Jurisprudence
Marques

Recevabilité de l’action en nullité de la marque LA SÈVE en raison de l’usage sérieux de la marque antérieure SEVE - Annulation de la marque pour les services de l'hôtellerie, similaires à ceux de la restauration

PIBD 1236-III-2
CA Paris, 27 septembre 2024

Recevabilité de l’action en nullité de la marque (oui)  1°) Requête en fourniture de preuves d'usage (oui) - 2°) Usage sérieux de la marque antérieure (oui) - Exploitation sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif - Usage à titre de marque - Usage effectif et suffisant - Éléments de preuve

Annulation partielle de la marque (oui) - Droit antérieur - Marque - Similitude des signes - Identité ou similarité des produits ou services - Risque de confusion

Texte
Marque n° 3 368 035 de M. [K] [X] et Mme [Z] [X]
Marque n° 4 812 963 de la société Lowendal Host
Texte

C’est à bon droit que l’INPI a prononcé la nullité partielle de la marque verbale LA SÈVE, notamment pour les services de restauration et d’hôtellerie, au regard de l’atteinte portée à la marque verbale antérieure SEVE en ce que celle-ci désigne, parmi d’autres produits et services, les « services de restauration (alimentation) ».

La décision attaquée a tout d’abord écarté, à juste titre, l’irrecevabilité soulevée par la société titulaire de la marque LA SÈVE, qui invoquait une absence d’usage sérieux de la marque SEVE au sens de l’article L. 716-2-3 du CPI.

Si les dispositions de cet article prévoient qu'il appartient au titulaire de la marque contestée d'opposer, en défense, une requête afin que le titulaire de la marque antérieure présente des preuves d'usage, ce dernier peut produire d'emblée de telles preuves et les soumettre à la contradiction. En l’espèce, les co-titulaires de la marque SEVE avaient transmis, à l’appui de leur demande en nullité, des pièces afin de confirmer l’usage sérieux de leur marque. La société titulaire de la marque LA SÈVE avait alors demandé au directeur général de l'INPI, non seulement de constater l'insuffisance des preuves produites, mais aussi de déclarer irrecevable la demande en nullité. Celui-ci a par conséquent considéré à raison que cette société avait expressément formulé une requête en fourniture de preuves d’usage de la marque antérieure opposée.

À la date de la demande en nullité de la marque LA SÈVE et à la date du dépôt de cette marque, la marque antérieure était enregistrée depuis plus de cinq ans. Les demandeurs doivent donc prouver un usage sérieux de la marque SEVE, pour les « services de restauration (alimentation) », sur la période de cinq ans précédant la date de la demande en nullité et sur la période de cinq ans précédant la date de dépôt de la marque contestée.

Les demandeurs produisent à cet effet des pièces (factures, articles de presse, captures d’écran de sites internet, menu, avis de consommateurs…) datées pour la plupart dans la période pertinente. La décision attaquée n’est pas critiquable en ce qu’elle a tenu compte de certaines pièces non datées ou datées en dehors de cette période pour apprécier l’usage sérieux de la marque SEVE. En effet, ces pièces doivent être prises en considération, dès lors qu’elles sont corroborées par d’autres élément de preuve relevant de la période pertinente.

S’agissant de la nature de l’usage, le signe « SEVE » est utilisé sous une forme verbale au sein de l'ensemble « Café SEVE » ou bien à côté d'un élément figuratif. Ces utilisations constituent bien un usage de la marque antérieure sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, le terme « Café » étant dénué de tout caractère distinctif pour les « services de restauration (alimentation) » et la marque restant parfaitement identifiable dans l’ensemble qu’elle forme avec l’élément figuratif.

Il n’est pas démontré que l’usage du signe « SEVE » serait réalisé à titre de dénomination sociale ou d’enseigne, et non à titre de marque. Il y a usage à ce dernier titre lorsque la dénomination sociale ou l'enseigne est utilisée « pour des produits et services », notamment lorsque le signe est apposé sur les produits commercialisés par l’entreprise ou lorsqu’il est utilisé de telle façon qu'un lien s’établit entre le signe et les produits commercialisés ou les services fournis[1]. En l’espèce, le signe « SEVE » n'a pas pour seul objet d'identifier la société ou le fonds de commerce des demandeurs. Il désigne aussi les produits d’alimentation, en particulier les chocolats et pâtisseries, vendus dans les établissements des demandeurs, ainsi que les services de restauration proposés. Le signe « Sève » est apposé sur la devanture et dans les locaux de ces établissements, mais également sur les menus présentés à la clientèle et sur le packaging des produits commercialisés. Les avis de consommateurs montrent d’ailleurs qu’ils identifient clairement sous le signe « Sève » ou « Café Sève » les services de restauration proposés par les demandeurs.

