Propr. industr., févr. 2022, p. 2 ; T. de Haan, « Non-admission des pourvois et déni de justice », Propr. intell., n° 82, janv. 2022, p. 128 ; M. F. Orzan, « Some remarks on the first applications of the filtering of certain categories of appeals before the Court of Justice », EIPR, 42, juill. 2020, p. 426 ; R. Milchior, « Création du filtrage des pourvois en cassation à la Cour de justice en matière de propriété intellectuelle », Propr. industr., juin 2019, p. 2.

 

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