d’après l’article de Patris Hajrizaj* : Danish courts deny PI based on patent application, in EIPR, (45), 3, mars 2023, p. 173-176
Une cour d’appel danoise juge que dans une action en contrefaçon de brevet, le déposant d’une demande de brevet ne peut demander une interdiction provisoire tant que son brevet n’a pas été délivré et validé au Danemark.
En novembre 2020, l’Office européen des brevets (OEB) rejette une demande de brevet de Novartis, lequel dépose un recours. La chambre de recours technique annule la décision et renvoie l’affaire à la division d’examen « avec ordre de délivrer le brevet ». Novartis est alors convaincu que le brevet va être délivré, les revendications ayant été acceptées par la chambre de recours technique. Estimant son brevet contrefait, Novartis décide de demander une interdiction provisoire au Danemark avant la décision de délivrance du brevet et avant la publication de la mention de la délivrance. Les défendeurs invoquent, quant à eux, l’absence d’intérêt à agir tant que le brevet n’a pas été délivré et qu’il n’est pas en vigueur au Danemark.
En première instance, le Tribunal des affaires maritimes et commerciales1 juge la demande de Novartis irrecevable. Il relève deux incertitudes : la première est la date à laquelle le brevet de Novartis sera délivré et produira des effets au Danemark, la seconde est ce qui sera couvert par le brevet une fois délivré. En effet, si les revendications sont arrêtées, ce n’est pas le cas de la description. Or, la description sert à interpréter les revendications, conformément à l’article 39 de la loi danoise sur les brevets, lequel correspond à l’article 69 de la Convention sur le brevet européen.
Le Tribunal des affaires maritimes et commerciales fait remarquer que la décision de délivrance, conformément à l’article 97(1) de la CBE, n’a pas été rendue et que le demandeur manque donc d’intérêt à agir pour défendre son brevet. L’auteur en conclut que si la décision de délivrance avait été rendue, cela aurait suffi pour remplir l’exigence d’intérêt à agir.
Novartis explique avoir voulu gagner du temps. En effet, l’octroi de mesures provisoires au Danemark prend de 6 à 8 mois. Novartis était parti du principe que son brevet serait délivré et produirait des effets au Danemark avant que ne se tienne l’audience dans le cadre de sa demande d’interdiction provisoire. Ainsi, à l’issue de l’audience, une mesure d’interdiction aurait pu être ordonnée sur la base d’un brevet délivré et non d’une demande de brevet.
Novartis fait également valoir qu’un refus de mesures provisoires avant la délivrance du brevet serait contraire à la directive 2004/48/CE2. En effet, l’article 3 de la directive prévoit que les mesures et procédures doivent être loyales et qu’elles « ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés ». Par ailleurs, l’article 9 prévoit que des mesures provisoires peuvent être octroyées pour prévenir une atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle. Or, Novartis soutient que la contrefaçon de son brevet ou de sa demande de brevet était imminente. Attendre que le brevet soit délivré avant de demander une interdiction provisoire engendrerait des délais déraisonnables ou des retards injustifiés.
Enfin, Novartis invoque l’arrêt de la CJUE dans l’affaire Phoenix Contact3. Il fait valoir que dans cet arrêt, la cour européenne a confirmé, de façon indirecte, que les interdictions provisoires pouvaient être demandées avant que le brevet ne soit délivré.
Pendant la procédure d’appel danoise, la division d’examen de l’OEB prend la décision de délivrer le brevet et il apparaît que la mention de délivrance sera publiée au Bulletin européen des brevets du 12 octobre 2022. Se fondant sur le raisonnement du Tribunal des affaires maritimes et commerciales, Novartis en conclut qu’il a désormais un intérêt à agir. Ce raisonnement est contesté par les défendeurs qui estiment au contraire que Novartis ne peut engager une procédure avant que son brevet ne soit en vigueur au Danemark.
Ils contestent par ailleurs l’argument de Novartis sur la conformité à la directive 2004/48/CE et soutiennent que la contrefaçon n’est pas imminente du simple fait que le brevet a des chances d’être délivré prochainement. Quant à la durée d’obtention d’une interdiction provisoire au Danemark, jugée trop longue par Novartis, ce qui serait contraire à l’article 3 de la directive 2004/48/CE, les défendeurs avancent qu’il ne peut y être remédié en autorisant une défense prématurée d’un droit de propriété intellectuelle qui n’existe pas encore.
Enfin, les défendeurs soulignent que la directive 2004/48/CE ne s’applique qu’aux droits de propriété intellectuelle existants, c’est-à-dire ceux qui ont fait l’objet d’une délivrance. La directive ne peut donc pas être invoquée dans cette affaire.
L’auteur rappelle qu’en 2014, la Cour suprême danoise a dit pour droit qu’une action principale en nullité d’un brevet ne pouvait être engagée avant la délivrance du brevet, même si la décision de délivrance avait été prise par l’OEB. Or, s’il n’est pas possible d’engager une action en nullité avant la délivrance du brevet mais que l’on peut, en revanche, demander une interdiction provisoire sur la base d’une demande de brevet, le déposant ou titulaire est favorisé puisqu’il peut engager une procédure de référé sur la base d'une demande de brevet qui ne peut pas faire l’objet d’une action en nullité.
Cet arrêt de la Cour suprême danoise est invoqué par la Haute Cour de l’Est4 qui juge irrecevable la demande de Novartis en l’absence d’intérêt à agir suffisant. L’exigence d’intérêt à agir ne peut être remplie tant que la demande de brevet est pendante. Les juridictions danoises doivent donc rejeter les demandes d’interdiction provisoire sur la base d’une demande de brevet. La Haute Cour souligne l’absence de brevet délivré en vigueur au Danemark, bien qu’une décision de délivrance ait été rendue par l’OEB.
L’auteur se félicite de cette décision. Une décision contraire aurait créé un déséquilibre en permettant à un titulaire d’engager une action à partir d’une demande de brevet sans que le défendeur puisse en contester la validité. Par ailleurs, il faudrait déterminer à partir de quel moment une demande de brevet est considérée comme suffisamment mature pour pouvoir servir de base à une demande d’interdiction provisoire, ce qui serait source d’incertitude juridique.
* Bugge Valentin, Copenhague.
1 Sø- og Handelsretten, décision du 17 juin 2022.
2 Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.
3 CJUE, 6e ch., 28 avril 2022, Phoenix Contact GmbH & Co. KG c. Harting Deutschland GmbH & Co. KG et Harting Electric GmbH & Co. KG, C-44/21 (B20220042 ; PIBD 2022, 1184, III-1 ; L’Essentiel Droit de la propr. intell., juill. 2022, p. 5, P. Langlais ; Les MÀJ Irpi, 40, juill. 2022, p. 14, A. Lawrynowicz-Drewek).
4 Østre Landsret, décision du 6 octobre 2022.
Les opinions exprimées dans les articles cités n’engagent que leurs auteurs et ne représentent pas la position de l’INPI.