Jurisprudence
Marques

Recevabilité des demandes reconventionnelles en nullité et en déchéance pour des produits et services non opposés au titre de l’action en contrefaçon - Caractère descriptif de la marque BLOKACCES

PIBD 1233-III-2
TJ Lyon, 3 septembre 2024

Demandes reconventionnelles en nullité et en déchéance de la marque - Recevabilité (oui) - Produits et services non opposés au titre de l’action principale en contrefaçon - Lien suffisant avec la demande initiale - Entrave à l’activité d’autrui

Validité de la marque - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Néologisme - Langue étrangère - Destination des produits et services - Annulation partielle

Déchéance de la marque (non) - Usage sérieux (oui)

Texte
Marque n° 4 267 271 de M. [S]
Marque n° 4 394 565 de M. [P]

 

Texte

La société demanderesse, ayant pour activité la création et la commercialisation de dispositifs de sécurité et de vidéosurveillance, bénéficie d’une licence exclusive de la marque verbale BLOKACCES, qui désigne des produits et services en classe 6, 9 et 45. Avec le titulaire de cette marque, elle a assigné en contrefaçon une société spécialisée dans les barrières modulables anti camions béliers, qui exploite la marque verbale Block’axèss désignant, en classe 6, les « constructions transportables métalliques », ainsi que son gérant, déposant de cette marque. Les demandeurs ont également agi en nullité de la marque Block’axèss. Les défendeurs ont formé des demandes en nullité et en déchéance de la marque BLOKACCES pour tous les produits et services qu’elle désigne. Les demandeurs estiment que ces demandes doivent être limitées aux seules « constructions transportables métalliques » de la marque contestée, qui sont opposées au titre de l’action en contrefaçon.

Il résulte de la combinaison de l’articles L. 711-2 et L.714-5 du CPI (dans leur version applicable au litige), et de l’article 70 du Code de procédure civile que la partie poursuivie en contrefaçon a intérêt à se défendre en formant une demande reconventionnelle en nullité et/ou déchéance d’une marque pour les produits ou services invoqués et pour ceux relevant du même secteur d'activité[1]. Aux termes de l’article 64 du Code de procédure civile, une demande reconventionnelle est celle « par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention adverse ».

Les demandes des défendeurs constituent bien des demandes reconventionnelles, et non un simple moyen de défense au fond, contrairement à ce qu’ils soutiennent. En effet, ils sollicitent la nullité ou, à titre subsidiaire, la déchéance de la marque BLOKACCES, pour avoir la possibilité de faire usage de leur marque Block’axèss sans être empêchés par la marque des demandeurs. Ceci consiste en l’obtention d’un avantage autre que le simple rejet de l’action en contrefaçon formée à leur encontre. Le régime de l’article 70 précité, aux termes duquel les demandes reconventionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, est donc applicable.

La marque BLOKACCES peut constituer une entrave à l’activité de la société défenderesse, qui exerce dans le domaine de la sécurité, pour les produits et services qu’elle désigne qui sont identiques, similaires ou complémentaires. Les défendeurs sont donc recevables à poursuivre la nullité et la déchéance de la marque BLOKACCES pour les services de sécurité pour la protection des biens et des individus, de surveillance des alarmes anti-intrusion et de consultation en matière de sécurité, ainsi que pour les produits et services qui sont habituellement utilisés dans le domaine de la sécurité (appareils et instruments de vérification (contrôle), appareils d'enregistrement d'images, ordinateurs, logiciels (programmes enregistrés), périphériques d'ordinateurs, dispositifs de contrôle d'accès (sous forme mobile, temporaire, fixe, tourniquets, hachoirs, barrière)). Toutefois, la société défenderesse ne peut soutenir que l’existence de la marque constitue une entrave à son activité s’agissant des coffres métalliques, ces produits étant trop éloignés de son cœur de métier.

