Action en contrefaçon de marque - Recevabilité du licencié exclusif (oui) - Qualité pour agir - Consentement du titulaire de la marque - Interprétation du contrat de licence
La société licenciée exclusive de la marque Mousti’Stores est recevable à agir en contrefaçon.
Il résulte des dispositions de l'article L. 716-4-2 du CPI que le licencié a qualité pour agir en contrefaçon et dispose en conséquence du droit d'agir, lequel, pour être exercé, requiert le consentement du titulaire de la marque. Ces dispositions s'appliquent sauf stipulation contraire du contrat de licence, qui fait loi entre les parties.
En l’espèce, il découle du contrat de licence, inscrit au Registre national des marques, que le but recherché par les parties est de permettre au licencié d'agir pour la défense de la marque, ce dont il suit que le concédant consent à lui accorder les plus larges prérogatives pour agir à l'encontre des tiers contrefacteurs et que les stipulations du contrat ne doivent pas être interprétées de manière à brider le licencié dans l’exercice de ses prérogatives. Le contrat prévoit la faculté pour les parties d'agir conjointement, mais aussi expressément, de manière claire et en des termes exempts d’équivoque, la faculté pour le concédant comme pour le licencié d'agir seul.
Les préalables requis par le contrat, à savoir l’information du concédant et la concertation entre les parties sur l'opportunité d'engager des poursuites contre le contrefacteur, ont été satisfaits. Le titulaire de la marque a été informé des actes de contrefaçon reprochés aux sociétés poursuivies. Conjointement avec le licencié, il les a mises en demeure de cesser les actes argués de contrefaçon et fait établir un procès-verbal par huissier de justice pour faire constater ces actes. Il confirme par ailleurs, dans deux lettres postérieures à l’assignation, qu’il a donné son accord pour que le licencié agisse seul.
Les sociétés poursuivies en contrefaçon sont ainsi mal fondées à ajouter, tant au texte de la loi qu'aux stipulations du contrat, en prétendant subordonner l'action du licencié à la justification d'une autorisation écrite préalable du titulaire de la marque ou de l'envoi à celui-ci, par le licencié, d'une mise en demeure d'avoir à agir en justice demeurée sans effet.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 22 avr. 2022, 21/19812 (M20220137)
Mousti'stores SARL c. AMB France SAS et C Stores SAS
(Infirmation TJ Paris, 3e ch., 2e sect., ord. juge de la mise en état, 15 oct. 2021, 21/03371)
Sous l’empire de l’ancien article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle, le droit d’agir en contrefaçon d'une marque française revenait en priorité au titulaire. Néanmoins, à titre d’exception, le licencié exclusif pouvait agir de son propre chef, à condition que le contrat de licence ne présente pas de stipulations contraires et que le titulaire n’ait pas exercé ce droit après mise en demeure par le licencié. Selon certaines décisions de justice[1], il pouvait également agir en contrefaçon aux côtés du titulaire de la marque. Le texte ajoutait que tout licencié, dont le licencié non exclusif, pouvait intervenir à l’instance en contrefaçon engagée par une autre partie, en réparation de son préjudice propre[2].
Depuis la réforme du Paquet Marques, les conditions d’introduction d’une action civile en contrefaçon pour les licenciés ont été assouplies. Aux termes du nouvel article L. 716-4-2 al. 1 du Code de la propriété intellectuelle, qui constitue la transposition de l’article 25 § 3 de la directive (UE) 2015/2436, l’action du licencié exclusif, mais également non exclusif, n’est plus une exception mais une alternative à l’action du titulaire de la marque, sous certaines réserves cependant.
Cet article, entré en vigueur le 11 décembre 2019, ouvre expressément le droit d’agir en contrefaçon à tout licencié, à condition que le titulaire y ait consenti et sauf stipulation contraire du contrat de licence. Le licencié exclusif peut également agir sans l’accord du titulaire, si, après mise en demeure, celui-ci n'agit pas lui-même « dans un délai raisonnable ». Comme auparavant, tout licencié peut intervenir dans l'instance en contrefaçon qui a été engagée par une autre partie afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.
