Validité du brevet européen (non) - Médicament - Posologie - Mode d’administration - Activité inventive - Approche problème-solution
La société demanderesse souhaite commercialiser en France un générique du médicament Xarelto, dont le principe actif est le Rivaroxaban, à l’expiration du brevet européen et du CCP protégeant l’usage de ce produit pour le traitement de maladies thromboemboliques. Considérant que le dépôt et le maintien, par une société du même groupe pharmaceutique, d’un autre brevet européen portant sur le traitement de troubles thromboemboliques avec du Rivaroxaban, qui revendique une posologie particulière, ont pour unique objectif de retarder l’entrée de génériques de ce produit sur le marché, elle a assigné la société titulaire en nullité de la partie française de ce brevet.
Les inventions de posologie, qui reposent sur la quantité de médicament administrée et la fréquence d'administration, sont admises par la Cour de cassation[1] et la chambre de recours de l'OEB, y compris pour le traitement d'une même maladie.
En l’espèce, le problème technique qu'entend résoudre l'invention est de fournir une première posologie de Rivaroxaban, pour le traitement de la prophylaxie et de troubles thromboemboliques.
Les deux premières caractéristiques de la revendication 1 du brevet, qui visent le composé Rivaroxaban et son utilisation pour un médicament destiné au traitement d'un trouble thromboembolique, reposent sur des éléments connus de l'état de la technique, dont le brevet antérieur, aujourd’hui expiré, qui protège le Rivaroxaban.
S’agissant des trois autres caractéristiques du brevet, à savoir l'administration à un patient humain une fois par jour du médicament pendant au moins cinq jours consécutifs, une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins lors d'une administration et l'administration orale par un comprimé à libération rapide, il convient, pour déterminer le schéma posologique, de prendre en compte les effets pharmacocinétiques et pharmacodynamiques du composé.
S’agissant de la demi-vie du Rivaroxaban, notion qui désigne le temps nécessaire pour que la quantité plasmatique du composant soit réduite de moitié, l’analyse combinée de deux études de phase I (qui portent sur des volontaires sains en nombre restreint), présentées par des posters et abrégés publiés dans une revue et exposés lors d’une conférence de la société américaine d’hématologie, apporte des informations utiles et nouvelles à l'homme du métier. Celui-ci est constitué, en l’espèce, d'une équipe de recherche comprenant un médecin hématologue et un pharmacologue normalement qualifiés et disposant de connaissances et d'une expérience avérées dans le traitement des troubles thromboemboliques et les médicaments anticoagulants. Face à ces études cliniques de phase I, l’homme du métier aurait considéré qu’un doute existait sur la durée de la demi-vie du Rivaroxaban et sur son profil pharmacocinétique en général, évoluant avec la dose prise et avec ses effets pharmacodynamiques.
À la date de priorité, le Rivaroxaban était le premier de sa classe de médicament comme inhibiteur du facteur Xa, un des facteurs de la coagulation sanguine, et sa fenêtre thérapeutique, c’est-à-dire la zone comprise entre la concentration minimale efficace du médicament et la concentration maximale non toxique, n'était donc pas connue. Il est acquis à cette même date qu'aucune étude des effets du Rivaroxaban sur des patients (phase II) n'était divulguée. Seules les études de phase I décrivaient les effets de différentes doses de ce composant, selon différentes fréquences d'administration, et concluaient toutes à un profil sûr et bien toléré du Rivaroxaban.
L'homme du métier aurait toutefois pris connaissance, à cette date, des récents développements du Razaxaban, également inhibiteur du facteur Xa, développé par un autre laboratoire. Ce médicament avait été soumis à des études de phase I l'ayant déclaré sûr et a pourtant causé des hémorragies importantes à des patients lors d'une étude de phase II, aboutissant à l'arrêt de son programme de développement en raison d'une fenêtre thérapeutique trop étroite. S'agissant de la limite haute de la fenêtre thérapeutique, c'est donc à juste titre que la société titulaire du brevet soutient que l'homme du métier aurait été particulièrement vigilant à la sécurité de la posologie envisagée.
S'agissant de la limite basse de la fenêtre thérapeutique, l'homme du métier pouvait considérer le Rivaroxaban comme un inhibiteur particulièrement efficace du facteur Xa aux effets étendus jusqu'à 12 heures et, selon la dose administrée, jusqu'à 24 heures, au vu des documents de l’état de la technique qui concluent de façon claire, s'agissant de sa pharmacodynamique, à son efficacité.
