Jurisprudence
Brevets

Validité d’un brevet européen portant sur une cale d’épaisseur et son procédé de fabrication - Absence de contrefaçon par équivalence ou par fourniture de moyens

PIBD 1203-III-2
CA Paris, 3 février 2023

Validité du jugement (oui) - Décision sur la validité du brevet - Respect du principe du contradictoire - Décision ultra petita

Validité du brevet européen (oui) - Produit et procédé - Homme du métier - Domaine technique - Problème à résoudre - 1) Description suffisante (oui) - Exécution par l'homme du métier - Simples opérations d'exécution - Connaissances professionnelles normales - Valeur - Essais - 2) Nouveauté (oui) - Divulgation par le présumé contrefacteur - Accessibilité au public - Confidentialité - Antériorité certaine dans son contenu - 3) Activité inventive (oui) - Référence à la procédure OEB - Modification de la revendication principale - Ajout d'une caractéristique - Évidence - État de la technique - Problème à résoudre différent - Préjugé à vaincre - Revendications dépendantes

Contrefaçon du brevet (non) - Preuve - Saisie-contrefaçon dans un salon professionnel - Constat d'huissier - Reproduction des caractéristiques essentielles - Contrefaçon par équivalence (non) - Fonction connue - Revendications dépendantes - Contrefaçon par fourniture de moyens (non)

Texte

La demande en nullité du brevet européen portant sur une cale d’épaisseur et son procédé de fabrication est rejetée. Il s’agit d’un produit stratifié constitué de feuilles métalliques, présentant une épaisseur réglable par délitage. Les problèmes techniques que se propose de résoudre l'invention sont le maintien d'une cale d'épaisseur pelable au moment de sa mise en place entre deux éléments à assembler afin d'éviter le risque de chute, et le pliage ou la déformation par l'application d'une force de cisaillement à ce produit stratifié sans rupture, c'est-à-dire en maintenant les feuilles agglomérées entre elles. Ainsi, l'invention met en œuvre des techniques relevant de domaines différents à savoir d'une part, le domaine technique des cales d'épaisseur pour l'industrie qui sont insérées entre deux pièces pour en résorber le jeu avant de les serrer et, d'autre part, celui des produits stratifiés et leur résistance au pliage. Par conséquent, l'homme du métier à prendre en considération est le spécialiste des cales d'épaisseur pelables qui connaît à la fois la problématique du maintien des cales d'épaisseur entre deux éléments et la question de l'agglomération des feuilles composant cette cale pour permettre de les peler pour en assurer un meilleur maintien et qui a donc des connaissances en chimie.

L’invention en cause est suffisamment décrite. La société poursuivie ne peut être suivie lorsqu’elle affirme, sans le démontrer, que l’homme du métier tel que précédemment défini devra procéder à d'importantes expériences pour découvrir la bonne résine, le solvant adéquat, leurs proportion, température et durée de cuisson ainsi que les bons moment ou force pour procéder au cisaillement et l'angle de pliage à réaliser. En effet, l’homme du métier, au vu des informations de la description et de ses connaissances techniques notamment dans le domaine du matériau stratifié, pourra réaliser l'invention, sans aller au-delà de simples essais de routine.

Le brevet n’encourt pas la nullité pour défaut de nouveauté. Une antériorité doit être certaine dans la consistance de ce qu’elle divulgue et dans sa date. En l’espèce, la société poursuivie se prévaut d’un message qu’elle a adressé à un tiers antérieurement à la date de dépôt du brevet, qui concerne le développement technique de cales pelables pliées et comporte des photographies des produits. Le titulaire du brevet ne peut contester la divulgation de ce document au public, le prétendu caractère confidentiel des informations qu’il contient ne pouvant être déduit d’une formule d'usage inscrite au bas du document. En tout état de cause, les informations et les photographies sont insuffisantes à démontrer qu'elles permettent à l'homme du métier d'exécuter l’invention. Le courriel ne caractérise donc pas un accès direct et non ambigu à l'invention.

