Par Maxime Bessac, responsable du pôle juridique de l’INPI
Le 7 avril 2024, l’accord d’extension signé entre l’Institut national de la propriété industrielle et la Polynésie française célèbrera le dixième anniversaire de sa signature. Fruit d’une coopération active et mutuellement bénéfique entre l’INPI et la Polynésie française, cet accord permet de répondre aux besoins de protection des titres de propriété industrielle sur le territoire polynésien et a su s’adapter aux évolutions technologiques.
La loi organique n° 2004-192 du 27 février 20041 a transféré un certain nombre de compétences, jusque-là dévolues à l’État français, à la Polynésie française, parmi lesquelles figure le droit de la propriété intellectuelle2. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le droit de la propriété intellectuelle polynésien est donc distinct du droit métropolitain.
En raison de cette autonomie et en l’absence de dispositions ou de mesures d’accompagnement, les titres de propriété industrielle métropolitains pouvaient dès lors être considérés comme ne produisant plus d’effet sur le territoire polynésien.
Afin de remédier à cette absence de protection, les autorités polynésiennes ont adopté une loi du pays3 en mai 2013 dont l’article LP 138 énonçait que « la Polynésie française reconnaît, selon des modalités définies par arrêté pris en conseil des ministres, les titres de propriété industrielle délivrés par l’INPI avant l’entrée en vigueur du présent article ». Cet article a été modifié, l’année suivante4, et ce sont les titres de propriété industrielle délivrés par l’INPI « avant l’entrée en vigueur de l’accord d’extension avec l’INPI5 » qui sont désormais reconnus.
L’article LP 138, dans sa version modifiée en 2014, poursuit en indiquant que « cette reconnaissance a pour effet de permettre auxdits titres d’être protégés en Polynésie française dans les mêmes conditions qu’un titre qui aurait été délivré par la Polynésie française et notamment jusqu’à son échéance telle que prévue par le code de la propriété intellectuelle en vigueur en métropole ».
Le même article prévoit que les titres français déposés avant le 3 mars 2004 bénéficient d’une reconnaissance de plein droit6 sur le territoire de la Polynésie française et que ceux déposés, renouvelés ou prorogés entre le 3 mars 2004 et le 31 janvier 2014, peuvent faire l’objet d’une reconnaissance optionnelle7.
L’arrêté n° 1002 CM du 22 juillet 20138 pris en application de l’article LP 138 précité prévoit que, pour bénéficier de la reconnaissance optionnelle sur le territoire de la Polynésie française, le titre français doit être en vigueur. Dès lors que le titre français ne produit plus d’effet en France, il ne produit plus aucun effet en Polynésie française.
Ces dispositions ont ainsi permis de sécuriser a posteriori la protection des titres de propriété industrielle métropolitains en maintenant leurs effets sur le territoire polynésien, sous réserve que l’option ait bien été levée et accordée par les autorités polynésiennes.
La procédure de reconnaissance de la protection des titres métropolitains ayant été établie, il restait à définir leurs conditions de protection pour l’avenir. C’est ainsi qu’a été mis en place le mécanisme d’extension régi par l’Accord d’extension signé entre l’INPI et la Polynésie française le 7 avril 20149. Cet accord, toujours en vigueur, organise la possibilité d’étendre les titres de propriété industrielle déposés en France à la Polynésie française. Il est ainsi prévu que l’INPI reçoit et traite toute requête visant à étendre à la Polynésie française les effets produits par le dépôt d’une demande de brevet, de marque, de dessin ou modèle ou de topographie de produit semi-conducteur (TPS) français, ainsi que les effets produits par le dépôt d’une déclaration de renouvellement de marque ou de prorogation de dessin ou modèle français.
Ainsi, une demande ou un titre de propriété industrielle étendu à la Polynésie française produit les mêmes effets et est soumis aux mêmes conditions qu’une demande ou un titre de propriété industrielle métropolitain. Il ne s’agit toutefois pas d’un titre polynésien au sens propre, mais d’une extension des effets d’un titre métropolitain.
Les requêtes en extension sont reçues et publiées par l’INPI dans le Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI), puis publiées par la Polynésie française dans le Journal officiel de la Polynésie française (JOPF). Ensuite, à compter de la publication au BOPI de la décision de délivrance ou d’enregistrement du titre, la Polynésie française dispose d’un délai de deux mois pour accepter ou non l’extension à son territoire des titres de propriété industrielle français ayant fait l’objet d’une requête en ce sens.
