Jurisprudence
Marques

Validité de la marque CENTAURE INVESTISSEMENTS désignant des services de gestion de patrimoine – Dépôt de mauvaise foi et atteinte à la renommée des marques verbale et figurative CENTAURE qui désignent du cognac

PIBD 1208-III-4
CA Bordeaux, 6 juin 2023

Validité de la marque verbale (oui) - Dépôt de mauvaise foi - Droit de l'UE - Connaissance de cause - Intention de nuire - Volonté de conforter des droits - Secteurs d'activité différents - Principe de spécialité

Validité de la marque verbale (oui) - Droits antérieurs - Marques verbale et figurative de renommée - Portée de la renommée - Public pertinent - Lien entre la marque renommée et le signe litigieux (non) - Comparaison des signes - 1) Marque verbale de renommée - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Adjonction d’un mot final - Mot commun - Élément distinctif et dominant - Impression d'ensemble - Tout indivisible - 2) Marque figurative de renommée - Différence visuelle - Différence des produits et services - Secteur géographique

Validité de la marque verbale (oui) - Droits antérieurs - Marques verbale et figurative - Risque de confusion (non) - Différence des produits et services

Texte
Marque n° 1 299 702 de la société E. Rémy Martin & Co
Marque n° 1 424 010 de la société E. Rémy Martin & Co
Marque n° 4 561 531 de la société Consulting Gestion Privée Ingénierie
Texte

La marque CENTAURE INVESTISSEMENTS n’a pas été déposée de mauvaise foi. Si la société défenderesse avait connaissance, au jour du dépôt, de l'usage par la société demanderesse du terme et de la représentation d'un centaure, son intention frauduleuse n'est pas démontrée. Le dépôt se situe dans le cadre d’un renforcement de ses droits (usage antérieur du nom commercial CENTAURE INVESTISSEMENTS pour une activité de gestion de patrimoine et dépôt antérieur d’une marque semi-figurative) et non d'une démarche parasitaire, et ce d'autant plus que les secteurs d'activité respectifs des parties (production et vente de cognac / conseil en finance, immobilier et assurances) sont parfaitement distincts. C'est à tort que la société demanderesse affirme que le grief fondé sur le dépôt frauduleux n'est pas conditionné à l'existence de marques dans des secteurs d'activité similaires, alors que le droit des marques est essentiellement régi par le principe de spécialité, que la protection du titre est limitée aux produits et services désignés dans la demande d'enregistrement et qu'il reste toujours possible de déposer une marque pour des produits ou services différents.

La marque litigieuse ne porte pas atteinte à la renommée des marques verbale CENTAURE et figurative représentant un centaure.

La renommée des marques est établie dès lors que la société demanderesse est, depuis de nombreuses années, associée à l'image d'un centaure (la presse la qualifiant régulièrement de « maison au Centaure » ou de « marque au Centaure »), qu'elle justifie d’un usage très ancien de l'emblème du centaure et figure parmi les premiers vendeurs de cognac au monde. Ainsi, les marques antérieures sont connues d'une partie significative du public en France, à savoir le grand public mais également les professionnels et amateurs de spiritueux, dans le domaine des alcools forts et plus particulièrement pour désigner du cognac.

L'atteinte à la renommée revendiquée par la requérante suppose établis d'une part, l'existence pour le public concerné d'un lien ou d'une association entre la marque renommée et le signe contesté et d'autre part, un usage illégitime de ce signe permettant de tirer un profit indu de la notoriété de la marque renommée, ces deux conditions étant cumulatives.

S'agissant du lien entre les marques en présence, il doit être apprécié par la comparaison des signes et des produits et services en cause, au regard du public concerné, compte tenu du niveau de renommée des marques.

Concernant la comparaison des signes en cause, la marque verbale CENTAURE INVESTISSEMENTS présente de fortes similitudes visuelles, phonétiques et conceptuelles avec la marque verbale antérieure CENTAURE. En effet, l'impression d'ensemble se focalise sur le terme commun, le terme « investissements » apparaissant manifestement peu distinctif pour désigner les services en cause. Ainsi, le public sera amené à porter son attention sur l'élément fortement distinctif et dominant « centaure », sans considérer la marque contestée comme un tout indivisible.

En revanche, la marque contestée présente de faibles similitudes avec la marque figurative antérieure. Il n'est pas démontré que le public de culture moyenne associe spontanément la représentation figurative au « Centaure », terme de la mythologie grecque désignant une créature hybride à buste d'homme et corps de cheval.

Concernant la comparaison des produits et services, la société demanderesse n'est pas fondée à se prévaloir de similitudes puisque ses marques sont renommées pour les spiritueux, alors que la marque litigieuse est enregistrée pour un ensemble de services notamment financiers, bancaires et d’assurances. La société demanderesse ne démontre pas que la majorité de l'activité de la société défenderesse concernerait des clients implantés en Charente-Maritime, parmi lesquels figurent nécessairement des acteurs du cognac connaissant les marques antérieures, alors que les consommateurs en cause recherchent des prestations complètement différentes, même s'il peut arriver que des amateurs de cognac ou des viticulteurs fassent appel aux services proposés sous la marque contestée qui s'adresse aux consommateurs et professionnels de tous secteurs. En outre, l'offre des services visés par la marque contestée, dans la même zone géographique que celle où est établie la société demanderesse, ne permet pas d'établir, à elle seule, le lien qu'un consommateur français pourrait faire entre ceux-ci et les produits en cause, d'autant que les marques ont une portée nationale et que l'examen de l'atteinte à la renommée ne peut se cantonner à une faible partie du territoire national.

Ainsi, compte tenu de la grande différence entre les produits et services visés, les similitudes entre les signes et l'intensité de la renommée des marques antérieures ne permettent pas de retenir l'existence d'un lien entre les marques en cause dans l'esprit du consommateur.

Cour d’appel de Bordeaux, 1re ch. civ., 6 juin 2023, 22/02444 (M20230073)[1]
E. Rémy Martin & Co SAS c. Consulting Gestion Privée Ingénierie SARL et INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 20 avr. 2022, NL21-0109 ; NL20210109)

[1] La cour d’appel de Bordeaux a rendu le même jour un arrêt quasi identique concernant la demande en nullité de la marque INSTITUT CENTAURE : CA Bordeaux, 1re ch. civ., 6 juin 2023, E. Rémy Martin & Co SAS c. Consulting Gestion Privée Ingénierie SARL et al., 22/02442 (M20230074).