Atteinte à l’AOP - Portée de la protection - Reproduction de la forme ou de l’apparence du produit couvert par l’AOP - Pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur sur l’origine du produit
En réponse à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation, la Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt[1] du 17 décembre 2020, a dit que la réglementation sur les AOP n’interdisait pas uniquement l'utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée, mais aussi la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant le produit couvert par la dénomination lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par l'AOP.
La cour d’appel a rejeté les demandes en responsabilité pour concurrence déloyale et parasitaire et pour atteinte à l’AOP Morbier dirigées contre la société défenderesse pour avoir commercialisé un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par cette appellation. Elle a énoncé que la réglementation sur les AOP ne visait pas à protéger l'apparence d'un produit ou ses caractéristiques décrites dans le cahier des charges, mais sa dénomination, de sorte qu'elle n'interdisait pas la fabrication d'un produit selon les mêmes techniques que celles définies dans les normes applicables à l'indication géographique et qu'en l'absence de droit privatif, la reprise de l'apparence d'un produit n'était pas fautive, mais relevait de la liberté du commerce et de la libre concurrence.
Elle a notamment constaté que les caractéristiques invoquées relevaient d'une tradition historique et avaient été mises en œuvre par la société défenderesse, avant même l'obtention de l'AOP Morbier. Elle a également relevé des différences entre les deux fromages en cause, par exemple l’utilisation du lait pasteurisé à la place du lait cru, qui serait une caractéristique essentielle eu égard au public visé. Elle en a déduit que le demandeur tentait d'étendre la protection dont bénéficie la dénomination « Morbier » dans un intérêt commercial illégitime et contraire au principe de la libre concurrence.
Cet arrêt doit être cassé, la cour d’appel n’ayant pas recherché si le trait bleu horizontal invoqué, qui serait, selon elle, une technique ancestrale se retrouvant dans d'autres fromages, ne constituait pas une caractéristique de référence et particulièrement distinctive du fromage « Morbier » et, dans l’affirmative, si sa reproduction, combinée avec tous les facteurs pertinents de l'espèce, n’était pas susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit commercialisé sous la dénomination « Montboissié ».
Cour de cassation, ch. com., 14 avril 2021, U 17-25.822 (M20210327)
Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier c. Société Fromagère du Livradois SAS
(Cassation partielle CA Paris, pôle 5, 2e ch., 16 juin 2017, 16/11371, M20170316, Propr. intell., 65, oct. 2017, p. 89, note de C. Le Goffic ; Cass. com., 19 juin 2019, U 17/25.822, P20190064, PIBD 2019, 1121, III-377, L'Essentiel, 9, oct. 2019, p. 7, note de S. Chatry, Propr. intell., 73, oct. 2019, p. 66, note de C. Le Goffic)
[1] CJUE, 5e ch., 17 déc. 2020, Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier c. Société Fromagère du Livradois SAS, C-490/19 (P20200079 ; PIBD 2021, 1152, III-7 ; Dalloz IP/IT, janv. 2021, p. 7, note de N. Maximin ; Europe, févr. 2021, comm. 59, A. Rigaux ; Contrats, conc. consom., févr. 2021, comm. 33, S. Bernheim-Desvaux).