L'art antérieur le plus proche mentionne la prise orale comme le mode d'administration privilégié qui aurait donc été envisagé de façon évidente par l'homme du métier. Ce dernier aurait également compris de manière évidente des conclusions pharmacodynamiques de plusieurs documents de l’art antérieur que le Rivaroxaban devait être pris sous la forme d’un comprimé à libération rapide.
Concernant le nombre de prises nécessaires à l’administration, les documents de l’art antérieur démontrent qu'une posologie de deux prises par jour serait adaptée au stade d'une étude de phase I. Les éléments figurant dans certains documents incitaient cependant fortement l'homme du métier à envisager une posologie une fois par jour, à tout le moins comme alternative de recherche à la double prise évoquée par d’autres documents. Au regard du faible nombre d'alternatives possibles pour la prise de doses pouvant être appliquées quotidiennement, cette posologie n'avait que vocation à confirmer un résultat, à plus forte raison alors qu'il était connu qu'une prise par jour favorise le suivi du traitement et l'adhésion du patient.
Concernant la notion tirée de l'espérance raisonnable de réussite pour l’homme du métier, qui suppose l’existence d’une difficulté particulière mais n'exige pas une certitude de réussite ou la preuve d'essais cliniques réussis, la société titulaire du brevet se fonde sur des attestations d’experts pour dire que les essais cliniques qui pouvaient être envisagés par l'homme du métier afin de confirmer l'hypothèse d'une dose quotidienne ne devaient être réalisés qu'avec une grande prudence.
Cependant, les difficultés réelles que la société titulaire soulève portent, non pas sur la solution proposée par le brevet, mais sur les tests de phase II envisagés pour la confirmer. La difficulté technique alléguée n'est donc pas démontrée.
Ces tests auraient, en tout état de cause, été risqués, peu important le nombre de doses administrées. La société titulaire souligne, à ce titre, que les résultats inquiétants du Razaxaban ne pouvaient à eux seuls la conduire à interrompre toute recherche sur une classe entière de composés. Au demeurant, un professeur explique dans son attestation que des tests à doses croissantes ont été pratiqués pour réduire le risque pour les patients, ce qui démontre que des dispositions pouvaient être prises pour améliorer la sécurité des études éventuellement envisagées par l'homme du métier, qui n'aurait pas été désincité à rechercher la solution du brevet.
Deux autres professeurs expliquent, comme la société titulaire, que c'est une étude d'interaction entre le Rivaroxaban et un autre médicament de secours, l'Enoxaparine, qui leur a permis de réaliser l'étude de phase II de façon sécurisée, en évitant une thromboembolie. Le risque identifié par l'étude de phase II sur le Razaxaban porte sur un risque d'hémorragie alors que l'étude sur l'Enoxaparine permet d'avoir un médicament prévenant les thromboses en cas d'inefficacité du Rivaroxaban sur des patients lors des essais. Il répond donc, de la même manière, à une difficulté liée à la possibilité de réaliser un essai thérapeutique, non au problème technique devant être résolu par l'invention.
Ainsi, il n'est pas démontré par la société titulaire que le domaine de recherche technique était inexploré pour l'homme du métier, qui n'aurait pas été particulièrement dissuadé de l'entreprendre. Au contraire, il aurait précisément cherché à lever ce risque pour envisager cette piste de recherche, évidente au regard de l'état de la technique le plus proche, pour résoudre le problème technique objectivement posé.
La solution d’une prise unique par jour relève donc d'un essai de routine. Elle ne peut recevoir la qualification d'effet surprenant ou inattendu débattue par les parties.
Il résulte de ces éléments que l'invention revendiquée d'une posologie constituée d'une administration par jour de Rivaroxaban par un comprimé à libération rapide était évidente pour l'homme du métier à la date de la priorité. L'incertitude de la durée de vie du Rivaroxaban et la mention d'une demi-vie de 10 heures ou moins par le brevet ne sont pas de nature, à elles seules, à démontrer le caractère inventif dont se prévaut la société titulaire. La revendication 1 du brevet est donc nulle[2]. La revendication 2, construite de façon dépendante, est également dépourvue d'activité inventive. En effet, elle ajoute la mention de troubles thromboemboliques précis, qui étaient déjà mentionnés dans le brevet antérieur et relèvent de pathologies habituellement désignées comme troubles thromboemboliques.
