Contrefaçon de marque - Droit de l’UE - Apposition - Importation et vente - Pièces détachées automobiles - Droit conféré par la marque de l’UE - Clause de réparation - Usage dans la vie des affaires - Limitations des effets de la marque de l’UE - Référence nécessaire
En vertu de l’article 9, § 2 et 3, a) à c), du règlement (UE) 2017/1001, le tiers qui, sans le consentement du constructeur de véhicules automobiles titulaire d’une marque de l’Union européenne, importe et propose à la vente des pièces détachées, à savoir des calandres pour ces véhicules automobiles, contenant un élément qui est conçu pour la fixation de l’emblème représentant cette marque et dont la forme est identique ou similaire à la marque, fait un usage d’un signe dans la vie des affaires d’une manière qui est susceptible de porter atteinte à une ou des fonctions de la même marque, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.
L’article 14, § 1, c), du règlement (UE) 2017/1001 ne s’oppose pas à ce que le constructeur de véhicules automobiles titulaire d’une marque de l’Union européenne interdise à un tiers l’usage d’un signe identique ou similaire à cette marque pour des pièces détachées pour ces véhicules automobiles, à savoir des calandres, lorsque ce signe consiste en la forme d’un élément de la calandre, conçu pour la fixation sur celle-ci de l’emblème représentant la marque. Il importe peu à cet égard qu’il existe ou non une possibilité technique de fixer cet emblème sur la calandre sans apposer le signe sur celle-ci.
Cour de justice de l’Union européenne, 4e ch., 25 janvier 2024, C-334/22 (M20240010)
Audi AG c. GQ
(Décision préjudicielle)
La Cour de justice de l’Union européenne était saisie d’une demande de décision préjudicielle par un tribunal polonais dans le cadre d’un litige portant sur la commercialisation de pièces détachées de véhicules automobiles, à savoir des calandres, contenant un élément conçu pour la fixation de l’emblème représentant une marque de l’Union européenne d’un constructeur automobile. La question est de savoir si l’utilisation d’un support permettant d’accueillir l’emblème d’une marque sur une calandre constitue une violation de l’article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (RMUE) qui énumère les droits conférés par la marque à son titulaire, et le cas échéant, si cette utilisation peut être justifiée par l’article 14 du même règlement qui prévoit des limitations aux effets de la marque.
La société Audi AG, constructeur automobile, est titulaire de la marque figurative de l’Union européenne constituée de quatre anneaux, désignant notamment les « véhicules terrestres, aériens et nautiques, pièces et parties constitutives de ces articles comprises dans cette classe, y compris moteurs », relevant de la classe 12.
La société GQ exerce une activité de vente de pièces détachées non originales pour véhicules automobiles. Dans le cadre de son activité, elle fait la publicité pour des calandres (radiateurs automobiles) d’anciens modèles de véhicules automobiles. Au centre de ces calandres se trouve un élément conçu pour la fixation du logo de la marque du constructeur Audi. Cet élément peut reprendre la forme des quatre anneaux de la marque Audi[1].
La société Audi a introduit un recours en justice visant à faire interdire à la société GQ de proposer à la vente des pièces détachées non originales comportant un signe identique ou similaire à sa marque.
Le tribunal régional de Varsovie estime qu’il convient d’interroger la CJUE sur l’interprétation du RMUE pour trancher le litige : la portée du droit exclusif conféré par l’article 9 du règlement au titulaire de la marque s’applique-t-elle aux éléments conçus pour la fixation de l’emblème de la marque sur la calandre qui seraient, par leur forme, identiques ou similaires à celle-ci ? Dans l’affirmative, le vendeur peut-il se prévaloir de l’exception de référence nécessaire prévue à l’article 14 du règlement ?
Dans un premier temps, la Cour répond aux interrogations de la juridiction de renvoi concernant l’articulation du droit des marques avec la clause de réparation prévue à l’article 110 du règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, qui prévoit que la protection ne s’applique pas à un dessin ou modèle qui constitue une pièce détachée d’un produit complexe dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe pour lui rendre son apparence initiale.
