Action en contrefaçon de la marque française - Recevabilité (non) - Défaut d’usage sérieux - Produits et services opposés au titre de la contrefaçon
Action en contrefaçon de la marque de l’UE - Exception de déchéance - Fin de non-recevoir (non)
Demande reconventionnelle en déchéance de la marque française - 1) Produits et services opposés au titre de la contrefaçon - Recevabilité (oui) - 2) Autres produits et services visés à l’enregistrement - Recevabilité (non) - Intérêt à agir (non)
Demande reconventionnelle en déchéance de la marque de l’UE - Produits et services visés à l’enregistrement - Recevabilité (oui) - Intérêt à agir (oui)
Demande reconventionnelle en nullité de la marque française déposée en cours de procédure - Recevabilité (oui) - Intérêt à agir (oui) - Lien suffisant avec la demande initiale (oui)
Déchéance partielle de la marque française (oui) - Déchéance de la marque de l’UE (oui) - Usage sérieux (non) - Date d’effet
Validité de la marque française déposée en cours de procédure (non) - Dépôt de mauvaise foi (oui)
Contrefaçon de la marque de l’UE (non) - Recevabilité (oui) - Période antérieure à la déchéance - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Absence d’usage sérieux
Contrefaçon des marques française et de l’UE (non) - Différence visuelle, phonétique et intellectuelle - Nom patronymique - Suppression d’un prénom
Procédure abusive (oui)
Une société ayant pour activités le négoce de vins et spiritueux, l’hébergement touristique, la location de salles et la fourniture de prestations de services et d’accueil, est titulaire des marques verbales française et de l’UE MAUFOUX qui visent des produits et services des classes 32, 33, 39 et 43 ainsi que des marques verbales française et de l’UE PROSPER MAUFOUX qui désignent des produits de la classe 33. Elle a engagé une action en contrefaçon de ses marques en ce qu’elles désignent des produits et services des classes 33 et 43, ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire, à l’encontre de deux sociétés exploitant chacune un fonds de commerce de restauration, brasserie, traiteur sous l’enseigne « Le Maufoux Restaurant ». La demanderesse a déposé en cours de procédure la marque verbale française PROSPER MAUFOUX pour désigner les produits et services des classes 32, 33, 39 et 43.
Les défenderesses ont contesté en premier lieu la recevabilité de la demande en contrefaçon de la marque française MAUFOUX pour défaut d’usage. Selon l’article L. 716-4-3 du CPI, il appartient au demandeur à une action en contrefaçon, à peine d’irrecevabilité, de justifier d’un usage sérieux de la marque qu’il invoque au cours des cinq années précédant sa demande. L’usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en contrefaçon. En l’espèce, les pièces produites (extraits et captures d’écran de sites internet et d’un compte instagram, citations dans la presse et dans des guides des vins, vidéo du domaine Prosper Maufoux et factures) ne prouvent aucune exploitation effective et sérieuse du signe « Maufoux » pour les produits et services en classes 33 et 43 visés par la demande en contrefaçon. L’usage du signe « Prosper Maufoux » ne peut valoir usage sous une forme modifiée de la marque MAUFOUX. En effet, il s’agit d’une modification non négligeable de la marque. Dès lors, la demande en contrefaçon de la marque française MAUFOUX est irrecevable pour défaut d’usage sérieux pour les produits et services en classes 33 et 43, au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée.
En revanche, l’exception de déchéance d’une marque de l’UE présentée lors d’une action en contrefaçon est une défense au fond, et non une fin de non-recevoir, contrairement aux défenses contre les actions en contrefaçon fondées sur une marque française. En effet, l’article 127 du règlement (UE) 2017/1001, intitulé « présomption de validité - défenses au fond », impose aux tribunaux de considérer la marque comme valide, à moins que le défendeur n'en conteste la validité par une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité.
Les défenderesses forment également des demandes reconventionnelles en déchéance des droits sur les marques française et de l’UE MAUFOUX. Leurs demandes portent sur la totalité des produits et services visés aux dépôts (et non pour les seuls produits et services invoqués au titre de la contrefaçon). La demanderesse soutient que ces demandes sont irrecevables pour les produits et services des classes 32 et 39, faute d’un intérêt légitime à agir en l’absence d’un lien suffisant avec l’action en contrefaçon qui ne vise que les classes 33 et 43[1].