La revendication principale présente une activité inventive. Afin de répondre aux objections de l’examinateur de l’OEB, le titulaire du brevet a modifié la revendication telle que déposée pour y intégrer la caractéristique de la revendication 2 « en ce qu’elle comprend au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche ». L’état de la technique le plus proche est constitué par un brevet européen qui a pour but de proposer un produit composite laminé pelable permettant d'amortir les vibrations le traversant, dont les lamelles sont séparées ou adhérisées par une pellicule de matériau liant. Il n'est pas démontré que l'homme du métier serait amené de manière évidente, avec l'aide de ses seules connaissances, à plier la cale objet de ce brevet pour résoudre le problème de maintien d'une cale d'épaisseur pelable au moment de sa mise en place entre deux éléments à assembler afin d'éviter le risque de chute. En effet, outre que le brevet antérieur n'évoque nullement le problème de maintien des cales, aucun élément ne vient établir que l'homme du métier est incité à déformer par cisaillement cette cale pour créer une patte d'accroche, celui-ci apparaissant en être plutôt dissuadé par la présence d'une couche en un matériau différent en polymère. Si une figure du brevet antérieur montre une lamelle métallique partiellement pelée, elle ne divulgue ni ne suggère une patte d'accroche permettant de résoudre la question du maintien des cales entre les pièces à assembler.

De même, la société poursuivie n’explique pas en quoi l’homme du métier serait amené à combiner les enseignements de ce brevet antérieur avec ceux d’autres brevets invoqués qui divulguent des systèmes de cales notamment avec des courbures, pour parvenir de manière évidente à l’invention brevetée.  Le problème à résoudre dans le brevet litigieux n'a pas été posé dans les antériorités citées qui ne suggèrent pas davantage les moyens techniques permettant d'obtenir la solution recherchée. Par ailleurs, il n'est pas démontré que l'homme du métier était à même, avec ses seules connaissances et sans faire œuvre inventive, de proposer de résoudre le problème posé par l'invention avec des moyens employés à d'autres fins.

Il ressort des constatations effectuées lors des opérations de saisie-contrefaçon que la cale saisie sur le stand de la société poursuivie lors d’un salon professionnel est une cale d'épaisseur composée de couches métalliques fines collées les unes aux autres et qui comporte à une extrémité une patte en dehors du plan qui peut servir à accrocher. Il est relevé par l’huissier et l’expert qui l’accompagne qu’il est possible d’enlever des couches métalliques pour ajuster l’épaisseur. Toutefois, il n'est pas établi que ce produit reproduit l’ensemble des caractéristiques de cette revendication. Notamment, il apparaît clairement de deux procès-verbaux de constat présentant des photographies en gros plan du produit saisi, que celui-ci montre une rupture puisqu’il présente différents blocs de feuilles séparées les unes des autres au niveau de la patte d'accroche, ce qui conduit à considérer que les feuilles de métal composant celui-ci ont collé les unes aux autres sans glisser les unes sur les autres, ce dernier point étant une caractéristique essentielle de la revendication principale du brevet.

La contrefaçon par équivalence n’est pas caractérisée. Celle-ci peut être retenue lorsque le moyen revendiqué par le brevet n'est pas reproduit intégralement par le dispositif en cause, mais que la forme différente de celui-ci exerce la même fonction que ce moyen pour un résultat identique ou similaire, à condition que la fonction ne soit pas connue de l’état de la technique. En l’espèce, les pièces figurant sur les photographies jointes au courriel envoyé par la société poursuivie à un tiers antérieurement au dépôt du brevet litigieux, comme la cale saisie lors des opérations de saisie-contrefaçon, présentent une extrémité sortant du plan. S'il est exact qu'il n'est pas précisé dans le courriel la fonction de cette extrémité, tel est le cas également de la pièce objet de la saisie-contrefaçon, cette fonction ne résultant que des déclarations générales de l'expert selon lesquelles le produit « comporte une patte en dehors du plan, la patte peut servir à accrocher » et non d'un autre élément tel un document technique émanant de la société poursuivie. Si cette extrémité est considérée comme une patte d'accroche ayant pour fonction de bloquer la cale pour la pièce saisie, ce qu'affirme le titulaire du brevet, il doit nécessairement en être de même pour la cale objet du courriel dont il n'est pas discuté qu'il est antérieur à la date du dépôt du brevet opposé. Par conséquent, la fonction visée dans le contexte de la revendication était connue de l'état de la technique.

La contrefaçon par fourniture de moyens n’est pas davantage établie. En effet, il n’est pas établi que les cales litigieuses reproduiraient les caractéristiques de la cale visée dans la revendication indépendante de procédé pour procéder au calage, de sorte qu'elles constitueraient un moyen essentiel à la mise en œuvre de l'invention sur le territoire français et surtout que la société poursuivie savait que celles-ci étaient aptes ou destinées à cette mise en œuvre.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 3 février 2023, 20/10255 (B20230013)
Lameco SA c. D T GmbH
(Infirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 12 mars 2020, 17/13662)