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Résultats de l’étude de l’OEB sur l’introduction d’un délai de grâce pour le brevet européen

PIBD 1186-I-3
Par Anaïs Moreno
Texte

Par Anaïs Moreno, rédactrice au PIBD

Le 17 juin 2022, l’Office européen des brevets a publié les résultats de son analyse d’impact sur l’éventuelle introduction d’un délai de grâce dans le système européen des brevets1. Cette étude a pour objectif de fournir une évaluation factuelle et quantitative de l'impact économique potentiel d’une telle modification. L'étude est basée sur une enquête internationale auprès des demandeurs de brevets européens, complétée par des consultations d'utilisateurs et des recherches documentaires.

Le délai de grâce est une période limitée précédant le dépôt d’un brevet, durant laquelle un futur déposant peut divulguer son invention sans détruire la nouveauté nécessaire à sa brevetabilité.

Actuellement, l’OEB applique une exigence stricte de nouveauté comme condition de brevetabilité. Cela signifie que toute divulgation, volontaire ou non, précédant le dépôt d’une demande de brevet s’oppose à la brevetabilité de l’invention.

L’introduction d’un délai de grâce contribuerait à une harmonisation des procédures brevet sur le plan international, mais entrerait en contradiction avec la version actuelle de l’article 54 de la Convention sur le brevet européen.

La question du délai de grâce porte non seulement sur le bien-fondé de sa mise en place mais également sur les modalités de celle-ci.

L’une des modalités fondamentales est la durée du délai de grâce, qui varie aujourd’hui entre six et trente mois selon les différentes régions du monde. L’OEB a retenu une hypothèse de six mois pour son étude.

Le délai de grâce est pratiqué notamment aux États-Unis et au Japon (délais de grâce d’une durée d’un an).

Qui seraient les bénéficiaires du délai de grâce ?

Une première étude menée par l’OEB en 2014 avait déjà démontré que, si une période de grâce était introduite dans le système du brevet européen, elle serait plus susceptible d’être utilisée par les universités et les PME que par les grandes entreprises.

Les résultats de l’étude qui viennent d’être divulgués apportent plusieurs réponses supplémentaires sur l’impact de l’introduction d’un délai de grâce en Europe.

En effet, selon l’OEB, une grande partie des acteurs économiques, et en particulier les grandes entreprises, n’en subiraient pas ou peu de conséquences, car ils se sont organisés pour satisfaire à l’exigence stricte de nouveauté.

Confirmant les résultats de 2014, les nouveaux résultats montrent que les universités européennes bénéficieraient significativement de cette procédure, puisque près de 8 % des dépôts universitaires européens sont refusés à cause d’une divulgation précoce, liée à la nécessité de rendre publics les résultats dans le monde scientifique.

En cohérence avec le délai de grâce de leur système national de brevet, les entreprises américaines, japonaises et coréennes seraient parmi celles qui bénéficieraient le plus de cette évolution.

Estimation de l’impact de l’exigence stricte de nouveauté par catégorie de demandeur auprès de l’OEB

Quel volume de dépôts serait concerné ?

D’après l’étude, le délai de grâce serait utilisé pour dix mille demandes de brevet par an, ce qui correspondrait à 6 % des demandes de brevet européen déposées en 2021.

Ces dix mille demandes se diviseraient en deux catégories de même volume. En effet, il est estimé que cinq mille demandes auraient recours au délai de grâce comme un « filet de sécurité » après une divulgation accidentelle, et cinq mille autres auraient recours au délai de grâce de façon stratégique pour permettre une communication précoce de l’invention.

Quelles seraient les modalités du délai de grâce ?

Les intérêts en conflit à ce sujet sont, d’une part, la souplesse pour les déposants qui, outre les cas de divulgation accidentelle, peuvent avoir un intérêt économique à une divulgation précoce et, d’autre part, l’insécurité juridique pour les tiers qui, pendant ce délai de grâce, seront en difficulté pour définir l’état de l’art de l’invention brevetable.

Pour ajuster l’équilibre entre ces deux intérêts contradictoires, plusieurs modalités sont possibles : un « droit d’usage antérieur » et une « exigence de déclaration ».

Le droit d’usage antérieur est notamment pratiqué en Australie. Il consiste à conférer aux tiers de bonne foi, qui se sont engagés dans des activités utilisant l’invention rendue publique pendant le délai de grâce, la possibilité de continuer à poursuivre ces activités après la délivrance du brevet. Cette utilisation de l’invention est toutefois restreinte.

L’exigence de déclaration, quant à elle, est pratiquée notamment au Japon et en Corée. Elle consiste, pour le futur déposant, à déclarer où et quand la divulgation a eu lieu. Cette déclaration est accessible facilement aux tiers qui peuvent donc vérifier rapidement si une invention fait partie de l’état de l’art ou est susceptible d’être brevetée prochainement.

L’étude de l’OEB a comparé l’impact de quatre options différentes concernant le délai de grâce :

  • un délai de grâce sans restriction,
  • un délai de grâce avec exigence de déclaration,
  • un délai de grâce avec droit d’usage antérieur,
  • un délai de grâce avec droit d’usage antérieur et exigence de déclaration.
Fréquence du recours au délai de grâce

L’étude montre que le délai de grâce sans restriction (modèle américain) affecterait le plus l'équilibre du système européen des brevets. Il entraînerait à la fois la plus grande fréquence d'utilisation du délai de grâce et le niveau le plus élevé d'incertitude juridique perçue (55 % environ). Les entreprises américaines seraient les principales utilisatrices du délai de grâce, tandis que l’incertitude juridique perçue par les acteurs concernés affecterait principalement les entreprises européennes.

Dans ce contexte, l'introduction de mécanismes d'équilibrage aurait un effet dissuasif important.

D’après les résultats de l’OEB, l’introduction d’une exigence de déclaration (modèles japonais et coréen), diminuerait de 42 % l’utilisation estimée du délai de grâce et constituerait l’option selon laquelle l’insécurité juridique perçue est la plus faible (36,6 %).

L’introduction d’un droit d’usage antérieur, quant à elle, ferait chuter de manière beaucoup plus importante l’utilisation estimée du délai de grâce (- 67 %), mais provoquerait une perception d’insécurité juridique plus élevée (44,1 %).

Enfin, selon l’étude, la combinaison des deux mécanismes restrictifs provoquerait une utilisation estimée du délai de grâce aussi faible que celle provoquée par l’introduction d’un droit d’usage antérieur (- 65 %) et une limitation de l’insécurité juridique presque identique à l’introduction d’une exigence de déclaration (38 %).  

Le communiqué de l’OEB conclut en indiquant que les résultats de cette étude contribueront aux discussions politiques sur le système international des brevets et sur la manière dont il influe non seulement sur les demandeurs mais également sur la société dans son ensemble.