Demande en déchéance de la marque devant l’INPI - Recevabilité (oui) - Procédure abusive (non)
Déchéance de la marque (non) - 1°) Usage sérieux (oui) - Preuve - Usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif - Usage à titre marque - Usage pour les produits désignés - 2°) Marque devenue trompeuse (non) - Caractéristiques du produit
Le demandeur a présenté devant l’INPI une demande en déchéance de la marque verbale GOUTTES BLEUES, portant sur l’ensemble des produits désignés à l’enregistrement, à savoir les « Lotions pour les yeux et notamment collyres », pour défaut d’usage sérieux et au motif que la marque serait devenue propre à induire en erreur. Le titulaire de la marque a répliqué en invoquant notamment l’irrecevabilité de la demande en ce qu’elle procèderait d’un abus du droit d’agir.
En application de l’article L. 716-3 du CPI, l’intérêt à agir n’est pas requis dans le cadre des demandes en déchéance formées devant l’INPI. La notion d’abus de droit ou de procédure abusive est indépendante des règle relatives à la personne habilitée à introduire une demande de déchéance. Le droit de présenter une demande en déchéance est susceptible de dégénérer en abus uniquement s’il relève en réalité d’une intention de nuire de la part du demandeur.
En l’espèce, le titulaire de la marque contestée, qui est un laboratoire fabriquant et commercialisant des produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques, a acquis les fonds de commerce relatifs aux produits « Innoxa » et « Gouttes Bleues », ainsi que les droits de marques qui y sont attachés. Il a ensuite cédé à une société tierce les actifs relatifs à l’activité « Innoxa » tout en conservant les droits sur les produits « Gouttes Bleues », dont la marque contestée. Il était convenu qu'il pourrait écouler les stocks des produits comportant à la fois les signes « Gouttes Bleues » et « Innoxa » jusqu’en 2019. En 2020, le demandeur, quant à lui, a acquis de la société tierce le fonds de commerce lié aux marques INNOXA.
Le fait que le demandeur ait, préalablement à la procédure en déchéance, intenté une action en référé à l’encontre du titulaire de la marque contestée, visant à faire cesser l’usage du terme « Innoxa », ne saurait suffire à caractériser l’abus de droit, quand bien même il aurait été débouté, les actions ayant des objets parfaitement distincts. S’il est probable qu’il ait eu connaissance de la convention relative à l’écoulement des stocks, cette circonstance ne permet pas davantage de justifier d’un comportement abusif de sa part. Il demeure recevable à demander la déchéance des droits du titulaire sur la marque GOUTTES BLEUES.
Concernant le grief relatif au défaut d’usage sérieux, les éléments de preuve présentés par le titulaire de la marque contestée contiennent suffisamment d’indications concernant la période pertinente, soit les cinq années précédant la date de la demande en déchéance. Si certaines factures et coupures de presse sont antérieures à cette période, elles contribuent néanmoins à corroborer l’ancienneté de l’usage invoqué et apportent des indications quant aux conditions d’exploitation. Ces éléments de preuve, notamment des factures, permettent d’établir un usage du signe contesté, par le titulaire de la marque, en France pendant la période pertinente.
Le demandeur soutient que la marque contestée GOUTTES BLEUES a été utilisée sous une forme modifiée en association avec le signe « INNOXA », qui, seul, remplirait la fonction de marque. Toutefois, lorsque plusieurs signes sont utilisés ensemble, mais restent indépendants les uns des autres et remplissent leur fonction distinctive en tant que signes distincts, la question de savoir si le caractère distinctif du signe tel qu’il a été enregistré a été altéré ne se pose pas.
En l’espèce,sur le conditionnement des produits en cause, les termes « Gouttes Bleues » sont nettement espacés du terme « INNOXA » et présentés dans une calligraphie différente. En outre, s’agissant de produits cosmétiques et pharmaceutiques, il est habituel de présenter une gamme de produits sous la marque du laboratoire, de sorte qu’il est courant que deux signes apparaissent conjointement tout en étant perçus par le public pertinent comme indépendants. Enfin, dans la presse, les produits sont clairement présentés de manière indépendante, les termes « Gouttes Bleues » désignant la gamme de produits, à savoir des lotions pour les yeux, alors que le terme « Innoxa », qui apparaît parfois également sous la forme « laboratoire Innoxa », sera compris comme désignant le fabricant. Par conséquent, les signes « Innoxa » et « Gouttes Bleues » seront perçus par les consommateurs de manière autonome malgré leur apposition sur le même conditionnement, chacun d’eux remplissant une fonction distinctive distincte.
Par ailleurs, le signe « Gouttes Bleues » est aussi utilisé sans le terme « Innoxa », dans une calligraphie légèrement stylisée et avec la présence d’un élément figuratif consistant en la représentation d’une goutte. Mais la présence de cet élément ainsi que la calligraphie ne sont pas de nature à altérer le caractère distinctif de la marque contestée.