Tribunal judicaire de Paris, 3e ch., 1re ch., 28 mars 2024, 22/08612 (B20240015)
Sandoz SAS c. Bayer Intellectual Property GmbH
[1] Les inventions de posologie n’ont pas toujours été déclarées protégeables par les juridictions françaises. Celles-ci ont dans un premier temps considéré que la posologie relève de la seule liberté et responsabilité du médecin, et est donc comparable à une méthode de traitement thérapeutique exclue du champ de la brevetabilité. Le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 5 déc. 2014, Akzo Nobel NV et al. c. Teva Santé SAS et al., 12/13507 ; B20140203 ; PIBD 2015, 1022, III-143 ; Propr. intell., 56, juill. 2015, p. 324, J.-C. Galloux ; RTD com. 2015, p. 93 , J.-C. Galloux) a ainsi annulé un brevet, dont la revendication principale portait sur le principe actif Désogestrel dans une combinaison et un kit contraceptif comprenant des unités de dosage quotidiennes successives pour l'administration orale, au motif qu’il s’agit d’une méthode thérapeutique exclue de la brevetabilité au sens de l’article 53 (c) de la CBE 2000. Quelques mois auparavant, un génériqueur avait demandé l’annulation d’un brevet européen protégeant notamment l’utilisation du principe actif Raloxifène pour la prévention de l’ostéoporose. La cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 12 mars 2014, Eli Lilly and company et al. c. Teva Santé et al., 12/07203) a annulé certaines revendications dépendantes du brevet, qui concernaient des posologies particulières d'administration du raloxifène, au motif qu’elles étaient exclues de la brevetabilité. Dans le cadre de l’action en nullité d’un brevet européen portant sur une posologie spécifiée d’environ 0,05 à 1,0 mg de finastéride, principe actif d’un médicament pour le traitement de l'alopécie androgénique, le tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 28 sept. 2010, Actavis Group et al. c. Merck Sharp & Dohme Corp., 07/16296 ; B20100177 ; PIBD 2010, 930, III-815) a annulé la revendication principale du brevet, sur le fondement de l’article 53 (c) de la CBE 2000. Les juges ont précisé qu’ « il est possible de breveter un médicament en vue de traiter une première maladie puis une seconde mais pas une posologie adaptée au traitement de ces maladies puisque ce faisant, on tente de breveter une méthode thérapeutique ce qui est exclu pour appartenir au domaine du soin et pour dépendre de la seule liberté et responsabilité concomitante de chaque médecin». Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 30 janv. 2015, 10/19659, B20150004, PIBD 2015, 1025, III-265 ; Propr. intell., 56, juill. 2015, p. 324, J-C Galloux) a confirmé par substitution de motifs le jugement. Elle a admis la brevetabilité d’une revendication de posologie, à condition qu’elle apporte un enseignement technique différent : « si la brevetabilité d'une revendication de seconde indication thérapeutique reposant uniquement sur une caractéristique de posologie peut-être admise même pour un brevet soumis à la CBE 1973 interprétée sous l'éclairage de la modification ultérieure de la convention et de la jurisprudence en résultant, celle-ci doit répondre à l'exigence de l'existence d'un enseignement technique différent, et pour ce faire de tenir compte […] également des caractéristiques relatives au dosage. ».
[2] Dans une ordonnance de référé du même jour (TJ Paris, 28 mars 2024, Bayer Intellectual Property GmbH et al. c. Zentiva France SAS, 24/51632 ; B20240017), la société Bayer a été déboutée de sa demande d’interdiction provisoire fondée sur le même brevet, formée à l’encontre d’un autre génériqueur. Le juge des référés a estimé que le brevet était vraisemblablement valable, en retenant qu’ « il ne saurait être déduit, avec l’évidence requise en référé, que la seule existence d’études de phase I visant à tester l’effet de doses uniques ou multiples d’un médicament sur des sujets sains conduisent la personne du métier d’inclure dans des essais de phase II des doses orales quotidiennes uniques, alors que la demi-vie du rivaroxaban était majoritairement décrite par les documents de l’art antérieur comme située entre 4 à 6 heures. De même, ni le communiqué de Bayer du 9 décembre 2003, ni l’étude publiée le 13 août 2004 par [J] [V] et [I] [R] [P], laquelle ne portait pas sur le rivaroxaban, ne permettent de conclure avec cette même évidence que la personne du métier aurait été incitée à tester une dose unique quotidienne de rivaroxaban dans des études de phase II, c’est-à-dire sur des sujets malades. ». Il a toutefois considéré que la vraisemblance de la contrefaçon du brevet n’était pas établie.