Il résulte de la combinaison des articles L. 714-5 du CPI et 70 du Code de procédure civile, que la partie poursuivie en contrefaçon a intérêt à se défendre en formant une demande reconventionnelle en déchéance pour les produits ou services invoqués et pour ceux relevant du même secteur d'activité[2]. Or, en l’espèce, les produits et services des classes 32 (boissons sans alcool) et 39 (visites touristiques) ne sont pas invoqués au titre de la contrefaçon et ne relèvent pas du même secteur d’activité que celui des défenderesses. Celles-ci n’ont donc pas intérêt à se défendre en formant une demande reconventionnelle en déchéance pour ces produits ou services, cette demande ne présentant pas de lien suffisant avec la demande initiale en contrefaçon. Leur demande en déchéance des droits sur la marque française MAUFOUX est par conséquent irrecevable s’agissant des produits et services des classes 32 et 39.
En ce qui concerne la marque de l’UE MAUFOUX, il est relevé que la Cour de justice de l’Union européenne[3] a dit pour droit que « l’article 124, d), du règlement (UE) 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 128, § 1, de celui-ci, doit être interprété en ce sens qu’une demande reconventionnelle en nullité d’une marque de l’Union européenne peut concerner l’ensemble des droits que le titulaire de cette marque tire de son enregistrement, sans que cette demande reconventionnelle soit restreinte, dans son objet, par le cadre contentieux défini par l’action en contrefaçon ». Il ressort d’une application par analogie de cette décision que les défenderesses sont recevables en leur demande de déchéance des droits sur la marque de l’UE MAUFOUX pour l’ensemble des produits et services couverts à l’enregistrement.
Enfin, les défenderesses forment une demande reconventionnelle en nullité de la marque française PROSPER MAUFOUX déposée en cours de procédure, qui vise les produits et services des classes 32, 33, 39 et 43. Cette demande est recevable. En effet, l’intérêt à agir des défenderesses réside dans l’avantage que leur procurerait, au regard de la poursuite de leur activité de restaurant, le rejet tant de l’action en contrefaçon de la marque antérieure PROSPER MAUFOUX qui leur est opposée pour des produits en classe 33, que de la demande additionnelle en concurrence déloyale et parasitaire visant le nom commercial et l’enseigne Prosper Maufoux. La demande reconventionnelle en nullité de la marque déposée postérieurement par la même demanderesse présente donc un lien suffisant avec les demandes originaires de cette dernière visant les signes invoqués, soit la marque antérieure, l’enseigne et le nom commercial Prosper Maufoux.
Il est fait droit aux demandes de déchéance des droits sur les marques française et de l’UE MAUFOUX. La demanderesse n’établit pas un usage sérieux de ces marques durant la période de référence, à savoir les cinq années précédant les dates auxquelles les demandes reconventionnelles en déchéance ont été formées pour la marque française et pour la marque de l’UE. La déchéance est prononcée, pour la marque française, uniquement pour les produits et services des classes 33 et 43, et, pour la marque de l’UE, pour l’ensemble des produits et services visés à l’enregistrement. Elle produit effet à l’issue d’une période de cinq ans courant, pour la marque française, à compter de la date de publication de l’enregistrement au BOPI et, pour la marque de l’UE, à compter de la publication de l’enregistrement au Bulletin des marques de l’Union européenne.
Il est également fait droit à la demande en nullité de la marque française PROSPER MAUFOUX, déposée en cours de procédure, en ce qu’elle désigne les produits et services des classes 32, 33, 39 et 42. Au moment de ce dépôt, la demanderesse était titulaire des marques française et de l’UE PROSPER MAUFOUX pour désigner les produits de la classe 33, ainsi que des marques française et de l’UE MAUFOUX pour désigner notamment les services de restauration en classe 43. Il est établi que les marques MAUFOUX n’ont pas fait l’objet d’un usage sérieux pour ces services. Par ailleurs, il n’est pas établi que de tels services étaient proposés auparavant par la demanderesse. Dans ce contexte, il apparaît que le dépôt de la marque PROSPER MAUFOUX, notamment pour les services de restauration, a été réalisé de mauvaise foi. La demanderesse avait connaissance, au moment du dépôt de cette marque, de l’utilisation par les défenderesses d’un signe similaire « Maufoux » pour un service identique de restaurant. En outre, le dépôt de la marque contestée n’a pour but que de faire échec à la déchéance pour défaut d’usage sérieux des marques MAUFOUX pour des services de restauration, et traduit l’intention de la demanderesse d’entraver les activités de restauration des défenderesses.
