Jurisprudence
Marques

Reconditionnement d’un médicament générique par un importateur parallèle avec apposition de la marque du médicament de référence aux fins de commercialisation dans le pays d’importation

PIBD 1200-III-2
CJUE, 17 novembre 2022

Contrefaçon des marques de l'UE - Épuisement des droits - Importation parallèle - Reconditionnement d’un médicament générique - Apposition de la marque du médicament de référence - Produit identique - Fabricants économiquement liés - Cloisonnement artificiel des marchés entre les États membres

Texte

Les questions préjudicielles ont été présentées dans le cadre de deux litiges à l’occasion desquels le titulaire de marques de médicaments de référence s’est opposé au reconditionnement des médicaments par des importateurs parallèles, avec le remplacement des marques des médicaments génériques mis sur le marché dans l’État membre d’exportation par celles des médicaments de référence correspondants commercialisés dans l’État membre d’importation.

Le droit exclusif dont bénéficie le titulaire de la marque lui permet d’interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, d’apposer le signe en cause sur des produits ou sur leur conditionnement, ainsi que d’importer et de commercialiser des produits sous ce signe. Selon une jurisprudence constante, le reconditionnement d’un produit revêtu d’une marque, opéré par un tiers sans l’autorisation du titulaire de celle-ci, est susceptible de créer des risques réels pour la garantie de provenance de ce produit.

Les dispositions relatives à l’épuisement du droit conféré par la marque visent à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et de la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur.

Plus particulièrement, l’opposition du titulaire de la marque au reconditionnement, en tant qu’elle constitue une dérogation à la libre circulation des marchandises, ne peut être admise si l’exercice, par le titulaire, du droit conféré par la marque constitue une restriction déguisée au commerce entre les États membres, au sens de l’article 36, seconde phrase, du TFUE. L’exercice de ce droit de s’opposer au reconditionnement constitue une telle restriction s’il contribue à cloisonner artificiellement les marchés entre les États membres et si, par ailleurs, le reconditionnement a lieu de telle manière que les intérêts légitimes du titulaire sont respectés, ce qui implique notamment que le reconditionnement n’affecte pas l’état originaire du médicament ou n’est pas de nature à nuire à la réputation de la marque. Toutefois, la Cour de justice a jugé qu’il convient, dans l’intérêt du titulaire en tant que propriétaire de la marque et pour le protéger contre tout abus, de n’admettre que l'importateur puisse commercialiser, sous cette marque, des produits reconditionnés qu'à condition que celui-ci respecte certaines autres exigences.

Ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, le titulaire d’une marque peut légitimement s’opposer à la commercialisation ultérieure dans un État membre d’un produit pharmaceutique revêtu de sa marque et importé d’un autre État membre, lorsque l’importateur de ce produit a reconditionné celui-ci et y a réapposé cette marque, à moins, notamment, qu’il soit établi que l’utilisation du droit de marque par le titulaire pour s’opposer à la commercialisation du produit reconditionné sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres.

La Cour de justice a notamment jugé que contribue à un cloisonnement artificiel des marchés entre les États membres, l’opposition du titulaire de la marque au reconditionnement de médicaments lorsque celui-ci est nécessaire afin que le produit importé parallèlement puisse être commercialisé dans l’État membre d’importation. Cette condition de nécessité est remplie, notamment, lorsque les circonstances prévalant au moment de la commercialisation dans l’État membre d’importation font obstacle à la mise sur le marché du médicament dans le même conditionnement que celui dans lequel il est commercialisé dans l’État membre d’exportation, rendant ainsi le reconditionnement objectivement nécessaire. En revanche, cette condition n’est pas remplie si le reconditionnement du produit s’explique exclusivement par la recherche, par l’importateur parallèle, d’un avantage commercial.

Contribue également à un cloisonnement artificiel des marchés entre États membres, le fait, pour le titulaire de la marque, qui commercialise dans différents États membres un médicament identique sous des marques différentes selon l’État membre dans lequel celui-ci est commercialisé, de s’opposer au remplacement de la marque utilisée dans l’État membre d’exportation par celle utilisée par ce titulaire dans l’État membre d’importation, lorsque ce remplacement est objectivement nécessaire pour la commercialisation du médicament dans ce dernier État membre par l’importateur parallèle.

Seul un médicament en tout point identique à un autre médicament saurait faire l’objet d’un reconditionnement dans un nouvel emballage extérieur sur lequel a été apposée la marque de cet autre médicament. Tel peut être le cas, notamment, comme dans les affaires au principal, d’un médicament de référence et d’un médicament générique fabriqués par la même entité ou par des entités économiquement liées et qui, en réalité, constituent un seul et même produit commercialisé sous deux régimes différents.

Dans cette hypothèse, le titulaire des marques concernées ne peut s’opposer au remplacement de la marque dont il fait usage dans l’État membre d’exportation par celle qu’il appose sur les médicaments qu’il commercialise dans l’État membre d’importation s’il est établi, par l’importateur parallèle, que ce remplacement est objectivement nécessaire pour que ces médicaments puissent être commercialisés dans ce dernier État membre.

À l’inverse, si l’importateur parallèle est en mesure de commercialiser le produit sous sa marque d’origine en adaptant, le cas échéant, l’emballage afin de satisfaire aux exigences du marché de l’État membre d’importation, la condition de nécessité n’est pas remplie.

En outre, comme le souligne l’avocat général dans ses conclusions, un État membre ne saurait, en principe, refuser de délivrer une autorisation d’importation parallèle d’un médicament générique lorsque le médicament de référence correspondant dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans cet État membre, à moins qu’un tel refus ne soit justifié par des raisons tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes.

Lorsqu’un médicament générique correspond en tout point au médicament de référence qui bénéficie d’une telle autorisation, l’importateur parallèle doit être considéré comme étant en mesure de commercialiser le médicament générique sous sa marque d’origine.

Enfin, le droit du titulaire de la marque de s’opposer à la commercialisation, sous cette marque, de produits reconditionnés par un importateur parallèle ne saurait être limité lorsque le remplacement de la marque d’origine par une autre marque du titulaire est exclusivement motivé par la poursuite d’un avantage économique, comme c’est le cas, notamment, lorsqu’un opérateur économique cherche à tirer profit de la renommée de la marque d’un médicament de référence ou à positionner un produit dans une catégorie plus rémunératrice.

Cour de justice de l’Union européenne, 5e ch., 17 novembre 2022, C‑253/20 et C‑254/20 (M20220340 ; Europe, janv. 2023, comm. 11, V. Bassani-Winckler ; Propr. industr., janv. 2023, comm. 3, A. Folliard-Monguiral)[1]
Impexeco NV c. Novartis AG (C‑253/20) ; PI Pharma NV c. Novartis AG et Novartis Pharma NV (C‑254/20)
(Décision préjudicielle)

[1] Trois arrêts ont été rendus le même jour par la Cour de justice dans le cadre de litiges entre des fabricants de médicaments et des importateurs parallèles de produits pharmaceutiques (CJUE, 5e ch., 17 nov. 2022, Bayer Intellectual Property GmbH, C‑204/20, M20220341, Propr. industr., janv. 2023, comm. 2, A. Folliard-Monguiral ; CJUE, 5e ch., 17 nov. 2022, Novartis Pharma GmbH, C‑147/20, M20220339 ; CJUE, 5e ch., 17 nov. 2022, Merck Sharp & Dohme, C-224/20, M20220337).