Recours contre une décision de l’INPI - Recevabilité (oui) - Collectivité territoriale - Capacité pour agir - Existence juridique
Validité de la marque (oui) - 1) Caractère déceptif (non) - Provenance géographique du produit ou du service - 2) Dépôt de mauvaise foi (non) - Volonté de conforter des droits (oui) - Volonté de s’approprier le signe d’autrui (non) - 3) Enseigne antérieure - Exploitation de fait - Signe connu sur l'ensemble du territoire national (non)
La ville de Dinan est propriétaire de La Maison Pourcel, un bâtiment historique vieux de plusieurs siècles dans lequel était exploité un restaurant sous l’enseigne Chez La Mère Pourcel, jusqu’à sa destruction par un incendie en 2019. Elle a intenté devant l’INPI une action en nullité de la marque verbale LA MERE POURCEL, déposée par une société dont le gérant a été pendant plusieurs années titulaire du bail commercial du restaurant et exploitant du fonds de commerce.
La décision de l’INPI ayant rejeté la demande en nullité est confirmée.
En premier lieu, la marque n’est pas trompeuse sur la provenance géographique des produits et services qu’elle vise (dont les services de restauration).
Un signe est de nature à tromper le public sur la provenance géographique du produit, même si le lieu dont le nom est ainsi repris n'est pas connu pour fabriquer de tels produits, mais dès l'instant où il est raisonnablement envisageable qu'un tel nom puisse désigner la provenance géographique de cette catégorie de produits[1].
En l’espèce, le signe contesté est quasiment similaire à l’enseigne Chez La Mère Pourcel, et vise notamment la classe 43, qui renvoie à une activité de restauration. Le restaurant Chez La Mère Pourcel a pu avoir une renommée locale à Dinan et dans sa proximité, voire dans la région Bretagne, au regard notamment de l'attractivité touristique de la ville et de l'emplacement de l'établissement dans un bâtiment historique et typique. Toutefois, il n'est pas établi que cette réputation ait dépassé les environs de l'agglomération dinannaise. La requérante ne parvient donc pas à démontrer qu’à la date de dépôt de la marque, un nombre important de consommateurs réparti sur tout le territoire national associait chaque produit et service désigné par la marque contestée LA MERE POURCEL au restaurant Chez La Mère Pourcel de Dinan, d'autant que le restaurant n'a plus d'activité depuis 2019[2].
En second lieu, la marque n’a pas été déposée de mauvaise foi.
L’ancien locataire du local commercial dans l'immeuble appartenant à la commune était le gérant d’une société ayant déposé, en 2006, une marque CHEZ LA MERE POURCEL. Il a exercé sous cette marque une activité de restauration et de vente de produits dérivés jusqu'en 2015. En 2020, la société défenderesse, dont il est le gérant, a déposé la marque contestée pour des classes de produits et service étendus, dans le but de commercialiser une large gamme de produits et services de bouche. Le gérant de la société défenderesse a précisé dans la presse qu’il entendait lancer une gamme de biscuits « la Mère Pourcel ». Les pièces au débat démontrent donc qu'après avoir cessé d'exploiter le restaurant et la première marque CHEZ LA MERE POURCEL, il souhaite reprendre une activité quasi-similaire près de 10 ans plus tard. Ce projet ne procède que de sa volonté de conforter des droits et une activité qu'il avait entendu protéger par le dépôt de la marque CHEZ LA MERE POURCEL qu’il avait exploitée durablement lorsqu'il était locataire de la Maison Pourcel.
La ville de Dinan n'apporte aucune pièce de nature à établir qu'au moment du dépôt de la marque contestée, elle s'apprêtait à installer un nouveau locataire commercial dans l'immeuble. Elle ne peut donc subodorer que la société défenderesse avait l’intention, par son dépôt, de brider l'activité commerciale d'un concurrent potentiel et de limiter l'exploitation libre du signe CHEZ LA MERE POURCEL.
Enfin, la requérante se prévaut d'un risque de confusion entre la marque contestée LA MERE POURCEL et l'enseigne Chez La Mère Pourcel.
La ville de Dinan est propriétaire de l’immeuble dans lequel se trouvait le restaurant, mais elle ne dispose pas de droits sur l’enseigne, qui est un élément du fonds de commerce de restauration. Le restaurant n’est par ailleurs plus exploité depuis l’incendie de 2019, dans l'attente de la reconstruction de l'immeuble qui l'abritait.
La requérante considère qu'elle se substitue de fait à son locataire, pour utiliser et faire vivre le signe Chez La Mère Pourcel. Elle se prévaut ainsi d'une exploitation se manifestant par des communications dans la presse et par l'alimentation du site internet du restaurant.
La Maison Pourcel est réputée dans la ville de Dinan, en raison de son architecture caractéristique, de son histoire, de son classement comme Monument Historique et de son emplacement au cœur d'une cité de caractère.
Il est démontré que la requérante liait étroitement l'exploitation commerciale, réalisée par le locataire, à l'enseigne, laquelle constitue un élément caractéristique de cet immeuble, qui alimente le cachet historique et la renommée à la fois de la ville, de la Maison Pourcel et du restaurant.
Il existe ainsi une interdépendance entre l'enseigne, l'immeuble sur lequel elle est apposée et la réputation de la ville de Dinan. Dans ce contexte la requérante, gardienne de son patrimoine historique, est recevable à agir pour protéger cette enseigne indissociable de la Maison Pourcel et du passé de la ville.
Pour autant, une enseigne ne bénéficie d'une protection que si elle est reconnue sur l'ensemble du territoire national et s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public avec la marque contestée.
En l'espèce, l'article de presse nationale produit n'est pas de nature à établir l'intérêt d'un public élargi pour La Maison Pourcel et son histoire. Il se limite à relater un événement, certes retentissant, mais lié à un fait divers qui n'appelle pas de développement à long terme de nature à attirer un large public. Il en est de même s'agissant des autres articles, publiés par des journaux locaux dont la diffusion locale est limitée à l'agglomération dinannaise voire tout au plus à sa proximité immédiate. Ces articles de presse sont donc insuffisants à établir le rayonnement d'importance de l'enseigne Chez La Mère Pourcel. La ville de Dinan ne peut par conséquent s’opposer au dépôt de la marque LA MERE POURCEL.
Cour d’appel de Rennes, 3e ch. com., 11 juin 2024, 23/01520 (M20240146)[3]
Commune Ville De Dinan -Commune Nouvelle De Dinan c. ADSAV SARL et INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 8 février 2023, NL 22-0029 ; NL20220029)
[1] Cass. com., 20 nov. 2007, Empresa Cubana Del Tabaco et al. c. La Casa Del Habano SNC et al. 06-16.387(M20070587, PIBD 2008, 866, III-38 ; RJDA, juin 2008, p. 718 ; CCE, janv. 2008, p. 33, C. Caron).
[2] Sur l’association d’un signe à une provenance géographique, voir aussi : CA Douai, 2e sect., 1re ch., 22 septembre 2022, Commune de La Madeleine c. INPI, 21/02992 (M20220248 ; PIBD 2022, 1192, III-1)
[3] La cour d’appel de Rennes a rejeté, le même jour, le recours formé par la ville de Dinan contre la décision de l’INPI portant sur l’opposition à l’enregistrement d’une autre marque verbale LA MERE POURCEL n° 4 833 109, sur le fondement de l’enseigne antérieure Chez La Mère Pourcel (CA Rennes, 3e ch. com., 11 juin 2024, 23/02162, M20240146).