Par Célia Benabou, chargée de missions au service juridique et international de l’INPI
Éléments de contexte
Le Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC-GRTKF) existe à l’OMPI depuis les années 2000. Il comporte deux volets distincts : d’une part, un comité consacré aux ressources génétiques et savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques (objet de la Conférence diplomatique) et, d’autre part, un comité consacré aux expressions culturelles traditionnelles ou du folklore, qui perdurera après la Conférence diplomatique.
Les ressources génétiques et autres ressources biologiques constituent un objet spécifique et font l’objet de nombreux débats quand il s’agit de protection par la propriété intellectuelle, depuis que les systèmes de propriété intellectuelle ont commencé à protéger l’innovation dans les sciences de la vie modernes, dès le milieu des années 70. Les ressources génétiques sont définies comme le « matériel génétique ayant une valeur effective ou potentielle »1 et comprennent, par exemple, les plantes, les graines, les microorganismes, les races animales, les séquences génétiques, etc. Les ressources génétiques, en tant que telles, ne sont pas brevetables dans la mesure où elles constituent des produits de la nature et ne sont donc pas des inventions. En revanche, les inventions qui se basent sur ces ressources peuvent être protégées par un brevet.
Concernant les savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques, aucune définition internationale n’est encore établie, mais le Code de l’environnement français les définit comme « les connaissances, les innovations et les pratiques relatives aux propriétés génétiques ou biochimiques de cette ressource, à son usage ou à ses caractéristiques, qui sont détenues de manière ancienne et continue par une ou plusieurs communautés d'habitants mentionnées, ainsi que les évolutions de ces connaissances et pratiques lorsqu'elles sont le fait de ces communautés d'habitants »2. Les savoirs traditionnels au sens large recouvrent les connaissances proprement dites ainsi que les expressions culturelles traditionnelles, y compris les signes distinctifs et les symboles associés aux savoirs traditionnels, pouvant aller de la médecine traditionnelle et des connaissances écologiques, à l’art, aux symboles, à la musique, etc.
Signée en 1992, la Convention sur la diversité biologique (CDB) est un traité international juridiquement contraignant qui a pour objectifs la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, ainsi que le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. Cette convention a donné lieu au protocole de Nagoya, qui traite uniquement des questions d'accès et de partage des avantages liés aux ressources génétiques. Convention et protocole fixent les règles générales pour l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées.
La Conférence diplomatique et sa proposition de base
En juillet 2022, l’Assemblée générale de l’OMPI a décidé de convoquer une Conférence diplomatique pour la conclusion d’un instrument juridique international portant sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques3. Cette Conférence diplomatique, qui se tiendra du 13 au 24 mai 2024 à Genève, représente la dernière étape des négociations avant l’adoption de l’instrument relatif au premier volet du comité IGC.
À titre liminaire, il est important de noter que le projet de texte actuel n’est qu’une version provisoire qui évoluera lors des négociations de la conférence diplomatique. En effet, si ces négociations portent sur la proposition de base4, les États membres doivent encore finaliser, par consensus, la formulation d’un certain nombre d’articles afin d’aboutir à un instrument juridique international contraignant.
L’instrument envisagé vise, d’une part, à favoriser la transparence en ce qui concerne les ressources génétiques et leurs savoirs traditionnels associés, sur lesquels se basent des inventions brevetées et, d’autre part, à prévenir la délivrance de brevets pour des inventions qui ne seraient pas nouvelles ou n’impliqueraient pas d’activité inventive eu égard aux ressources génétiques et à leurs savoirs traditionnels associés.
À ce stade, le projet d’instrument prévoit une exigence de divulgation relative à l’origine ou à la source des ressources génétiques et/ou des savoirs traditionnels associés lors du dépôt des demandes de brevets basées sur ces ressources génétiques et/ou savoirs traditionnels associés. Il contient également des dispositions relatives à un système d’information (base de données) qui pourrait être mis en place afin de permettre aux offices de propriété intellectuelle d’accéder aux informations sur l’origine ou la source des ressources génétiques et des savoirs traditionnels, fournies dans le cadre de l’exigence de divulgation prévue au dépôt de la demande de brevet, à des fins de recherche et d’examen.
Le non-respect de l’exigence de divulgation pourrait être soumis à des sanctions appropriées, efficaces et proportionnées. Les déposants de demandes de brevets devraient toutefois bénéficier de la possibilité de rectifier la non-communication des informations requises. Le brevet pourrait être révoqué ou rendu inopposable uniquement en cas d’intention frauduleuse au regard de l’exigence de divulgation.
La mise en œuvre d’une exigence de divulgation dans les demandes de brevets permettrait aux États ayant ratifié le protocole de Nagoya5 de contrôler plus facilement le respect des obligations contenues dans ce protocole concernant l’accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées. La conclusion de cet instrument présente ainsi des avantages pour les pays riches en biodiversité afin d’assurer la préservation de leurs ressources et des connaissances associées à leur utilisation, grâce à un système de brevet plus transparent.
Si cette exigence de divulgation existe déjà dans un certain nombre de législations nationales, la mise en place d’un traité international aura pour effet d’augmenter le nombre d’États appliquant une telle exigence. Le projet d’instrument prévoit par ailleurs une clause de non-rétroactivité selon laquelle aucune obligation de cet instrument ne devrait être imposée aux demandes de brevets déposées avant l’entrée en vigueur de l’instrument.
Ainsi, afin de parvenir à un juste équilibre entre la protection de la biodiversité et celle de l’innovation, le futur traité de l’OMPI devrait se concentrer sur l’adoption de mesures de transparence permettant de renforcer la mise en œuvre effective des principes posés par la Convention sur la diversité biologique et le protocole de Nagoya, de manière complémentaire et cohérente.
1 Article 2 de la Convention sur la diversité biologique (CDB), et article 2 de la proposition de base pour la conférence diplomatique.
2 Article L412-4 §5 du Code de l’environnement.
3 À l’OMPI, les travaux du comité IGC (comité intergouvernemental) comportent deux volets, un sur les ressources génétiques et savoirs traditionnels associés, pour lequel une conférence diplomatique a été convoquée en 2022, et un second volet relatif aux expressions culturelles traditionnelles.
4 https://www.wipo.int/edocs/mdocs/tk/fr/gratk_dc/gratk_dc_3.pdf.
5 Adopté en 2010, le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation (APA) est entré en vigueur le 12 octobre 2014.