Validité de la marque verbale de l’UE (oui) - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Public pertinent - Langue étrangère - Fonction d’indication d’origine
Déchéance de la marque verbale de l’UE (non) - Usage sérieux sur le territoire européen
Contrefaçon de la marque verbale de l’UE (oui) - Identité des services - Mots d’attaque identiques - Langue étrangère - Différence visuelle et phonétique - Similitude intellectuelle - Caractère distinctif de la marque antérieure - Risque de confusion
Protection au titre du droit d'auteur (oui) - Œuvre créée à l’étranger - Convention de Berne - Loi du pays où la protection est réclamée - Identification du modèle - Évolution dans le temps - Originalité - Recherche esthétique - Effort de création - Empreinte de la personnalité de l'auteur
Titularité des droits d'auteur (oui) - Personne morale - Présomption de titularité - Exploitation sous son nom
Contrefaçon des droits d'auteur - Reproduction des caractéristiques essentielles - Différences mineures
Préjudice - Préjudice matériel - Preuve des investissements réalisés - Carence du demandeur - Préjudice moral - Dévalorisation - Banalisation - Qualité inférieure
Concurrence déloyale (non) - Copie servile - Fait non distinct des actes de contrefaçon de droits d’auteur - Parasitisme (non) - Volonté de profiter des investissements d'autrui et de s’inscrire dans son sillage
La société demanderesse organise un événement de sport motorisé télévisé nommé « Monster Jam ». « El Toro Loco » est le nom d’un des camions-monstres qui participe à ce divertissement. La marque verbale de l’Union européenne El TORO LOCO dont elle est titulaire, qui désigne notamment les « Camions (jouets) » et les « Services de divertissement sous forme de compétitions et de présentations de camions monstre », présente un caractère distinctif.
Le public pertinent, composé des spectateurs de divertissements mettant en scène des camions-monstres ainsi que du grand public amateur de ce type de spectacles, qui achète des camions miniatures sous forme de jouets, ne peut établir directement de lien entre les produits et services visés à l’enregistrement et le signe. En effet, ce signe, composé d’une combinaison de mots en langue espagnole, qui se traduit par « taureau enragé » ou « taureau fou », constitue un choix de désignation arbitraire qui n’est pas dicté par les caractéristiques de ces produits et services. Il est à ce titre indifférent que le camion-monstre sur lequel le signe est apposé lors du spectacle représente cet animal. De plus, la marque remplit sa fonction essentielle d’indication d’origine. Le spectacle proposé par la société demanderesse met en scène le camion vedette « El Toro Loco » de manière récurrente depuis sa création. Dès lors, le public pertinent est en mesure d’appréhender, par le biais de la marque El TORO LOCO, l’origine des produits et services qu’elle propose par rapport à ceux de ses concurrents.
La demande reconventionnelle en déchéance de la marque pour les services de divertissement visés est rejetée. Il ressort des pièces produites que le signe El TORO LOCO désigne, non le divertissement, plus communément cité sous le signe « Monster Jam », mais l’un des camions-monstres emblématiques du spectacle. Ce camion figure, avec d’autres tels que « Grave Digger », « Monster Mutt » ou « Blue Thunder » au cœur du service de divertissement. Personnifiés comme des personnages récurrents à part entière, associés à des pilotes, ces camions sont mis en lumière dans les différentes courses et défis faisant partie du spectacle et constituent un élément de ralliement du public. Or, le camion « El Toro Loco » intervient de manière très régulière devant le public depuis sa création en 2001. Dès lors, la démonstration d’un usage de la marque pour désigner un personnage récurrent dans le cadre du divertissement est une référence claire au service de divertissement lui-même et vaut usage de la marque enregistrée. La société demanderesse justifie, durant la période de référence, de l’organisation de plusieurs spectacles et compétitions mettant en scène le camion sous le signe El TORO LOCO, dans quatorze villes différentes situées dans l’Union européenne, y compris en France. Elle autorise également la rediffusion de ses compétitions, en particulier pour les spectacles américains, notamment sur la chaîne française « Automoto », ce qui participe à l’exploitation de son service de divertissement. Enfin, les variations dans la présentation du signe El TORO LOCO ne suffisent pas à altérer le caractère distinctif de la marque verbale contestée.
