Opposition contre un arrêt rendu par défaut - Arrêt ayant statué sur une décision d’opposition de l’INPI - Demandeur à l'enregistrement défaillant au cours de la procédure devant l'INPI - Recevabilité des moyens et des pièces présentés devant la cour d'appel
Opposition à l’enregistrement d’une marque verbale - Comparaison des signes - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Marque verbale de l’UE antérieure - Substitution du mot d’attaque - Mot final identique - Caractère faiblement distinctif - Structure identique - Impression d’ensemble proche - Risque de confusion (oui) - Public pertinent - Consommateur d'attention moyenne - Clientèle spécifique (non) - Marque antérieure notoire - Confusion avérée
Un arrêt de la cour d'appel de Paris, rendu par défaut, a partiellement annulé la décision du directeur général de l'INPI ayant rejeté l’opposition à l’enregistrement de la marque verbale SAUVETEURS SANS FRONTIERES, qui avait été formée sur la base de la marque verbale antérieure MÉDECINS SANS FRONTIÈRES. Le demandeur à l’enregistrement, qui n'était ni comparant ni représenté, a formé opposition contre cet arrêt[1].
Le recours contre une décision prise en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque est un recours en annulation qui a pour objet d'apprécier la légalité de la décision prise par l'Institut au vu des moyens et des pièces qui lui ont été soumis lors de la procédure d'opposition. Par conséquent, seuls peuvent être pris en considération les moyens et les pièces des parties qui ont déjà été examinés au cours de la procédure suivie devant l'INPI.
En application des articles 572 et 577 du Code de procédure civile, dans le cadre de l’opposition qu’il a formée contre l’arrêt rendu par défaut, le demandeur à l'enregistrement ne peut donc présenter des moyens et pièces qui n'ont pas déjà été présentés lors de la procédure initiale devant l'INPI.
Cependant, le demandeur à l’enregistrement ayant été défaillant au cours de la procédure devant l'INPI, il doit être, sauf à priver son opposition de toute effectivité, recevable à faire valoir une argumentation qui était nécessairement dans le débat au cours de la procédure d'opposition initiée devant l'INPI par le titulaire de la marque antérieure, concernant notamment la comparaison des services et des signes en cause, l'analyse des éléments distinctifs et dominants de ceux-ci, la définition du consommateur de référence et l'appréciation globale du risque de confusion. En revanche, les autres moyens qu’il a présentés devant la cour doivent être écartés. Doivent également être considérées comme recevables les pièces fournies à l'appui de cette argumentation recevable, s'agissant notamment de décisions rendues précédemment par l'INPI ou de définitions de dictionnaires aisément accessibles par toute personne indépendamment de la procédure en cause. Par conséquent, sera notamment écartée des débats l'argumentation relative à la coexistence des signes et à une marque semi-figurative SSF dont le demandeur à l'enregistrement se dit par ailleurs titulaire.
L’opposition formée à l’encontre de l’arrêt n’est pas fondée. Visuellement, les signes « médecins sans frontières » et « sauveteurs sans frontières » se distinguent par leur terme d’attaque, au pluriel dans les deux signes, mais ont en commun leur séquence finale. Celle-ci est faiblement distinctive puisque évocatrice de nombreux produits et services visés par les signes, qui concernent notamment une aide humanitaire ou médicale et une mission d’assistance aux victimes de catastrophes naturelles ou d’actes de terrorisme, lesquelles ont souvent vocation à s'exercer sur un plan international. Cependant, la séquence finale est visuellement très présente et retiendra l’attention du public en ce qu’elle comprend deux des trois mots composant chacun des signes. La longueur similaire des signes et leur structure commune leur confèrent également une physionomie proche.
Phonétiquement, malgré les termes d’attaque distincts, les signes ont en commun un rythme et une architecture ainsi que trois sonorités finales identiques qui retiennent autant l’attention que les séquences premières.
Conceptuellement, les signes possèdent un même pouvoir évocateur renvoyant, pour le public, à des associations internationales à vocation humanitaire, sociale et de santé. Les sauveteurs interviennent afin de soustraire des personnes à une menace ou à un danger grave. Ils ne sont pas nécessairement des médecins et n’en ont alors pas les compétences. Cependant, ils sont, comme les secouristes, souvent amenés à prodiguer des soins relevant du domaine de la santé (premiers secours, aide psychologique). D’ailleurs, certaines équipes de sauveteurs comptent parmi elles un médecin. Réciproquement, certains médecins ont pour spécialité d’intervenir sur sites en se rendant auprès de personnes en situation de danger grave et immédiat pour leur prodiguer des soins et sont alors perçus comme des sauveteurs. Ainsi, la référence faite au sein des signes à des personnes qui exercent une mission de soin ou de sauvetage, lesquelles peuvent se confondre, renforce la similitude conceptuelle, de même que l'emploi, au sein de la demande contestée, du pluriel pour les mots « sauveteurs » et « frontières ». Par conséquent, malgré la différence entre les termes d’attaque, les signes, pris dans leur ensemble, génèrent une impression d’ensemble proche.
L’appréciation globale du risque de confusion entre les signes s’opère en référence à un consommateur d’attention moyenne. Rien ne permet de retenir que ce consommateur serait exclusivement l’adhérent aux associations en présence, plutôt que la personne en demande de soins ou de secours, et qu’il aurait par conséquent un degré d’attention plus élevé. Le risque de confusion résulte, en l’espèce, de l’identité et de la similarité d’une partie des produits et services visés et de la proximité des signes. Il est renforcé par la notoriété de la marque antérieure, appréciée à la date à laquelle l’INPI a statué et qui résulte amplement des pièces produites.
Par conséquent, il n’y a pas lieu de rétracter l’arrêt de la cour d’appel.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1rech., 1er février 2023, 19/07385 (M20230012)
Arié L c. INPI et Association Médecins Sans Frontières International
(Rejet opposition c. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 18 déc. 2018, 17/17059, M20180493 ; arrêt rendu par défaut ayant annulé partiellement décision INPI, 9 juin 2017, OPP 16-4041, O20164041)
[1] L’article 571 du Code de procédure civile dispose que « l'opposition tend à faire rétracter un jugement rendu par défaut. Elle n'est ouverte qu'au défaillant ».