La nouvelle rubrique « Brèves de jurisprudence » offre un aperçu d'autres décisions en mettant l'accent sur un ou plusieurs points de droit intéressants. |
Validité de la marque - Atteinte à la marque de renommée antérieure - Dépôt frauduleux
Est cassé l’arrêt d’appel qui a rejeté le recours formé par la société titulaire de la marque RICHARD MILLE contre la décision de l’INPI ayant partiellement accueilli la demande en nullité de la marque postérieure RICHARD MILLE. Concernant le fondement de nullité tiré de l’atteinte à la renommée de la marque antérieure, la cour d’appel a retenu que le public pertinent ne pourrait opérer de lien entre la marque renommée et la marque contestée que pour certains produits et services visés par cette dernière. En statuant ainsi, elle n’a pas répondu aux conclusions de la demanderesse qui faisait valoir, concernant les services d'« agences de presse » et d'« agences d'informations », que le public pertinent était conduit à faire un lien entre les signes compte tenu de sa présence médiatique pour des nouvelles portant à la fois sur des vols de montres de grande valeur, en particulier de marque RICHARD MILLE, et des événements sportifs en raison de ses nombreux partenariats. Concernant le fondement tiré du dépôt frauduleux, la cour d’appel a retenu que l'intention de nuire du déposant n'était pas démontrée et que, si cette marque était à juste titre contestée pour les produits et services pour lesquels elle avait été déclarée nulle par l'INPI, elle n'était pas critiquable pour ceux pour lesquels il n'était pas justifié d'une atteinte aux droits antérieurs de la demanderesse. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la fraude, elle a violé l'article L. 712-6 du CPI et le principe selon lequel la fraude corrompt tout.
Cass. com., 31 janv. 2024, Turlen Holding SA c. INPI et al., 22-17.562 (M20240033)
(Cassation CA Paris, pôle 5, 2e ch., 11 févr. 2022, 21/05616 ; M20220063 ; PIBD 2022, 1180, III-3)
Opposition à enregistrement - Atteinte à la marque de renommée antérieure - Produits et services différents
La cour d’appel a rejeté le recours de la société titulaire de la marque BEATLES contre la décision de l’INPI ayant rejeté son opposition à l’enregistrement de la marque THE BEATLES, faute de caractérisation de l’atteinte à la marque renommée antérieure. Elle a retenu que la forte similitude des signes et l'intensité de la renommée de la marque antérieure pour les « disques sonores » ne suffisaient pas à caractériser le lien entre les signes et qu'il devait, en outre, être tenu compte, notamment, du degré de proximité ou de dissemblance entre les produits et services en cause, ce qui exigeait de la part de l’opposante de les mettre en relation par une analyse comparative qui n’avait pas été faite lors de la procédure d’opposition. La Cour de cassation casse l'arrêt. La cour d'appel aurait dû rechercher, comme il le lui incombait, si, nonobstant la différence des produits et services en cause, le public pertinent n'était pas conduit, compte tenu de l'intensité de la renommée de la marque BEATLES pour désigner les « disques sonores », de son caractère distinctif élevé et de la forte similitude des signes, tous éléments qu’elle constatait, à faire un lien entre cette marque antérieure et la marque seconde THE BEATLES pour une partie au moins des produits et services pour lesquels cette dernière marque avait été déposée.
Cass. com., 31 janv. 2024, Apple Corps Ltd c. INPI et al., 22-20.293 (M20240034)
(Cassation CA Paris, pôle 5, 2e ch., 15 avr. 2022, 21/09159 ; M20220112 ; PIBD 2022, 1182-III-3)
Validité des marques tridimensionnelles (non) - Contrefaçon de droits d’auteur (oui) - Concurrence parasitaire (oui)
Les deux marques tridimensionnelles représentant une chaise et un tabouret, déposées en décembre 2017, doivent être annulées. Elles sont dépourvues de caractère distinctif intrinsèque au regard des produits désignés (« chaises métalliques », pour l’une, « tabourets métalliques », pour l’autre), la forme des produits ne divergeant pas, de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur concerné. De plus, les signes en cause sont constitués exclusivement par la forme conférant aux produits leur valeur substantielle, puisque cette forme dicte, dans une très large mesure, le choix des consommateurs lors de l'achat. S'agissant des droits d'auteur, la chaise et le tabouret, qui ont été créés dans les années 1930, étaient éligibles à la protection à ce titre. Cependant, seule la chaise a été contrefaite avant que ces œuvres ne tombent dans le domaine public le 1er janvier 2019. L’autre tabouret invoqué, qui a été créé en 2006 à partir du premier, auquel a été ajouté un dossier inspiré de la chaise, est dépourvu d’originalité. En proposant à la vente des copies serviles ou quasi-serviles de la chaise et des deux tabourets, fabriquées à moindre coût en Chine, la société défenderesse a entendu se placer dans le sillage de la société demanderesse afin de profiter indûment de la notoriété de ses produits au design iconique et auréolés de la qualité « made in France », ainsi que du savoir-faire et des investissements de cette société.