La Cour écarte une interprétation de l’article 9 du RMUE, qui conduirait à appliquer par analogie la clause de réparation prévue pour les dessins ou modèles et à limiter, sur le fondement de cette disposition, le droit conféré par une marque. Rappelant sa jurisprudence (notamment ordonnance du 6 octobre 2015, Ford Motor Company, C-500/14, points 39,41 et 42), elle relève que cette clause n’apporte de limitation qu’à la protection des dessins ou modèles, et que le législateur n’a prévu aucune dérogation de la sorte en droit des marques. Dans le RMUE, le législateur a pris en compte l’objectif de préserver une concurrence non faussée en prévoyant des limitations au droit conféré par la marque à l’article 14. C’est donc au seul regard du droit des marques que l’affaire doit être analysée.
Dans un deuxième temps, la question à laquelle la Cour répond est de savoir si, dans les circonstances de l’affaire, l’utilisation d’un signe identique ou similaire à une marque, qui constitue un élément de fixation pour l’emblème de cette marque, peut être considéré comme un usage à titre de marque portant atteinte aux fonctions de la marque invoquée.
La Cour conclut en premier lieu que la forme de l’élément de fixation constitue bien un signe au sens de l’article 9, paragraphe 2 du RMUE. La société poursuivie a fait un usage dans la vie des affaires de la marque par l’apposition de l’emblème de la marque sur les calandres, l’importation et la vente de ces calandres, ces actes étant respectivement visées au paragraphe 3, sous a), b) et c) du même article. Cet usage est d’autant plus caractérisé dès lors que ledit élément est placé sur la calandre de telle manière que, tant que l’emblème représentant la marque du constructeur des véhicules n’est pas fixé, le signe identique ou similaire à cette marque est visible pour le public pertinent lorsque celui-ci voit cette pièce, ce public étant celui qui souhaite acheter une telle pièce afin de réparer ou de faire réparer un véhicule automobile. La Cour reste néanmoins évasive sur le fait de savoir si l’élément de fixation est perçu en lui-même comme une marque, et donc apte à remplir, dans une telle situation, une fonction de désignation d’origine.
En second lieu, selon la Cour, un tel usage est susceptible de porter atteinte à une ou des fonctions de la marque. La Cour se contente de rappeler la méthode d’appréciation de l’atteinte dans les cas d’une identité des signes ou dans celui d’une similarité des signes, ainsi que l’hypothèse d’atteinte à la renommée de la marque.
Dans tous ces cas, la juridiction nationale devra déterminer si l’usage porte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, parmi lesquelles figurent non seulement la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service, mais également les autres fonctions de celle-ci, comme, notamment, celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d’investissement ou de publicité.
Ainsi, la Cour considère que les principes dégagés dans le cadre des droits conférés par la marque à son titulaire s’appliquent aux circonstances de l’espèce et que l’argument selon lequel l’usage du signe résulterait de la volonté et/ou de la nécessité de reproduire aussi fidèlement que possible le produit d’origine ne saurait conduire à une appréciation différente, peu important les considérations techniques propres aux pièces détachées.
En conséquence, l’intégration sur une pièce détachée de véhicule automobile d’un élément conçu pour la fixation de l’emblème représentant une marque et dont la forme est identique ou similaire à ladite marque, constitue un usage d’un signe dans la vie des affaires, susceptible de porter atteinte à une ou des fonctions de la même marque, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.
Dans un troisième et dernier temps, la Cour dit pour droit que cet usage ne peut bénéficier de l’exception dite de référence nécessaire. En effet, l’article 14, paragraphe 1, sous c) du RMUE, ne permet pas à un titulaire de se prévaloir de l’article 9 à l’encontre d’un tiers si ce dernier fait un usage de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire, en particulier lorsque l’usage de ladite marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée.
Selon la Cour, l’usage d’un signe tel qu’en l’espèce ne sert pas à désigner ou mentionner des produits comme étant ceux du titulaire, mais bien à reproduire d’une manière aussi fidèle que possible un produit de ce titulaire, et ne relève ainsi pas de l’exception de l’article 14.
Léonard Munsch
Chargé de missions au service juridique et international de l'INPI
[1] Voir l’ordonnance de renvoi préjudiciel du 25 février 2022, document de travail du 23 mai 2022, en particulier points 14 et 17.