De plus, l’usage de la marque SEVE est bien démontré pour de tels services, lesquels supposent un espace dédié à la consommation d’aliments transformés ou préparés par un prestataire, par les pièces produites aux débats (avis de consommateurs faisant état d’un service de restauration, photographies d’un établissement révélant un espace de restauration, une « table gourmande » recommandée par un office de tourisme, embauche d’un chef cuisinier…). Enfin, les éléments comptables produits confirment, au plan quantitatif, un usage suffisant de la marque au regard des volumes commerciaux, dont il est justifié. Un usage sérieux de la marque antérieure SEVE étant ainsi établi, la demande en nullité de la marque LA SÈVE est recevable et peut être examinée au fond.

S’agissant en premier lieu de la comparaison des signes, les marques en conflit, qui sont exclusivement verbales, présentent en commun l’élément SEVE qui leur confère une grande proximité sur les plans visuel et phonétique. L’ajout de l’article « LA » ne suffit pas à différencier les deux marques, le terme « sève », qui est distinctif au regard des services en cause, restant prédominant dans la marque contestée. Conceptuellement, les signes ont la même signification, le nom commun « sève » renvoyant à un « liquide nutritif formé des sucs que les racines puisent dans le sol et répandent dans toutes les parties d'un végétal » et, par extension, à « ce qui donne la force, la vigueur, la vitalité ». Les signes en cause présentent ainsi une forte ressemblance d’ensemble compte tenu des similitudes sur les plans visuel, phonétique et conceptuel.

En ce qui concerne, en second lieu, l’appréciation de la similarité des services en cause, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents, en particulier, la nature, la destination et la fonction des services ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. A ce titre, la complémentarité entre les produits ou services suppose l’existence d’un « lien étroit et obligatoire » entre eux, que des rapprochements occasionnels et aléatoires sont insuffisants à caractériser.

Il ressort de la comparaison des services que les « services de traiteurs ; services de bars ; services de restauration ; services de restauration hôtelière ; services de restauration fournis par les hôtels » de la marque LA SÈVE contestée sont manifestement identiques, pour certains, et similaires, pour d'autres, aux « services de restauration (alimentation) » de la marque SEVE.

D’autres services visés, à savoir les « services hôteliers ; services d'hôtellerie ; services de logement en hôtel ; mise à disposition de chambres d'hôtel ; hébergement temporaire ; hôtels, auberges et pensions, logements de vacances et pour touristes », présentent quant à eux un lien étroit, notamment de complémentarité, avec les services de la marque antérieure, en ce qu’ils peuvent appartenir au même secteur d’activité et s’adresser à une même clientèle. Le consommateur, qui est familier de l’enseigne « hôtel-restaurant », couramment utilisée, sera inéluctablement enclin à associer, comme étant complémentaires et proposés sur un même lieu et par un même prestataire, les services d’«hôtel » et les services de « restaurant ».

En conséquence, le risque de confusion, à tout le moins le risque d'association, apprécié globalement, est avéré compte tenu de la grande proximité de ces services avec ceux de la marque SEVE et de la forte ressemblance entre cette marque et le signe contesté.

À l’inverse, les autres services invoqués de la marque LA SÈVE ne sauraient être considérés comme similaires à ceux de la marque SEVE. Les « services de location de salles de conférence » ne nécessitent pas, pour leur mise en œuvre, le recours à des services de restauration. Ainsi, ils ne présentent pas un lien étroit et obligatoire avec ces services et ne sont donc pas complémentaires. Les services de « mise à disposition d'installations pour des expositions dans des hôtels » sont également différents. Quant aux services de « réservation de chambres d'hôtel ; fourniture de services de réservation de chambres et de réservation de chambre d'hôtel ; Services électroniques d'informations en matière d'hôtellerie ; fourniture d'informations hôtelières par le biais d'un site Web ; informations en matière d'hôtels », ils ne présentent pas non plus un lien étroit et obligatoire avec les « services de restauration (alimentation) », la mise en œuvre des premiers n'étant aucunement indispensable pour l'exploitation des seconds.

Ces services de la marque contestée ne sont pas de même nature que ceux de la marque antérieure. Ils n'ont pas le même objet ni la même destination, et peuvent ne pas être assurés par le même prestataire. Ils répondent à des besoins différents de ceux auxquels répondent les services de restauration, et s'adressent à des clientèles distinctes. Aucun risque de confusion ou d’association n’est par conséquent caractérisé entre la marque LA SÈVE et la marque antérieure SEVE en ce qui concerne ces services.

La décision de l’INPI est dès lors confirmée en toutes ses dispositions.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 27 septembre 2024, Lowendal Host SAS c. INPI, M. [K] [X] et Mme [Z] [X], 23/13312 (M20240231)
(Confirmation décision INPI, 13 juin 2023, NL 22-0102 ; NL20220102)

 

[1] Cf. arrêts cités par la cour d’appel : TUE, 8e ch., 13 avr. 2011, Alder Capital c. OHMI et al., T-209/09 (points 45-46) ; Cass. com., 16 fév. 2016, Le Fournil SAS et al. c. Coup de Pâtes SAS, 14-15.144 (M20160073, PIBD 2016, 1047, III-282, Propr. intell., 60, juill. 2016, p. 364, J. Canlorbe ; RJDA, 7, juill. 2016, p. 577, note).