CA Paris, pôle 5, 1re ch., 20 déc. 2023, Tolix Steel Design SAS c. Gifi Diffusion SAS, 22/01602 (M20230263)1
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 7 janv. 2022, 19/06867 ; M20220347)
1 La cour d’appel a rendu antérieurement une décision assez similaire dans un litige opposant la demanderesse à un autre défendeur pour des faits d’importation et de vente de chaises et de tabourets provenant de Chine (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 nov. 2023, Tolix Steel Design SAS c. M. [Z] [C] [D], 21/19556 ; M20230248).
Contrefaçon de la marque (oui) - Usage dans la vie des affaires
La contrefaçon de la marque intermezzo, qui vise des services de restauration, est caractérisée du fait de l’exploitation par le CROUS du signe « L’INTERMEZZO » pour désigner un restaurant universitaire. Le CROUS se prévaut de son statut d’établissement public administratif pour contester l’usage du signe dans la vie des affaires. Cette notion, qui doit être comprise largement comme s’opposant à ce qui relève du domaine privé, englobe les activités commerciales mais également celles qui produisent un avantage économique direct ou indirect. Le CROUS, qui utilise le signe litigieux pour faire la promotion d’une activité de restauration payante, en retire un avantage économique direct. De plus, le service de restauration proposé est équivalent à celui des opérateurs économiques privés, qu’il vient concurrencer de manière d’autant plus importante qu’il est en mesure de proposer des tarifs attractifs dans l’enceinte même de l’université. Par ailleurs, l’atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque est constituée. Le signe litigieux est donc utilisé dans la vie des affaires.
TJ Lyon, 3e ch., 23 janv. 2024, IM Confluence SAS c. Centre régional des œuvres universitaires (CROUS) Grenoble Alpes EPIC et al., 19/07443 (M20240019)
Demande en nullité de la marque - Compétence de l’INPI (non) - Demande connexe
La demande en nullité formée devant l’INPI porte sur la même marque contestée BRICKS.co, et concerne les mêmes parties que l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale en cours devant le tribunal judiciaire de Marseille. En application des articles L.716-5 et R.716-5 du CPI, l’INPI est compétent pour statuer sur la demande en nullité d’une marque « sauf lorsqu’une telle demande est connexe à toute autre action relevant de la compétence du tribunal (…) »1. En l’espèce, le demandeur en nullité, qui est titulaire de la marque BRIK, a, auparavant, introduit une action portant, à titre principal, sur des actes de contrefaçon et, à titre subsidiaire, sur des actes de concurrence déloyale. L’argumentation du demandeur, tant devant le tribunal judiciaire que devant l’INPI, s’appuie sur l’atteinte portée à la même marque antérieure par l’enregistrement de la même marque postérieure, et pour les mêmes services. Ces demandes présentent ainsi un lien nécessaire, étroit et donc connexe. L’INPI se déclare incompétent pour connaître de la demande en nullité.
INPI, 23 janv. 2024, Brik SAS, NL 22-0177 (NL20220177)
1 V. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services.
Recevabilité de l’action en contrefaçon du dessin - Présomption de titularité du déposant
Une société a agi en contrefaçon d’un dessin d’imprimé, qu’elle avait acquis auprès d’une société tierce avant de procéder à son dépôt à l’INPI. La cour d’appel a jugé que sa demande était irrecevable. Elle a en effet retenu que la cession n'avait pas été publiée au Registre national des dessins et modèles, de sorte que le simple enregistrement du dessin ne suffisait pas à conférer à la société demanderesse le droit d'agir. En statuant ainsi, elle a violé l’article L. 511-9 du CPI, la présomption de titularité en faveur du déposant ne pouvant être renversée qu'en présence d'une revendication de propriété du dessin ou modèle émanant de la ou des personnes physiques l'ayant réalisé1.
Cass. com., 31 janv. 2024, Coline Diffusion SA c. AVM Import SARL, 22-20.409 (D20240003)2
(Cassation CA Bordeaux, 1re ch. civ., 21 juin 2022, 19/04519 ; D20220042)