L’équilibre de cette convention repose sur trois grands principes, qui en font sa singularité, à savoir les principes de rétroactivité, de dépendance et de permanence.
Le premier de ces trois principes est que, sous réserve d’une décision favorable des autorités polynésiennes, « le titre étendu produit ses effets sur le territoire de la Polynésie française à compter de son dépôt auprès de l’INPI »10. La protection du titre étendu en Polynésie française rétroagit ainsi à la date de dépôt du titre métropolitain qui en est le fondement.
Le second principe est que, comme il a été vu précédemment, le titre étendu est dépendant du titre métropolitain. Ainsi, il « arrive à échéance […] à la même date que le titre métropolitain qui en est le fondement et auquel il est totalement lié »11. Par ailleurs, et comme il a été vu précédemment, les titres de propriété industrielle métropolitains annulés ou déchus ne produisent plus aucun effet en Polynésie française12.
Le troisième principe, de permanence, est que le maintien dans le temps de la protection en Polynésie française de certains titres métropolitains, à savoir les marques et les dessins et modèles13, est conditionné à leurs renouvellements et à leurs prorogations successifs.
À cet égard, il doit être signalé que l’absence de requête en extension lors d’un renouvellement ou d’une prorogation met un terme à la protection en Polynésie française du titre étendu. Cette protection ne pouvant pas être réactivée à l’occasion d’un renouvellement ou d’une prorogation ultérieurs, les titulaires doivent veiller à requérir une nouvelle extension à chaque échéance de la protection du titre étendu.
De la même manière, l’absence de requête en extension lors du dépôt du titre métropolitain ne pourra pas être corrigée par une extension requise pour la première fois lors du renouvellement ou de la prorogation du titre métropolitain. Là encore, l’extension à la Polynésie française doit être envisagée et requise dès le dépôt du titre auprès de l’INPI, sous peine de ne plus pouvoir protéger ses droits de propriété industrielle sur le territoire polynésien.
Dans ce cas, le seul remède possible est, pour le titulaire d’une marque métropolitaine, de procéder à un nouveau dépôt de marque assorti d’une requête en extension. Pour les dessins et modèles, un nouveau dépôt n’est envisageable que si la demande métropolitaine est retirée avant publication, sous peine de se voir opposer un défaut de nouveauté. Enfin, pour les brevets, la solution serait un nouveau dépôt sous priorité interne14, afin de faire bénéficier le titre étendu de la date de dépôt de la première demande de brevet.
Au-delà de ces points de vigilance portés à l’attention des titulaires et leurs mandataires, le mécanisme d’extension à la Polynésie française reste simple d’utilisation et rencontre un véritable succès. Pour l’année 2023, ce sont 18 971 requêtes en extension qui ont été reçues et traitées par l’INPI.
En 2023, la Polynésie française a procédé à une importante modernisation de ses outils, en mettant en place un Journal officiel de la propriété industrielle (JOPI) dématérialisé15. Afin de permettre un tel développement, il a été nécessaire de modifier l’article 9 de l’accord d’extension par deux avenants successifs16.
Ainsi, alors que les autorités de la Polynésie française devaient procéder à la validation de l’extension d’un titre par une décision expresse prise par un arrêté du Président de la Polynésie française publié au JOPF dans un délai de deux mois, elles peuvent désormais procéder par une publication de l’extension au nouveau JOPI, sans arrêté, cette publication valant décision d’extension.
Les décisions de refus, elles, restent motivées et notifiées au titulaire du titre métropolitain ou à son mandataire dans le même délai. Il doit être noté toutefois qu’en l’absence de publication de l’extension au JOPI, et conformément à la loi du pays n° 2020-34 du 8 décembre 202017, « le silence gardé pendant deux mois par l’administration vaut décision de rejet ».
Enfin, une dernière modification apportée à l’accord d’extension concerne l’information de l’INPI des décisions de refus d’extension par les autorités de la Polynésie française, qui a désormais lieu « à l’épuisement des délais de recours » contre ces décisions18.
Un avenant à l’accord d’extension a ainsi été signé par le Président de la Polynésie française et le Directeur général de l’INPI le 25 juillet 2023 et est entré en vigueur le 1er septembre 202319.
Le succès de l’accord d’extension du 7 avril 2014 révisé témoigne à la fois de la nécessité pour les déposants métropolitains et polynésiens de protéger leurs droits métropolitains en Polynésie française et de la sincère coopération entre ce territoire et notre Institut.
1Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.
