Fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance - Recevabilité (oui) - Absence de titularité des marques postérieures
Action en contrefaçon - Forclusion par tolérance (non) - Point de départ du délai - Connaissance de l’usage des marques postérieures - Preuve - Relations d’affaires avec la société tierce titulaire des marques postérieures - Accord de distribution sélective - Usage à titre de marque - Secteur d’activité identique
La fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance est recevable. Celle-ci a été soulevée à l'occasion d'une action en contrefaçon des marques BAGUI et SHUMANIT. C’est à bon droit que le juge de la mise en état[1] a retenu que la forclusion par tolérance pouvait être opposée par toute personne intéressée, dès lors que les signes seconds avaient bien été enregistrés comme marques en France.
En l’espèce, la société poursuivie en contrefaçon distribue en France des produits provenant d’une filiale et licenciée de la société tierce israélienne, titulaire des marques postérieures translittératives BAGI et SHUMANIT. Elle a donc qualité pour opposer la forclusion par tolérance à la société demanderesse, sans qu'il soit besoin de rechercher si elle bénéficiait ou non d'une sous-licence tacite sur ces marques postérieures. Il ne peut être déduit d’un arrêt de la CJUE du 22 septembre 2011[2] que le bénéfice de la forclusion serait réservé au seul titulaire de la marque postérieure, cet arrêt précisant seulement les conditions nécessaires pour faire courir le délai de forclusion.
La fin de non-recevoir doit être écartée. Il appartient à la société poursuivie d'établir que la société demanderesse a toléré l’usage des marques prétendument contrefaisantes pendant une période de cinq années consécutives. Le délai est calculé à partir du jour où le titulaire du droit antérieur a eu connaissance de cet usage.
La société demanderesse et la société tierce avaient conclu, en 2002, un accord de distribution exclusive pour la France. En admettant que l'existence de cette relation contractuelle devait conduire la société demanderesse à surveiller l'activité de sa partenaire et les signes distinctifs utilisés par elle, il ne peut en être déduit qu'elle a eu ainsi nécessairement connaissance de l'enregistrement des deux marques litigieuses, intervenu près de dix ans après la conclusion de cet accord, ainsi que de leur usage ultérieur.
La connaissance des enregistrements et de l'usage des marques incriminées ne peut davantage être déduite de l'utilisation de la dénomination sociale Bagi par la société tierce depuis 1988, ou du dépôt d’une marque BAGI en Israël en 1997 - soit quatorze ans avant le dépôt des marques litigieuses - cette marque étant réservée au seul territoire israélien.
En ce qui concerne la tolérance alléguée au cours de la période postérieure à l'enregistrement des marques litigieuses, les pièces versées aux débats (procès-verbal d’huissier, brochure publicitaire, factures, extraits de catalogue) sont soit dépourvues de force probante en ce qu’elles ne sont pas datées, soit insuffisantes à démontrer un usage à titre de marque.
Enfin, le seul fait que la société demanderesse et la société tierce opèrent dans le même secteur n'est pas un indice suffisant à la démonstration de la connaissance effective de l'usage allégué des marques secondes, et encore moins d'une tolérance de cet usage pendant une durée de cinq ans.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 29 mars 2023, 22/06961 (M20230062)
Eldai SA c. Nouvelle Distribution Européenne - NDE SARL
(Confirmation partielle TJ Paris, ord. juge de la mise en état, 3e ch., 2e sect., 1er avril 2022, 20/07661)
[1] En application des dispositions de l’article 789, 6° du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le juge de la mise en état est désormais compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir.
[2] CJUE, 1re ch., 22 sept. 2011, Budějovický Budvar, C-482/09 (M20110539).