Validité de la marque tridimensionnelle (oui) - Forme du produit - Caractère distinctif (oui) - Droit de l’UE - Usages du secteur - Fonction d’indication d’origine - Caractère descriptif (non) - Forme imposée par la nature ou la fonction du produit (non) - Multiplicité des formes - Caractère esthétique
Action pour atteinte à la marque de renommée - Recevabilité du licencié (non) - Défaut d’intérêt à agir - Loi applicable
Atteinte à la marque de renommée (oui) - Renommée - Usage du signe sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif - Usage à titre de marque - Adjonction d’une marque ombrelle - Lien entre le signe contesté et la marque - Similitude visuelle et intellectuelle - Preuve - Sondage - Famille de marques - Déclinaison - Préjudice porté au caractère distinctif de la marque
Parasitisme (non) - Volonté de se placer dans le sillage d’autrui - Imitation du conditionnement - Marques de distributeurs - Couleurs - Banalité - Nécessité fonctionnelle
Est valable la marque tridimensionnelle couvrant le signe constitué d’un bâtonnet long et effilé au bout arrondi, de base cylindrique et d'apparence lisse, inspiré du jeu Mikado, et représentant l’apparence des produits visés à l’enregistrement (biscuits enrobés ou nappés notamment de chocolat ou de caramel).
En premier lieu, elle présente un caractère distinctif intrinsèque. La CJUE a déclaré que, si les critères d'appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par l'apparence du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques, la perception du consommateur moyen n'est pas nécessairement la même que dans le cas d’une marque verbale ou figurative. Les consommateurs moyens n'ont, en effet, pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel. Par conséquent, selon la CJUE, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine, n'est pas dépourvue de caractère distinctif[1].
En l’espèce, le marché pertinent à prendre en considération est celui des biscuits sucrés et non celui des biscuits salés. Ces produits présentent en effet une différence de nature se traduisant notamment par des modes de consommation différents, quand bien même ils seraient composés des mêmes ingrédients. Par ailleurs, il ne peut être déduit du mode commun de distribution de ces produits, qui sont vendus dans des distributeurs automatiques au même titre que les boissons, qu’ils relèveraient du même marché du snacking.
Si l'utilisation des couleurs jaune et marron, respectivement pour le biscuit et le chocolat, est banale dans le secteur concerné, il n'est pas justifié que la forme d'un bâtonnet long et effilé au bout arrondi, de base cylindrique et d'apparence lisse, ait été courante pour les biscuits sucrés lors de l'enregistrement de la marque invoquée.
En second lieu, la marque tridimensionnelle invoquée ne présente pas un caractère descriptif. Un tel caractère ne saurait se confondre avec le caractère évocateur du signe par rapport aux produits. Si le signe couvert par la marque représente bien l'apparence des produits visés à l’enregistrement, il n'est pas une représentation des « biscuits enrobés ou nappés notamment, de chocolat ou de caramel », de tels produits pouvant revêtir de nombreuses apparences, ainsi que l'illustrent les pièces versées aux débats. Le signe n'est qu'une des représentations non nécessaires des produits visés et le libellé ne dit rien de leurs formes, de leurs proportions, de leur enrobage ou de leurs couleurs.
Par ailleurs, les biscuits et le chocolat pouvant prendre différentes couleurs par le recours aux colorants alimentaires, les couleurs jaune et marron choisies ne sont pas imposées par la nature du produit visé par la marque. De même, la fonction d'un biscuit enrobé ou nappé, notamment de chocolat ou de caramel, qui est d'être mangé, n'induit pas la forme protégée par la marque invoquée, cette forme ne correspondant qu'à l'une des nombreuses formes que peut prendre un tel biscuit. La société défenderesse soutient que la forme du bâtonnet, cylindrique et lisse, est induite par la nécessité de le napper facilement de chocolat. Mais il ressort du dossier que des biscuits nappés ou enrobés de chocolat ou de caramel présentent de multiples formes, et il n'est pas établi que cette forme facilite le nappage plus qu'une autre. De plus, si l'embout dénudé a une utilité en ce qu'il permet au consommateur de manger le biscuit sans se salir les doigts, cette fonction peut être remplie par d'autres formes. Enfin, il n'est pas établi que la forme fine et longue participe à améliorer le caractère croquant du biscuit ou la saveur chocolatée de son nappage. Dès lors, si le signe couvert par la marque représente un biscuit, sa forme ne constitue pas un résultat technique. Les proportions du nappage et la place qu'occupe celui-ci présentent une dimension esthétique plus importante que l'utilité de ne pas couvrir entièrement le biscuit afin de permettre sa dégustation sans que le consommateur ne se salisse les doigts. Le signe n’est donc pas constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit désigné.
En vertu du droit antérieur à l’application des nouvelles dispositions issues de l’ordonnance du 13 novembre 2019, seul le propriétaire de la marque peut agir au titre de l'atteinte à la marque de renommée. Les autres sociétés demanderesses, licenciée et sous-licenciée, ne peuvent déduire des nouveaux textes applicables qu'ils ont modifié les dispositions applicables lors de l'introduction de la demande. Par ailleurs, elles ne rapportent pas la preuve de la poursuite éventuelle des actes incriminés postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Elles sont donc irrecevables à agir sur ce fondement, faute d’intérêt.