La demanderesse reproche aux défenderesses des actes de contrefaçon de ses marques française et de l’UE MAUFOUX ainsi que de ses marques française et de l’UE PROSPER MAUFOUX, du fait de l’usage des signes « Maufoux », « Maufoux Restaurant », « Le Maufoux Restaurant » pour désigner des services de restauration.
L’action en contrefaçon de la marque française MAUFOUX est irrecevable, la déchéance partielle ayant été prononcée pour les produits et services des classes 33 et 43 visées par l’action.
L’action en contrefaçon de la marque de l’UE MAUFOUX reste, en revanche, recevable, bien que la déchéance des droits sur cette marque ait été prononcée pour la totalité des produits et services couverts à son enregistrement. En effet, la CJUE, dans son arrêt du 26 mars 2020[4], a dit pour droit que l'article 5, § 1, b), l'article 10, § 1, al. 1, et l'article 12, § 1, al. 1, de la directive 2008/95/CE, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu'ils laissent aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d'une marque, déchu de ses droits à l'expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l'État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée, conserve le droit de réclamer l'indemnisation du préjudice subi en raison de l'usage, par un tiers, antérieurement à la date d'effet de la déchéance, d'un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque.
Il est admis par conséquent que la déchéance d'une marque, prononcée en application de l'article L. 714-5 du CPI, ne produisant effet qu'à l'expiration d'une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l'atteinte portée à ses droits sur la marque qu'ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance[5]. La demanderesse est ainsi recevable à agir en contrefaçon de sa marque de l’UE MAUFOUX pour la période antérieure à la date de déchéance.
S’agissant de cette marque, les signes en présence présentent une forte similitude sur le plan visuel, phonétique et conceptuel, qui alliée à l’identité des services concernés de restauration, entraîne un risque de confusion. Cependant, la demanderesse ne démontre pas un usage sérieux de sa marque durant la période de cinq ans précédant son action en contrefaçon pour les produits et services des classes 33 et 43.
En ce qui concerne les marques française et de l’UE PROSPER MAUFOUX invoquées, la comparaison des signes en présence fait ressortir une faible similitude sur le plan visuel et phonétique, ainsi qu’une absence de ressemblances sur le plan conceptuel. Ainsi, le public pertinent, malgré la similitude entre les services de restauration et les vins, ne sera pas amené à attribuer une origine commune aux produits et services.
Par conséquent, la demanderesse est déboutée de ses demandes en contrefaçon tant de la marque de l’UE MAUFOUX que des marques française et de l’UE PROSPER MAUFOUX.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 11 juillet 2024, 22/01053 (M20240173)
Maison des Grands Crus SAS c. Le Soufflot SARL et Le [D] SAS
[1] Voir également, dans le présent PIBD, une décision du tribunal judiciaire de Lyon ayant jugé recevables les demandes reconventionnelles en nullité et en déchéance de la marque française BLOKACCES pour des produits et services non opposés au titre de l’action en contrefaçon (TJ Lyon, 10ech. cab 10 J, 3 sept. 2024, IP Sécurité.com SASU et al. c. Klözmann SASU et al., 19/06775 ; M20240187).
[2] Cass. com., 26 janv. 2022, Entreprendre SA c. Société du Figaro SAS, 20-12.508 (M20220029 ; PIBD 2022, 1178, III-3).
[3] CJUE, 10e ch., 8 juin 2023, LM, C-654/21, points 30 à 55.
[4] CJUE, 5e ch., 26 mars 2020, Cooper International Spirits, C-622/18 (M20200083 ; PIBD 2020, 1136, III-3 ; Propr. industr., mai 2020, comm. 30, A. Folliard-Monguiral ; RTD Com, 2, avr.-juin 2020, p. 341, J. Passa ; L'Essentiel, juin 2020, F. Herpe).
[5] Cass. com., 4 nov. 2020, Laurent B c. Cooper Spirits International et al.,16-28.281 (M20200228 ; PIBD 2020, 1150, III-3 ; D, 40, 19 nov. 2020 ; Propr. industr., janv. 2021, comm. 6, P. Tréfigny ; L'Essentiel, janv. 2021, p. 6, D. Lefranc ; Légipresse, 397, nov. 2021, p. 570, M.-S. Bergazov).