2 La loi organique de 2004 ne vise pas expressément le droit de la propriété intellectuelle. En revanche, l’article 13 dispose que « les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 », et la liste des matières qui demeurent dévolues à la compétence des autorités de l’État de l’article 14 ne vise pas le droit de la propriété intellectuelle, ni même le droit commercial ou le droit des biens et des obligations, de sorte qu’il ne fait aucun doute que la compétence en matière de droit de la propriété intellectuelle a été transférée à la Polynésie française. Voir en ce sens, la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-6 LOM du 7 novembre 2014.
3Loi du pays n° 2013-14 du 6 mai 2013 portant modification de la 2e partie du code de la propriété intellectuelle (partie législative), intitulée « la propriété industrielle ».
4Loi du pays n° 2014-10 du 6 mai 2014 portant modification et complétant certaines dispositions relatives à la propriété industrielle.
5Convention n° 1794 PR du 7 avril 2014 portant accord entre la Polynésie française et l’Institut national de la propriété industrielle relative à l’extension des titres de propriété industrielle (« accord d’extension »), publié au Journal officiel de la Polynésie française le 9 mai 2014.
6 La reconnaissance de plein droit ou automatique signifie que tous les titres de propriété industrielle délivrés par l’INPI avant le 3 mars 2004 continuent à produire en Polynésie française strictement les mêmes effets qu’en France métropolitaine sans que leurs titulaires n’aient à accomplir aucune formalité.
7 Sur la reconnaissance optionnelle, voir l’article d’Alice Ivernel, paru dans PIBD 2023, 1203, IV-2.
8Arrêté n° 1002 CM du 22 juillet 2013 pris en application de l’article LP. 138 de la loi du pays n° 2013-14 du 6 mai 2013 portant modification de la 2e partie du code de la propriété intellectuelle (partie législative) intitulée « propriété industrielle ».
9Convention n° 1794 PR du 7 avril 2014 portant accord entre la Polynésie française et l’Institut national de la propriété industrielle relative à l’extension des titres de propriété industrielle (« accord d’extension »).
10 Article 9 (3) de l’accord d’extension.
11Ibid.
12 Article 7 de l’arrêté n° 1002 CM du 22 juillet 2013 : « les titres de propriété industrielle ne produisant plus d’effets en France métropolitaine, du fait notamment de leur déchéance ou de leur nullité, ne produisent aucun effet en Polynésie française ».
13 L’article 3 (2) de l’accord d’extension ne mentionne que les requêtes « visant à étendre à la Polynésie française les effets produits par le dépôt d’une déclaration de renouvellement de marque métropolitaine ou de prorogation de dessin ou modèle métropolitain ». En ce sens, il n’est pas nécessaire d’étendre les effets produits par le paiement d’une annuité de maintien en vigueur d’un brevet métropolitain, l’extension lors du dépôt des effets du brevet métropolitain à la Polynésie française vaudra pour toute la durée du brevet, sous réserve de son maintien en vigueur.
14 Article L. 612-3 du Code de la propriété intellectuelle.
15 Le Journal officiel – Edition Propriété industrielle (JOPI) est publié au format numérique depuis le 1er septembre 2023. Ce nouveau format permet de faire des recherches, notamment par nom, numéro et date de dépôt du titre (voir PIBD 2023, 1210, IV-4).
16Avenant 4457/PR du 23 juin 2023 et avenant 5668/PR du 7 août 2023 portant modification de l'article 9 de la convention n° 1794 PR du 7 avril 2014 portant accord entre la Polynésie française et l'Institut national de la propriété industrielle relatif à l'extension des titres de propriété industrielle (accord d'extension).
17Loi du pays n° 2020-34 du 8 octobre 2020 relative aux relations entre l’administration de la Polynésie française et ses usagers.
18 L’article 9 (2) de l’accord d’extension, dans sa version antérieure, prévoyait que « toute décision de refus d’extension est motivée et adressée par lettre recommandée avec avis de réception au titulaire du titre, après information préalable de l’INPI ». Le même article prévoit désormais que « toute décision de refus d’extension est motivée et adressée par lettre recommandée avec avis de réception au titulaire du titre. A l’épuisement des délais de recours à l’encontre de cette décision de revus, les autorités de la Polynésie française informent l’INPI ».
19Avenant 5668/PR du 7 août 2023 portant modification de l'article 9 de la convention n° 1794 PR du 7 avril 2014 portant accord entre la Polynésie française et l'Institut national de la propriété industrielle relatif à l'extension des titres de propriété industrielle (accord d'extension).