Au soutien de leur demande en nullité, les défendeurs invoquent l’absence de caractère distinctif de la marque BLOKACCES et son caractère descriptif. Cette marque est constituée d’un néologisme composé d’un premier mot tiré des verbes anglais « block » ou français « bloquer », dont la définition est d’empêcher, de stopper, de faire obstacle à quelqu’un ou quelque chose, et d’un second mot qui correspond au nom commun français « accès », signifiant le moyen, la voie qui permet d’arriver, de pénétrer dans un lieu. Le sens de ce néologisme est celui donné par la somme des deux termes qui le composent, à savoir empêcher, faire obstacle à l’entrée dans un lieu, en d'autres termes le blocage d’un accès. Ce sens sera immédiatement compris par le public pertinent, composé de professionnels du secteur public ou privé, qui ont besoin de dispositifs pour assurer la sécurisation de lieux.

Or, la marque BLOKACCES a notamment été déposée pour les « constructions transportables métalliques » et les « dispositifs de contrôle d’accès sous forme mobile, temporaire, fixe, tourniquets, hachoirs, barrière », dont la fonction est de permettre le blocage d’un accès pour en permettre le contrôle. Le site de la société demanderesse, sur lequel elle commercialise ses produits, mentionne à cet égard, dès la page d’accueil, les termes « Contrôle d’accès » qui sont aussi repérables sous la marque BLOKACCES. Dès lors, ce signe ne fait que décrire l’une des caractéristiques déterminantes de ces produits. La marque doit être annulée pour ces produits.

En revanche, la marque BLOKACCES présente un caractère distinctif pour les « appareils et instruments de vérification (contrôle), appareils d’enregistrement d’images, ordinateurs, logiciels (programmes enregistrés), périphériques d’ordinateurs », qui sont des dispositifs, en particulier informatiques, pour permettre la sécurisation de lieux en complément de ceux qui en empêchent l’accès, et pour les « services de sécurité pour la protection des biens et des individus », la « surveillance des alarmes anti-intrusion » et la « consultation en matière de sécurité », qui constituent différents types de services relatifs à la sécurité. Ces produits et services n’ont en effet pas pour fonction de bloquer un accès.

La demande reconventionnelle en déchéance de la marque BLOKACCES est rejetée, l’usage sérieux pour les produits et services pour lesquels elle n’a pas été annulée étant démontré.

En revanche, la demande en nullité de la marque Block’axèss, doit être déclarée bien fondée, en raison du caractère descriptif de ce signe au regard des « constructions transportables métalliques » visées à l’enregistrement, comme il a été vu plus haut.

Tribunal judiciaire de Lyon, 10ech. cab 10 J, 3 septembre 2024, 19/06775 (M20240187)
IP Sécurité.com SASU et M. [R] [S] c. Klözmann SASU et M. [G] [P]

 

[1] Voir également, dans le présent PIBD, une décision du tribunal judiciaire de Paris ayant jugé recevable la demande reconventionnelle en déchéance de la marque française MAUFOUX, uniquement pour les produits et services invoqués au soutien de l’action principale en contrefaçon, les autres produits et services visés à l’enregistrement ne relevant pas de l’activité de la société demanderesse (TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 11 juill. 2024, Maison des Grands Crus SAS c. Le Soufflot SARL et al., 22/01053 ; M20240173). Le tribunal a énoncé, comme dans la présente affaire, qu’« il résulte de la combinaison des articles L.714-5 du code de la propriété intellectuelle et 70 du code de procédure civile que la partie poursuivie en contrefaçon a intérêt à se défendre en formant une demande reconventionnelle en déchéance pour les produits ou services invoqués et pour ceux relevant du même secteur d'activité » Ce principe provient d’un arrêt rendu antérieurement par la Cour de cassation (Cass. com., 26 janv. 2022, Entreprendre SA c. Société du Figaro SAS, 20-12.508 (M20220029 ; PIBD 2022, 1178, III-3). La demande reconventionnelle en déchéance de la marque de l’UE MAUFOUX a, en revanche, été jugée recevable pour l’intégralité des produits et services visés à l’enregistrement.