Jurisprudence
Brevets

Extension de l'objet d’un brevet divisionnaire portant sur une manette de console de jeux vidéo Wii au-delà du contenu de la demande parente initiale - Généralisation intermédiaire

PIBD 1211-III-3
CA Paris, 21 avril 2023

Validité du brevet européen (non) - Dispositif - Brevet divisionnaire - Procédure de délivrance devant l’OEB - Extension de l'objet au-delà du contenu de la demande initiale (oui) - Modification de la revendication principale - Ajout d’une caractéristique - Extension de l’étendue de la protection (oui) - Généralisation intermédiaire

Concurrence déloyale (oui) - À l’égard du distributeur exclusif - Imitation du produit et du conditionnement - Copie servile - Différences insignifiantes - Réseaux de distribution et clientèle identiques - Format et code couleur du conditionnement - Compatibilité des produits - Mention trompeuse - Risque de confusion (oui) - Pratiques commerciales trompeuses (oui)

Préjudice - Masse contrefaisante - Taux de marge - Condamnation solidaire (non)

Texte
Figure 3 du brevet n° EP1854518 de la société Nintendo
Figure 8 du brevet n° EP1757344 de la société Nintendo

 

Texte

Le brevet européen divisionnaire intitulé « Dispositif d'opération de jeu », dont la revendication principale 1 a été modifiée lors de la procédure de délivrance devant l’OEB, est annulé pour extension de la protection au-delà du contenu de la demande telle que déposée, en application de l'article 123(2) de la CBE.

L’invention porte sur un dispositif d'actionnement de jeu (télécommande) capable d'analyser les propres mouvements de ce dispositif par la détection de marques lumineuses extérieures en position prédéfinie au moyen d'un dispositif d'imagerie.

La caractéristique selon laquelle un capteur d'accélération est prévu à l'intérieur du boîtier n'a fait l'objet de discussion quant à son admissibilité au regard de l'article 123 (2) de la CBE ni devant la division d'opposition, ni devant la chambre de recours de l'OEB. En revanche, l'ajout de cette caractéristique, qui a été fait à l'identique dans la revendication 1 du brevet parent, a été discuté devant l'OEB et a prévalu à la décision rendue par la chambre des recours de l'OEB, trois ans plus tard, annulant ce brevet.

L’appréciation de l’extension inadmissible, s’agissant d’un brevet divisionnaire, doit se faire au regard du contenu de la demande initiale du brevet parent.

En l’espèce, il ressort, tant de la partie descriptive de ce brevet que de la figure 8, un lien nécessaire entre le capteur d'accélération et le processeur et rien n'indique à l'homme du métier qu'il peut utiliser l'un sans l'autre. La présence d'un capteur d'accélération et d'un processeur, s'ils sont liés, ne découlent pas pour autant de l'invention. Ainsi, il n’était possible d'ajouter le capteur d'accélération comme nouvelle caractéristique que si la revendication portait également sur le processeur.

En effet, selon la jurisprudence constante de l'OEB, lorsqu'un objet nouvellement revendiqué est fondé sur l'extraction de caractéristiques isolées d'un mode de réalisation particulier, celles-ci ne doivent aucunement être liées structurellement et de manière fonctionnelle avec les autres caractéristiques décrites. Or, la caractéristique du capteur d'accélération est ici directement liée à la présence d’un processeur.

Rien ne permet d'affirmer qu'un processeur est nécessairement inséré dans une manette de jeu vidéo, de sorte que la société titulaire du brevet et son distributeur exclusif ne peuvent être suivies lorsqu'ils prétendent que la présence d'un capteur d'accélération est pour l'homme du métier inclus ab initio dans l'invention de façon directe et non ambigüe. Ainsi, l'ajout d’un capteur d'accélération dans la revendication 1 sans que soit prévu également un processeur tel que décrit dans la demande parente revient à extraire une seule caractéristique technique d'un ensemble de caractéristiques divulguées uniquement en combinaison les unes avec les autres et constitue une généralisation intermédiaire inadmissible. En conséquence, la revendication principale 1 doit être annulée, ainsi que les revendications dépendantes 2 à 6 qui incluent les caractéristiques de la revendication 1, notamment le capteur d'accélération.

La société poursuivie a commis des actes de concurrence déloyale en important et en offrant à la vente, en France, des télécommandes constituant des copies serviles de celles commercialisées par la société demanderesse, en charge de la distribution exclusive des produits sur le territoire français, dans des circonstances entraînant un risque de confusion.

En effet, les différences entre les manettes (croix multidirectionnelle, boutons, sortie de haut-parleur, voyants lumineux, présence de la marque « Wii » sur la manette invoquée) sont insignifiantes. L'impératif de compatibilité fonctionnelle avancé par la société poursuivie ne peut être retenu. En effet, la société demanderesse produit plusieurs manettes compatibles avec la sienne, qui sont commercialisées par d'autres sociétés et ont une apparence visuelle très différente. De plus, rien n'interdit à la société poursuivie de commercialiser d'autres accessoires compatibles avec ses propres manettes, tel qu'elle a pu le faire auparavant pour une manette pour enfants, qui présentait une forme différente de la manette pour enfant d’origine commercialisée par la société demanderesse.

S'agissant des réseaux de distribution, les manettes litigieuses sont commercialisées dans les mêmes rayons de jeux vidéo, au sein des mêmes points de vente physiques et dans les mêmes rubriques des sites de vente en ligne. Elles s'adressent donc à la même clientèle.

Les emballages incriminés reprennent un format et un code couleur similaires à ceux des emballages invoqués (texte gris et bleu ciel sur fond blanc). Par ailleurs, les mentions relatives à la compatibilité du produit sur la partie avant du packaging litigieux (« compatible Wii » en bas à gauche et « Pour WiiTM » en haut à droite), sont peu visibles. En particulier, le terme « Pour » est écrit dans une police bleu ciel, plus claire et bien plus petite que le terme « Wii », qui lui, est fortement perceptible par le consommateur. Sur la partie arrière du packaging, il est écrit « la télécommande de jeu intègre toutes les technologies vous permettant de profiter au maximum de vos jeux WiiTM », ce qui laisse à penser que les manettes vendues sont les vraies manettes commercialisées par la société demanderesse et non seulement des manettes compatibles. En outre, les manettes vendues directement sur les sites internet marchands sont parfois présentées sans le conditionnement, le consommateur n'ayant face à lui que les seules manettes, dont les différences ont été considérées insignifiantes.

En conséquence, le consommateur sera amené à penser que les manettes vendues par la société poursuivie sont en réalité les manettes d’origine, les seules différences de couleurs ou de positionnement n'étant pas perceptibles ou pouvant, dans l'esprit du consommateur, évoquer une évolution du modèle. Le risque de confusion est ainsi caractérisé.

En outre, la volonté de créer un risque de confusion entre les manettes et de laisser croire que les manettes incriminées proviennent de la société demanderesse est avérée et constitue une pratique commerciale trompeuse au sens du Code de la consommation.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 21 avril 2023, 15/14683 (B20230038)
Nintendo Co. Ltd et Nintendo France SARL (intervenante forcée) c. Bigben Interactive et Nacon SA (venant aux droits de la Sté Bigben Interactive, intervenante forcée)
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 23 janv. 2015, 11/17210, B20150181)