Le demandeur relève également que le signe « Gouttes Bleues » est dépourvu de distinctivité en ce qu’il désignerait le produit lui-même, à savoir des gouttes oculaires bleues. Cependant, il ressort tant des articles de presse que de la présentation du produit et de son conditionnement que la marque GOUTTES BLEUES a fait l’objet d’un usage destiné à désigner une gamme de produits afin de les distinguer de ceux ayant une autre provenance et qu’elle identifie à ce titre leur origine et non leur nature. Cet usage constitue bien un usage à titre de marque.
Enfin, l’usage sérieux de la marque contestée a été suffisamment démontré pour les produits désignés à l’enregistrement. En visant les classes 3 et 5, le déposant a expressément entendu revendiquer une protection pour deux catégories de produits distincts, d’une part, les « lotions pour les yeux, notamment collyres » destinées à embellir et, d’autre part, celles à visée curative. Or, il ressort des articles de presse que le produit commercialisé consiste en une lotion pour les yeux qui est destinée à les hydrater, afin de calmer la fatigue et la sécheresse oculaire, mais également à apporter un « bel éclat au regard », de sorte que ce produit a, à la fois, une fonction curative et une fonction d’embellissement, et doit donc être vu tant comme un produit pharmaceutique que comme un produit cosmétique.
En conséquence, compte tenu également de l’importance de l’usage de la marque GOUTTES BLEUES, qui est démontrée par les factures et les articles de presse, l’usage sérieux de ce signe est suffisamment démontré pour les produits désignés, à savoir les « Lotions pour les yeux et notamment collyres », en classes 3 et 5.
En ce qui concerne la déchéance au motif que cette marque est devenue propre à induire en erreur, le demandeur relève d'abord, s'agissant du caractère trompeur de la locution « Gouttes Bleues », que le public associera ces termes à des gouttes oculaires de couleur bleue à haute tolérance et dont le colorant bleu rehausse l’éclat du regard. Le terme « Gouttes » sera bien perçu par le public pertinent comme la forme sous laquelle les produits se présentent et s’administrent. Cependant, rien ne permet d’affirmer que le terme « Bleues » sera nécessairement associé au bleu de méthylène dont le demandeur démontre l’usage en ophtalmologie pour ses vertus antiseptiques et apaisantes. Si ce terme sera naturellement compris comme une référence à la couleur bleue, il n’est pas établi que le public prêtera à cette couleur de telles vertus ou encore le pouvoir de raviver l’éclat du regard. Il ressort des pièces produites que les effets attendus sont présentés comme tenant au produit lui-même et non spécifiquement à sa couleur.
S’agissant, ensuite, de l’usage du signe fait par le titulaire de la marque, le demandeur ne peut être suivi lorsqu’il soutient que la marque GOUTTES BLEUES serait devenue, du fait de son titulaire, trompeuse sur la couleur du produit, ses effets attendus et sa composition. Le simple fait que certains consommateurs s'étonnent de la couleur du produit, qui ne serait plus bleue, ne saurait suffire à caractériser une tromperie. Il n’est pas démontré que la caractéristique attachée à la couleur bleue ait dicté l’achat et qu’il soit attribué à cette couleur des vertus que le produit ne possèderait pas. De même, les plaintes relatives à des problèmes d’irritation oculaire ne sauraient être reliées à une interprétation erronée du public pertinent sur les effets attendus du produit du fait de l’usage du signe « Gouttes Bleues ». Par ailleurs, l’utilisation d’une nouvelle formule transparente, clairement mentionnée sur le conditionnement du produit et qui serait intervenue suite à une règlementation relative au bleu de méthylène révélant un risque cytotoxique, ne relève pas d’une stratégie commerciale visant à tromper le public. Est sans incidence, à cet égard, le fait que le titulaire de la marque contestée utilisait auparavant le signe « Gouttes Bleues » en association avec le signe « Innoxa », comme il y était autorisé contractuellement, pour commercialiser un produit de composition différente. Il n'est en effet pas démontré qu'il ait voulu tromper le consommateur en tirant profit de la notoriété de ce produit.
Décision INPI, 3 avril 2024, DC 22-0182 (DC20220182)[1]
Laboratoires Innoxa SASU c. Laboratoire Perrigo France SAS
[1] Parallèlement à sa demande en déchéance, la société Laboratoires Innoxa a présenté devant l’INPI une demande en nullité de la même marque GOUTTES BLEUES. Elle a invoqué plusieurs motifs, à savoir l’absence de caractère distinctif du signe ainsi que son caractère descriptif et trompeur. Cette demande a elle aussi été rejetée (Décision INPI, 3 avril 2024, Laboratoires Innoxa SASU c. Laboratoire Perrigo France SAS, NL 22-0199 ; NL20220199).