Jurisprudence
Marques

Absence d’atteinte à la marque TOUR DE FRANCE, renommée pour les services d’organisation d’épreuves cyclistes, par l’exploitation de la marque semi-figurative TOUR DE FRANCE A LA RAME

PIBD 1212-III-3
CA Paris, 5 juillet 2023

Atteinte à la renommée de la marque (non) - Droit de l'UE - Portée de la renommée - Preuve - Lien entre la marque renommée et le signe litigieux (non) - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Mots d'attaque identiques - Caractère faiblement distinctif - Adjonction de mots finaux - Tout indivisible - Adjonction d’une partie figurative - Similarité des services - Exploitation indue (non) - Risque de dilution (non) - Usage dans le sens du langage courant - Modification du comportement économique du consommateur (non)

Recevabilité de la demande en concurrence parasitaire (non) - Demande additionnelle présentée en appel - Demande ne tendant pas aux mêmes fins que la demande initiale

Texte
Marque n° 1 368 310 de la Société du Tour de France
Marque n° 4 310 124 de M. [R]

 

Texte

L’atteinte à la renommée de la marque TOUR DE FRANCE par l’utilisation de la marque semi-figurative TOUR DE FRANCE A LA RAME n’est pas constituée.

Les éléments versés aux débats par les sociétés demanderesses établissent la forte connaissance par le public français, à la date du dépôt de la marque incriminée, de la marque TOUR DE FRANCE pour l'organisation de la course cycliste éponyme. Ils sont corroborés par des sondages et études, dont certains, très anciens, démontrent la durée de l'usage de la marque TOUR DE FRANCE pour l'organisation de cette course.

Cependant, le fait que cet évènement sportif bénéficie d’une importante notoriété auprès du grand public (y compris non amateur régulier de cyclisme), d'une forte exposition médiatique et d'audiences télé importantes, est insuffisant à justifier de la renommée de la marque TOUR DE FRANCE pour les services de la classe 41 autres que l'organisation d'épreuves cyclistes (divertissements radiophoniques ou par télévision, production de films, distribution de journaux). En effet, comme le relève la cour, les études invoquées ne font pas référence à la marque mais au nom de l'événement sportif.

Afin de déterminer si l'utilisation de la marque contestée porte atteinte à la renommée de la marque antérieure, il convient d'analyser si, compte tenu de tous les facteurs pertinents, un lien ou une association entre les marques sera établi dans l'esprit du public concerné.

En l’espèce, la marque semi-figurative TOUR DE FRANCE A LA RAME est constituée d'une carte de France avec un fond vert, sur laquelle sont représentés un drapeau à damier et un bateau à rames de couleur rouge. Visuellement, les éléments figuratifs y sont très présents et les éléments verbaux, qui sont à peine lisibles, ont en commun avec la marque antérieure les termes « Tour de France » mais se distinguent par l’ajout des mots « à la rame ». Sur un plan phonétique, la marque critiquée a un rythme et une sonorité différents de ceux de la marque antérieure. D’un point de vue intellectuel, les deux marques ont en commun l'évocation géographique du tour du territoire français. Cependant, la marque antérieure, qui est renommée pour une course cycliste, sera perçue par le public visé comme un tour de France en vélo, tandis que la marque incriminée évoque un périple effectué en bateau à rames, ce qui distingue fortement les deux marques, compte tenu du caractère non usuel, et même original, de l'utilisation d'un bateau à rames pour faire le tour de la France.

La similitude visuelle, phonétique et intellectuelle entre les signes est donc faible. Cette impression d'ensemble n'est pas modifiée par la prise en compte des éléments distinctifs et dominants. En effet, l'expression « Tour de France », utilisée depuis le début du 18ème siècle pour désigner le voyage qu'accomplissaient les Artisans Compagnons du Devoir pour parfaire leur formation professionnelle, est usuelle pour désigner un parcours à travers la France. En outre, les termes « Tour de France » sont peu distinctifs pour désigner des services d'organisation d'épreuves sportives notamment cyclistes, car ils décrivent le parcours de l'épreuve ou l'activité sportive concernée. Enfin, l'ensemble formé par l'expression « Tour de France à la rame » constitue un tout indivisible doté d'une signification distincte, dans lequel l'expression « Tour de France » perd son pouvoir attractif propre.

Il en résulte que, malgré la similarité des services en cause, le public visé ne sera pas conduit, au vu des différences relevées, à établir un lien entre la marque antérieure TOUR DE FRANCE et la marque incriminée TOUR DE FRANCE A LA RAME.

En l'absence de lien entre les marques en cause, les demandes fondées au titre de l'atteinte à la marque de renommée doivent être rejetées.

Au surplus, il n'est pas démontré d’exploitation indue de la marque de renommée, car le titulaire de la marque contestée exploite sa propre notoriété liée à ses exploits sportifs antérieurs, notamment au tour de France à la rame qu'il a effectué sur les canaux, fleuves et façades maritimes.

Il n’est pas plus démontré de risque de dilution de la marque de renommée. En effet, la protection qui s'attache à la marque TOUR DE FRANCE ne peut faire obstacle à l'utilisation de cette expression dans son acception usuelle, et aucune démonstration d'une modification du comportement économique du consommateur moyen des services pour lesquels elle est enregistrée, consécutive à l'usage de la marque TOUR DE FRANCE A LA RAME, ou d'un risque sérieux qu'une telle modification se produise dans le futur, n'est apportée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 5 juillet 2023, 21/11290 (M20230094)
Société du Tour de France (STF) SAS et Amaury Sport Organisation (ASO) SA c. M. [X] [R], M. [N] [R], Mme [T] [R] [U] et al.
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 16 avril 2021, 17/10677, M20210131, PIBD 2021, 1164, III-5, avec une note de S. Lepoutre)