Jurisprudence
Marques

Preuve de l’usage sérieux de la marque de l’UE HERMOO invoquée au fondement de l’opposition à l’enregistrement de la marque HERMIA - Risque de confusion

PIBD 1214-III-4
CA Paris, 4 octobre 2023

Opposition à l’enregistrement d’une marque verbale - Marque semi-figurative de l’UE antérieure - 1°) Usage sérieux (oui) - Droit de l’UE - Appréciation globale - Preuve - Étendue territoriale de l'usage - Exploitation effective et suffisante - Usage à titre de marque - Marque ombrelle - 2°) Risque de confusion (oui) - Droit de l’UE - Appréciation globale - Similitude visuelle et phonétique - Séquence d’attaque commune - Élément verbal - Élément distinctif et dominant - Partie figurative - Caractère évocateur - Impression d'ensemble identique - Risque d'association - Public pertinent - Conditions d'exploitation

Texte
Marque n° 001 475 102 de la société Arvesta Belgium BV
Demande d’enregistrement de marque n° 4 743 031 de la société LESAFFRE ET Compagnie SA
Texte

Une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages à caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque.

En l’espèce, la preuve de l'usage sérieux de la marque semi-figurative de l’Union européenne HERMOO, qui sert de fondement à l'opposition à l’enregistrement de la marque verbale HERMIA, est rapportée à l'égard des produits revendiqués dans l'opposition, à savoir «  les engrais pour les terres et produits chimiques pour l'amendement des sols. Produits phyto-pharmaceutiques ; produits pour la destruction des animaux nuisibles ; fongicides, herbicides ». Les pièces communiquées par la société opposante, notamment les factures, les étiquettes des produits, les photos et extraits de son site internet, ainsi que les chiffres d'affaires réalisés, fournissent des indications suffisantes concernant la période et le territoire pertinents, la nature et l'importance de l'usage, ainsi que les produits exploités.

S’agissant du lieu de l’usage, la marque antérieure étant une marque de l'Union européenne, il incombe à son titulaire de démontrer un usage, non pas limité à la France, mais sur le territoire de l'Union européenne. Les diverses pièces versées par l’opposante établissent un tel usage, principalement en Belgique, mais également en Allemagne, aux Pays- Bas et à Chypre, les étiquettes des produits, qui s’adressent à un public francophone, néerlandophone et germanophone, étant écrites en ces trois langues.

Par ailleurs, si l'exploitation principale et la fabrication des produits se situe en Belgique, il n'est pas nécessaire que l'usage d'une marque de l'Union européenne soit géographiquement étendu pour être qualifié de sérieux, dans la mesure où une telle qualification dépend des caractéristiques des produits ou des services concernés sur le marché correspondant. Ainsi, le marché de l'agriculture et des produits phytosanitaires varie selon les caractéristiques des territoires concernés, selon la qualité de la terre ou des types de parasites présents dans les cultures concernées, justifiant que ces produits puissent n'être commercialisés que sur les territoires présentant ces particularités. En outre, les nombreuses factures communiquées attestent d'un volume de ventes important et constant sur les années 2016 à 2020, soit une exploitation commerciale avérée afin de créer et conserver des parts de marché pour les produits pour lesquels la marque a été enregistrée. La preuve d'un usage sérieux du signe dans l'Union européenne est donc établie.

Sur la nature de l’usage, si le terme « HERMOO » constitue l'ancien nom commercial de la société opposante, le signe HERMOO est par ailleurs utilisé à titre de marque, pour identifier l'origine commerciale des produits.  À cet égard, sur les factures produites, le signe, tel que déposé, figure distinctement en en-tête, à gauche, tandis que la société est par ailleurs identifiée par sa dénomination sociale, son siège social et les coordonnées pour la contacter, outre ses informations bancaires, en en-tête à droite. Ainsi, cette présentation, que l'on retrouve sur les étiquettes des produits, opère une distinction claire entre, d'une part, les indications servant à identifier la société et, d'autre part, l'indication de la marque représentée par le signe figuratif, tel que déposé, servant à identifier l'origine commerciale des produits.

En outre, si les produits commercialisés par l’opposante sont également présentés au public sous des noms distincts, le terme « Hermoo » figure sur l'ensemble des étiquettes des produits, comme une marque ombrelle, servant à désigner l'ensemble des produits, les sous-marques servant ainsi à individualiser les différents types de produits proposés à la vente. Enfin, le signe, tel qu'enregistré, est également exploité à titre de marque comme en-tête sur le site internet de l’opposante ou encore sur des stands installés lors d'événements professionnels.

S’agissant de la comparaison des signes en présence, visuellement et phonétiquement, la séquence d'attaque commune « Herm » est dominante dans les deux signes. Malgré la présence d’éléments figuratifs dans la marque opposée, le terme « Hermoo », inséré entre deux lignes vertes, demeure prépondérant dans ce signe, en raison de son graphisme noir et épais très singulier. Ce terme étant le seul élément de la marque antérieure destiné à être lu et prononcé, il retient l'attention du consommateur et en constitue l’élément distinct et dominant. Par ailleurs, l'élément figuratif, représentant une branche épineuse dessinée dans un disque vert, ne retiendra pas son attention car celle-ci fait directement référence au domaine végétal et, donc, à la destination des produits en cause. Si les deux signes se distinguent par leur sonorité finale, avec une terminaison en « OO » pour le signe antérieur, plus inhabituelle en français, ces différences ne sont pas suffisantes pour peser significativement sur la perception des signes par le consommateur, davantage focalisée sur leur attaque commune. Ainsi, malgré la différence de finale et la présence d’éléments figuratifs dans la marque opposée, les deux signes présentent des similitudes.

Conceptuellement, les signes sont perçus comme des dénominations arbitraires, de pure fantaisie, de sorte qu'aucune différence intellectuelle n'est susceptible de supplanter leurs ressemblances visuelles et phonétiques. Si la société requérante soutient que la séquence commune « Herm » renvoie au mot « herm »/« erm » signifiant « terre aride »  en latin et « friche, lande, désert » en occitan et ancien français, ou au terme français « ermitage », ces étymologies échappent au public pertinent, soit le consommateur moyen, normalement informé, raisonnablement attentif et avisé, désirant entretenir et protéger ses végétaux, ainsi que le professionnel de l'agriculture ayant une pratique industrielle et à grande échelle de son métier. En effet, le risque de confusion doit s'apprécier vis à vis du consommateur des produits tels que désignés dans l'enregistrement, sans tenir compte des conditions d'exploitation des marques.

En conséquence, Il résulte de la comparaison globale des signes en présence, en tenant compte, notamment, de l’impression d’ensemble produite, qu'il existe un risque de confusion entre le signe demandé « HERMIA » et la marque antérieure HERMOO, lequel est renforcé par le degré élevé de distinctivité de la marque antérieure, s'agissant d'une dénomination arbitraire et de pure fantaisie. Ainsi, le consommateur moyen effectuera un rapprochement entre les marques en présence en risquant de les confondre, ou, à tout le moins, de leur attribuer une même origine commerciale, le signe contesté étant susceptible d'apparaître comme une déclinaison de la marque antérieure, faisant référence à une nouvelle gamme de produits. Le recours contre la décision du directeur de l'INPI accueillant l’opposition doit donc être rejeté.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch ., 4 octobre 2023, 22/09827 (M20230190)
Lesaffre et Compagnie SA c. INPI et Arvesta Belgium
(Rejet recours c. décision INPI, 22 avr. 2022, OP21-2306 ; O20212306)