En faisant usage du signe « El TORO DEl FUEGO » dans le cadre de compétitions de camions-monstres, les défendeurs ont commis des actes de contrefaçon de la marque El TORO LOCO. Les signes en litige sont tous deux constitués d’une suite de termes en langue espagnole formant un ensemble doté d’une signification et les deux premiers termes sont strictement identiques. Le terme central « toro », qui signifie « taureau », est compris de la majorité du public français en raison de sa proximité avec la traduction en langue française, ce qui conduit le public pertinent – le grand public d’attention moyenne – à faire un lien avec ce mammifère et la tauromachie, d’ailleurs originaire d’Espagne. La comparaison des signes permet donc de relever une certaine proximité entre eux, en raison non seulement de l’importante similitude conceptuelle, mais également de l’usage identique de la langue espagnole, qui renforce la proximité sonore entre les signes. En outre, le signe El TORO LOCO est intrinsèquement distinctif pour désigner un camion-monstre faisant partie d’un spectacle de cascades de voitures. La notoriété du camion n’apparaît en revanche pas suffisamment démontrée, en dépit de sa présence récurrente dans les compétitions et mises en scène relayées sur Internet. Il en résulte que la combinaison entre l’identité des services concernés et la ressemblance conceptuelle entre les signes n’est pas compensée par leurs différences visuelle et auditive, qui ne seront pas perçues de manière prépondérante par le public pertinent. Celui-ci sera donc amené à attribuer une origine commune aux produits et services, de sorte que le risque de confusion est caractérisé.
En application de l’article 5 de la convention de Berne, une œuvre créée aux États-Unis et pour laquelle la protection est réclamée en France est protégée sur ce territoire de la même manière que si elle avait été créée en France, si les conditions prévues par les dispositions des Livres I et III du CPI sont remplies. En l’espèce, la société demanderesse revendique des droits d’auteur sur un véhicule qui participe à des représentations et compétitions de camions-monstres et produit un certificat d’enregistrement américain qui, s’il ne produit pas d’effet en France, donne néanmoins une indication pour dater la création. Depuis la date de sa première apparition dans un championnat mondial en 2003, il est démontré que le véhicule type pick up « El Toro Loco » apparaît régulièrement dans des compétitions. S’il a existé, pendant les vingt dernières années, plusieurs camions, parfois agencés pour des évènements en particulier ou pour un pilote spécial, le camion revendiqué a peu évolué avec le temps, présentant seulement de légères différences, notamment sur la forme des roues (lisses ou crantées), la couleur (variant, au sein des couleurs chaudes, du rouge au jaune), ou la forme des cornes et des flammes. Cette modification est inévitable, s’agissant de véhicules de combat ayant vocation à être dégradés lors des différents affrontements. Cependant, les caractéristiques principales (toit orné de deux cornes, pare-brise avant constitué de deux arrondis symbolisant des yeux, ailes avant latérales ornées de dents, ouvertures représentant un naseau d’animal portant un anneau sur le capot avant, renflements de carrosserie au niveau du parechoc pour symboliser les lèvres, portières sans poignées apparentes, motif de flammes, signe « El Toro Loco », nuances de couleurs du rouge au jaune) sur la base desquelles la demanderesse conclut à l’originalité, sont conservées.
L’originalité du camion-monstre « El Toro Loco » est établie. La combinaison des différents éléments de carrosserie révèle des choix esthétiques arbitraires de l’auteur et ne résulte pas d’une obligation dictée par la fonction du véhicule. En effet, ce dernier a été travaillé afin que son apparence puisse s’assimiler à celle d’un taureau « enragé », reprenant des attributs caractéristiques de cet animal de combat (cornes, naseaux...). Les ailes avant ont été placées de façon à faire apparaître une mâchoire avec une denture apparente, dont il se dégage une impression d’agressivité et de force brute. Le parti pris créatif et esthétique est également illustré par le graphisme spécifique utilisé pour le signe « El Toro Loco » présenté sur le flanc du véhicule, selon une typologie angulaire, avec un motif déchiré sur les premières lettres des mots. L’ensemble de ces caractéristiques porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
En exploitant le camion-monstre « El Toro Del Fuego », les défendeurs se sont rendus coupables de contrefaçon de droits d’auteur. Celui-ci reprend la combinaison des caractéristiques spécifiques et originales du camion-monstre de la société demanderesse. De plus, le signe apposé sur la carrosserie, bien que non reproduit de manière identique, reprend certaines caractéristiques du signe verbal apposé sur le camion invoqué, notamment une police similaire. Les quelques différences entre les deux véhicules, comme la nuance de couleur, l’extrémité des cornes plus ou moins aiguisée, la couleur de l’anneau ou la densité des flammes du motif, ne suffisent pas à compenser la reprise de la combinaison des caractéristiques protégeables par le droit d’auteur.
TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 15 février 2024, 22/05311 (M20240048)
Feld Motor Sports Inc. c. [H] [Z] SAS, M. [Z] [H], Alex Production SAS et al.