Pour déterminer si une marque est connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque, et donc qu’elle est renommée, le juge peut prendre en compte l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif. La représentation bidimensionnelle d'une marque tridimensionnelle peut faciliter la connaissance de la marque par le public pertinent lorsqu'elle permet de percevoir les éléments essentiels de la forme tridimensionnelle du produit. En l’espèce, à partir de 2009, un signe correspondant à la marque se trouve représenté sur une face du conditionnement des biscuits Mikado. Il s'agit d'une représentation très proche de la marque, caractérisant un usage à titre de marque, le produit n'étant pas représenté pour lui-même mais en tant que signe le rattachant à une entreprise ou à des marques ombrelles. Le signe figure presque toujours sous la marque MIKADO en gros caractères, avec un rond rouge. La surimpression de cette marque n'est pas de nature à altérer le caractère distinctif de la marque tridimensionnelle dont les caractéristiques essentielles peuvent être appréciées très facilement. La représentation du signe sous forme plurielle sur les emballages, qui peut illustrer les biscuits qui y sont contenus, correspond aussi à la représentation de la marque tridimensionnelle sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif. La particularité de la forme des biscuits ainsi reproduite sera perçue, au-delà de la représentation du produit lui-même, comme une identification de l'origine commerciale de celui-ci, au vu de la place occupée par le signe et de sa position.
L'ensemble des éléments versés aux débats (campagnes publicitaires, investissements réalisés, volume des ventes, état des parts de marché, sondages...) établit que la marque tridimensionnelle invoquée bénéficie d'une renommée acquise, comme l’ont reconnu la chambre de recours de l'EUIPO puis le Tribunal de l'Union européenne dans une autre affaire[2]. Malgré sa forme torsadée lui donnant un aspect légèrement plus massif et qui évoquerait, selon la société défenderesse, la mèche d’une perceuse, le biscuit incriminé présente, avec la forme protégée par la marque tridimensionnelle, une proximité visuelle et conceptuelle certaine qui est suffisante pour que le public concerné effectue un rapprochement et établisse un lien entre les signes. La présence d'un nouveau signe similaire à la marque invoquée révèle l'existence d'un risque de préjudice porté au caractère distinctif de celle-ci, la forte augmentation des ventes de biscuits bâtonnets de marques de distributeurs, comme celle de la société défenderesse, leader sur ce marché, se traduisant nécessairement par une dépréciation de la marque. La défenderesse a donc porté atteinte à la marque de renommée invoquée en produisant et en commercialisant en France les biscuits contestés.
Cour d'appel de Versailles, 12e ch., 2 novembre 2023, 21/01236 (M20230218)[3]
Générale Biscuit Glico-France SA, Mondelez France SAS et Mondelez Europe GmbH c. Biscuits Poult SAS
(Infirmation partielle TJ Nanterre, 1re ch., 12 nov. 2020, 16/11962)
[1] Ce principe a été récemment rappelé par la Cour de cassation dans un litige portant sur le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle demandée à l’enregistrement, qui représentait la forme d’un fromage et était destinée à distinguer les fromages (Cass. com., 27 sept. 2023, 22-13.827 ; M20230177 ; PIBD 2023, 1213-III-2 ; Les MÀJ Irpi, 52, nov. 2023, p. 5-6, G. de Feydeau ; L’Essentiel Droit de la propr. intell., 11, 1er déc. 2023, p. 5, A.-E. Kahn).
[2] TUE, 9e ch., 28 févr. 2019, Lotte Corp. c. EUIPO et Générale Biscuit Glico-France, T‑459/18.
[3] La marque tridimensionnelle « Mikado » n° 3 386 825 a fait l’objet d’un précédent litige, opposant les mêmes sociétés demanderesses à d’autres sociétés, qui portait également sur la validité de cette marque et l’atteinte à sa renommée. La cour d’appel de Paris a estimé que la marque présentait un caractère distinctif et que le signe n’était pas constitué exclusivement par la forme imposée par la fonction du produit visé à l’enregistrement (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 9 mars 2018, Générale Biscuit Glico-France SA et al. c. Griesson de Beukelaer GmbH & Co. KG et al., 16/24260 ; M20180111 ; PIBD 2018, 1093, III-302 avec une note). En revanche, contrairement à la cour d’appel de Versailles dans le présent litige, elle a considéré que la preuve de la renommée de la marque n’était pas rapportée. La Cour de cassation a cassé l’arrêt sur ce point et énoncé que, pour apprécier si une marque était renommée, le juge devait prendre en compte « l'usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, la représentation bidimensionnelle d'une marque tridimensionnelle pouvant notamment faciliter la connaissance de la marque par le public pertinent lorsqu'elle permet de percevoir les éléments essentiels de la forme tridimensionnelle du produit » (Cass. com., 27 mai 2021, 18/17760 ; M20210129 ; PIBD 2021, 1165, III-3 ; L'Essentiel, 8, sept. 2021, p. 6, A.-E. Kahn). La note sous l’arrêt de la cour d’appel fait le point sur la jurisprudence rendue sur le caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme d’une confiserie, d’un biscuit ou d’un chocolat. Il en ressort que les juges français reconnaissent beaucoup plus facilement le caractère distinctif de ce type de marque que ne le font le Tribunal ou la Cour de justice de l’Union européenne statuant sur des recours contre des décisions de l’EUIPO. Dans une affaire plus récente que celles citées dans la note, concernant une marque de l’Union européenne représentant les barres chocolatées « Kit Kat », la Cour de justice a approuvé le Tribunal d’avoir sanctionné la chambre de recours de l’EUIPO qui avait retenu l’acquisition du caractère distinctif par l’usage (CJUE, 3e ch., 25 juill. 2018, Société des produits Nestlé SA et al. c. Mondelez UK Holdings & Services Ltd, C‑84/17, C‑85/17 et C‑95/17 ; M20180284 ; PIBD 2018, 1100, III-540 ; Dalloz IP/IT, sept. 2018, p. 455, note ; Propr. industr., sept. 2018, p. 48, A. Folliard-Monguiral ; Propr. intell., 69, oct. 2018, p. 64, Y. Basire ; RJDA, janv. 2019, p. 68, note ; Dalloz, 8, 7 mars 2019, p. 456, note).