Opposition à enregistrement - Atteinte à une indication géographique - Droit de l'UE - Évocation - Lien entre l'indication géographique et le signe litigieux - Appréciation globale - Reproduction partielle - Similitude visuelle et phonétique - Identité des produits - Produit authentique
L’indication géographique Cognac, appliquée à une boisson spiritueuse, fait l’objet d’une protection à l’échelle de l’Union européenne prévue par le règlement (UE) 2019/787 du 17 avril 2019. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’atteinte à cette indication géographique doit être examinée exclusivement au regard des dispositions invoquées de ce règlement, à l’exclusion de toute application des dispositions nationales issues de l’article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime, invoqué par ailleurs par les opposants.
L’article 21, § 2, b) du règlement précité dispose que les indications géographiques sont protégées notamment contre toute évocation[1]. Celle-ci doit être recherchée par une appréciation globale incluant l’ensemble des éléments pertinents du cas d’espèce. Il est tenu compte en particulier d’une incorporation partielle de l’indication géographique dans le signe contesté, d’une parenté phonétique ou visuelle entre les signes, de leur proximité conceptuelle, ou encore de la similitude entre les produits couverts par l’indication géographique et les produits ou services désignés par le signe contesté.
En l’espèce, le signe complexe contesté Cognapea, appliqué à des « Eaux-de-vie bénéficiant de l'indication géographique "Cognac" », évoque l’indication géographique Cognac.
En effet, il l’incorpore partiellement, présente d’importantes ressemblances visuelles et phonétiques et désigne des produits identiques. Il en résulte qu’appliqué à ces produits, ce signe apparaît manifestement de nature à créer, dans l’esprit du consommateur concerné, un lien direct et univoque avec l’indication géographique invoquée, de telle sorte que le consommateur aura immédiatement et directement à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette indication géographique. Un tel lien apparaît d’autant plus immédiat et évident que ce produit jouit en outre d’une forte notoriété, notamment en France.
Par ailleurs, les opposants font valoir qu’une telle évocation, même pour des eaux-de-vie de vin respectant le cahier des charges de l’indication géographique Cognac, doit être interdite, en ce qu’en ne reproduisant pas l’indication géographique dans son ensemble, la marque contestée est de nature à dénaturer cette dernière et risque d’entraîner un affaiblissement de sa réputation en la banalisant, ce que ne conteste pas la société déposante.
Le paragraphe 2, b), de l’article 21 du règlement protège l’indication géographique contre « toute (…) évocation », sans limitation particulière quant aux produits visés.
En outre, si l’article 21 précité dispose, dans son premier paragraphe, que les indications géographiques peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant une boisson spiritueuse produite conformément au cahier des charges correspondant, il n’autorise pas expressément l’ « évocation » de ces indications géographiques pour de tels produits.
Au regard de ces considérations, le directeur général de l'INPI conclut que le signe contesté Cognapea, appliqué à des « Eaux-de-vie bénéficiant de l'indication géographique "Cognac" », est de nature à porter atteinte, par « évocation », à l’indication géographique Cognac invoquée, en application de l’article 21, § 2, b) du règlement.
Décision INPI, 26 août 2022, OP 22-0433 (O20220433)[2]
Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) c. Cognapea SCEA
[1] Les critères utilisés dans la présente décision de l’INPI, pour la caractérisation de l’évocation de l’indication géographique, sont issus de l’arrêt préjudiciel « Champanillo » (CJUE, 5e ch., 9 sept. 2021, CIVC c. GB, C-783/19 ; P20210055 ; PIBD 2021, 1167, III-8 ; Europe, nov. 2021, comm. 376, A. Rigaux ; L'Essentiel, 10, nov. 2021, p. 1, note de S. Chatry, Appellation d’origine Champagne). Cet arrêt reprenait déjà des critères établis par la jurisprudence communautaire antérieure (CJUE, 4e ch., 2 mai 2019, Fundacion Consejo Regulador de la Denominacion de Origen Protegida Queso Manchego c. Industrial Quesera Cuquerella SL et al., C-614/17, P20190058, PIBD 2019, 1118, III-304, L'Essentiel, juil. 2019, p. 5, note de S. Chatry, Europe, juil. 2019, p. 18, note d'A. Rigaux, D IP/IT, sept. 2019, p. 507, note de C. Maréchal-Pollaud-Dulian ; Propr. industr., nov. 2019, p. 23, note de C. Le Goffic, RTD com, 4, oct.-déc. 2019, p. 897, note de J. Passa, Appellation d’origine Queso Manchego ou La Mancha ; CJUE, 5e ch., 7 juin 2018, Scotch Whisky Association c. Michael K, C-44/17, Indication géographique Scotch Whisky ; CJUE, 2e ch., 21 janv. 2016, Viiniverla Oy c. Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto, C-75/15, Indication géographique Calvados ; CJUE, gde ch., 26 févr. 2008, Commission des Communautés européennes c. République fédérale d’Allemagne, C-132/05, Appellation d’origine Parmigiano Reggiano ; CJUE, 5e ch., 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola c. Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG et al., C-87/97, Appellation d’origine Gorgonzola).
[2] La décision de l’INPI ci-dessus publiée est la première à retenir l’atteinte, par évocation, d’une indication géographique par la demande d’enregistrement d’une marque qui désigne des produits respectant le cahier des charges de cette indication géographique.
Voir également la première décision du directeur général de l’INPI ayant statué au fond sur une opposition basée sur une indication géographique. Dans cette affaire, l’INPI avait déclaré justifiée l’opposition à l’enregistrement de la marque LEVAIN DE CHAMPAGNE pour atteinte à l’appellation d’origine protégée Champagne (3 déc. 2018, Directeur de l’INAO c. X, Opp 18-3228 ; O20183228 ; PIBD 2019, 1118, III-299 avec une note de N. Gauthier).