L’affaire ci-dessus présentée est l’une des premières[3], à notre connaissance, dans laquelle ont été appliquées ces nouvelles dispositions. La cour d’appel juge que le licencié exclusif peut agir seul dans la mesure où le contrat de licence l’y autorise expressément et que le titulaire de la marque a donné son consentement. Elle considère que le consentement du titulaire n’a pas besoin d’être formalisé sous forme d’une autorisation écrite et précise que l'envoi par le licencié au titulaire d'une mise en demeure d'avoir à agir en justice, demeurée sans effet, n’est pas nécessaire.
En matière de brevets et de dessins et modèles, les modalités d’action du licencié exclusif et non exclusif restent similaires[4] aux anciennes dispositions prévues pour les marques avant la réforme. Toutefois, une nouvelle version de l’article L. 615-2, qui entrera en vigueur à la même date que l'accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB)[5], permettra au licencié exclusif d’agir en contrefaçon du brevet, sauf stipulation contraire du contrat de licence, à condition d'informer au préalable le titulaire du brevet. Le licencié non exclusif pourra également exercer l'action en contrefaçon, sous la même condition, si le contrat de licence l'y autorise expressément.
Madeleine Bigoy
Rédactrice au PIBD
[1] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 18 janv. 2013, Fidealis et al. c. Agence des dépôts numériques et al., 11/00309 (M20130815) : « [L’article L. 716-5] qui a pour but de pallier la passivité ou l'inaction du titulaire de la marque en permettant au licencié exclusif d'agir à sa place sous certaines conditions, ne saurait avoir pour conséquence de priver celui-ci de la possibilité de se placer aux côtés du titulaire de la marque dans une action en contrefaçon. ».
[2] Voir à ce propos : CA Bordeaux, 1re ch. civ., 29 mars 2022, Conforama SA et al. c. Conforeva SAS, 19/01788, M20220110, PIBD 2022, 1185, III-2 : « Il ne peut être soutenu que ce texte législatif [article L. 716-5 du CPI] n'emploie pas le terme 'intervenir' dans son sens procédural alors qu'il a pour objet de définir les conditions d'engagement de l'action civile en contrefaçon. En conséquence, […] c'est à bon droit que le tribunal a retenu qu'il résulte de ces dispositions qu'un licencié non exclusif ne peut agir en contrefaçon que par voie d'intervention et non par acte d'introductif d'instance, quand bien même, cet acte aurait été diligenté conjointement avec le titulaire de la marque. » ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 9 mai 2014, Henri M et al. c. Institut Biophytis SAS, 13/15637 (M20140246, PIBD 2014, 1010, III-609) : « Qu'il s'en évince que le licencié, qui n'est pas titulaire du droit exclusif, n'a vocation à agir en contrefaçon de la marque que par l'effet du deuxième alinéa de ce texte [article L. 716-5 du CPI] ; que tant le licencié exclusif qui n'aura pas agi aux lieu et place du titulaire de la marque que le simple licencié de marque ne peuvent agir en contrefaçon que par voie d'intervention ; Qu'ayant, en l'espèce, initié l'action conjointement avec le titulaire de la marque la société Laboratoires Lebeau doit être déclarée irrecevable en son action en contrefaçon. ».
[3] Voir également : TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 26 févr. 2021, Allergan Holdings France et al. c. Dermavita Company SARL, 17/10284.
[4] Cf. articles L. 521-2 et L. 615-2 du CPI.
[5] Cf. article 11 de l’ordonnance n° 2018-341 du 9 mai 2018 relative au brevet européen à effet unitaire et à la juridiction unifiée du brevet.
N.B. : Toutes les décisions de justice citées peuvent être consultées, à l’aide notamment de leur référence (ex : M20130815), sur la base de jurisprudence de l'INPI accessible sur ce site via l'onglet « BASE DE JURISPRUDENCE ».
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