Par Baptiste Deschamps, rédacteur au PIBD
Le 7 avril 2022, la chambre d’admission des pourvois de la Cour de justice de l’Union européenne a admis, pour la première fois, un pourvoi formé en droit des marques[1] depuis la mise en place des nouvelles règles procédurales concernant l'admission des pourvois dans les affaires ayant déjà bénéficié d'un double examen par une chambre de recours d'un office de l'Union européenne et par le Tribunal de l'Union européenne.
Après l’admission, le 10 décembre 2021, d’un pourvoi en matière de dessins et modèles communautaires[2], la chambre d’admission s’est vue être interrogée, une nouvelle fois par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), sur l'importance de la question soulevée par un pourvoi pour l’unité, la cohérence et le développement du droit de l’Union. L’affaire s’inscrit dans le contexte du Brexit, lequel emporte des conséquences sur les procédures d’opposition en cours et notamment sur la question de l’intérêt à agir devant le Tribunal de l'Union européenne et du moment à prendre en compte pour l’apprécier.
L’EUIPO s’interroge, dans le moyen unique de son pourvoi, sur la détermination de la date et des circonstances devant être retenues pour apprécier la persistance de l’objet du litige et de l’intérêt à agir lorsque, d’une part, le litige porté devant le Tribunal est relatif à une décision adoptée à l’issue d’une procédure d’opposition fondée sur un droit antérieur protégé uniquement au Royaume-Uni[3] et, d’autre part, la période de transition établie par l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne[4] a pris fin au cours de l’instance devant le Tribunal.
En l’espèce, l’office demande l’annulation de l’arrêt du 6 octobre 2021[5] par lequel le Tribunal a annulé la décision de la chambre de recours de l’EUIPO du 2 avril 2020[6] ayant approuvé le rejet de l'opposition à l'enregistrement d'une marque figurative de l'Union européenne formée sur la base de la marque verbale antérieure BASMATI non enregistrée au Royaume-Uni.
L’EUIPO soutient que, en estimant que l’affaire portée devant le Tribunal n’avait pas perdu son objet et que l’intérêt à agir de la partie demanderesse en première instance perdurait, le Tribunal a violé la condition indispensable et fondamentale de toute action en justice, tenant à la persistance de l’objet du litige et de l’intérêt à agir jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer (pt.8). Lui reprochant d’avoir commis une erreur de droit en déduisant que l’objet du recours persistait, du simple fait que la fin de la période de transition n’était pas susceptible d’affecter la légalité de la décision litigieuse adoptée antérieurement (pt.9), l’EUIPO regrette l’absence d’appréciation in concreto de la persistance de l’intérêt à agir de la demanderesse. En effet, le Tribunal n'aurait pas recherché si le recours formé devant lui était susceptible de procurer à celle-ci un bénéfice en cas d'annulation de la décision de la chambre de recours de l'EUIPO, alors que la protection territoriale de la marque de l'Union européenne demandée ne s'étendra jamais au Royaume-Uni (pt.11).
Dans l’étude du pourvoi, la chambre d’admission des pourvois relève que l’EUIPO a bien exposé avec précision les points des motifs de l’arrêt attaqué présentant des contradictions avec la jurisprudence de la Cour relative à la persistance de l’intérêt à agir, mais également avec les dispositions du règlement 2017/1001 relatives à l’enregistrement des marques, à leur opposabilité et à la mise en œuvre du principe de territorialité, ainsi qu’avec l’article 50 § 3 du TUE et les articles 126 et 127 de l’accord de retrait (pt.31). L’EUIPO précise que la question soulevée par le pourvoi porte sur l’exigence procédurale fondamentale de l’intérêt à agir et sur des principes constituant des piliers du droit de la propriété intellectuelle, à savoir le principe de territorialité, celui du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne et la notion fondamentale de la fonction essentielle de la marque, dans le contexte de la fin de la période de transition (pt.37).
L'office européen soutient, au vu de la divergence d'interprétation existant au sein du Tribunal et aussi entre celui-ci et la Cour, qu’une clarification par la Cour est nécessaire tant pour les utilisateurs du système de la marque de l’Union européenne que pour les juridictions nationales, notamment eu égard au fait que la question soulevée concerne non seulement l’effet de l’accord de retrait sur les procédures pendantes, mais également toutes les situations de disparition d’un droit antérieur au cours de la procédure juridictionnelle[7], notamment, en cas de déchéance ou d’expiration d’une marque.
En conséquence de toutes ces considérations, la Cour de justice a accueilli la demande d’admission du pourvoi.
[1] CJUE, ch. d’admission des pourvois, 7 avr. 2022, EUIPO/Indo European Foods, C-801/21.
[2] CJUE, ch. d’admission des pourvois, 10 déc. 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21 ; PIBD 2022, 1179, IV-6 ; Propr. industr., n° 2, févr. 2022, p. 2, « Ordonnance KaiKai : du nouveau sur le filtre des pourvois devant la Cour de justice ? », par J. Tassi ; Propr. intell., n° 82, janv. 2022, p. 128, « Non-admission des pourvois et déni de justice », par T. de Haan.
[3] Voir TUE, 16 mars 2022, T-281/21, (BLIP, 21 avr. 2022, « Sous la pression des Anglais, une remise en cause de la pratique de l’EUIPO sur la date pertinente aux fins de démontrer l’existence d’un droit antérieur ? », par L. Leopold-Metzger). Le Tribunal énonce que dans le cadre d’une procédure d’opposition, l’existence d’un motif relatif de refus doit être appréciée au moment du dépôt de la demande de marque de l'Union européenne. Le fait que la marque antérieure puisse perdre le statut de marque enregistrée dans un État membre à un moment postérieur au dépôt de la demande de marque de l'Union européenne contestée, y compris par exemple en raison d’un retrait de cet État membre, est en principe sans incidence sur l’issue de l’opposition.
[5] TUE, 3e ch., 6 oct. 2021, Indo European Foods/EUIPO et al., T-342/20.
[6] EUIPO, 4e ch. de recours, 2 avr. 2020, R 1079/2019-4.
[7] La Cour de justice avait déjà abordé la problématique de la disparition d’un droit antérieur au cours d’une procédure juridictionnelle mais dans un contexte particulier, celui conduisant au prononcé de l’ordonnance du 8 mai 2013 (CJUE, 8e ch., 8 mai 2013, Cadila Healthcare Ltd/OHMI, C-268/12).
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