Jurisprudence
Marques

Annulation des marques verbale et semi-figuratives france.com - Atteinte au droit antérieur de l’État français sur l'appellation France

PIBD 1183-III-3
Cass. com., 6 avril 2022, avec une note de Baptiste Deschamps et Sylvie Lepoutre

Demande en nullité des marques - Forclusion par tolérance - Connaissance de l’usage des marques

Validité des marques verbale et semi-figuratives - Droit antérieur - Appellation de l’État français - Risque de confusion

Transfert de propriété du nom de domaine - Droit de propriété - Élément d’identité de l’État français

Texte
Marque française n° 3 661 596 de la société Traveland Resorts
Marque semi-figurative n° 3 661 598 de la société Traveland Resorts
Marque semi-figurative n° 3 661 600 de la société Traveland Resorts
Texte

La demanderesse à l'action principale, société étrangère titulaire du nom de domaine france.com, a agi en revendication de propriété pour dépôt frauduleux des marques françaises et de l'UE france.com par une société étrangère. Les marques lui ont été cédées par l'effet d'une transaction puis elle s'est désistée de son action à l'encontre de cette société. L'État français a formé des demandes additionnelles en nullité des marques françaises pour atteinte au droit antérieur sur l'appellation de son territoire.

Celui qui oppose la forclusion par tolérance à une action en nullité de sa marque doit en démontrer l'usage honnête et continu depuis plus de cinq ans, ce qui ne saurait se déduire de son seul enregistrement, ainsi que la connaissance qu'en avait le titulaire du droit antérieur qui lui est opposé. La cour d’appel a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve, que la forclusion par tolérance ne pouvait être retenue en l’absence de démonstration de la connaissance par l’État français de l’usage des marques françaises litigieuses avant leur cession à la société demanderesse.

La cour d’appel a exactement retenu que l’énumération des droits antérieurs visés par l'article L. 711-4 du CPI[1], dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, n'était pas exhaustive et que l’appellation « France » constituait, pour l’État français, un élément d’identité, en ce que ce terme désigne le territoire national dans son identité économique, géographique, historique, politique et culturelle, pour laquelle il est en droit de revendiquer un droit antérieur. Elle a dit que l’utilisation de cette appellation dans les marques verbale et semi-figuratives france.com était de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public qui pourra identifier les produits et services visés à l’enregistrement des marques contestées comme émanant de l’État français ou à tout le moins d’un service officiel bénéficiant de sa caution[2] et que la représentation stylisée des frontières géographiques de la France dans les marques semi-figuratives renforçait ce risque de confusion.

La cour d’appel a ordonné à raison, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, le transfert, sous astreinte et au profit de l’État français, du nom de domaine france.com utilisé par la société demanderesse, dès lors que cette utilisation heurtait les droits de l’État français sur son nom, son identité et sa souveraineté et portait atteinte à l’appellation « France », qui constitue un élément de son identité.

Cour de cassation, ch. com., 6 avril 2022, 17-28.116 (M20220120)
France.com Inc. c. Atout France GIE et État français
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 24 nov. 2016, 15/24810 et 22 sept. 2017, 15/24810, M20170569)

Titre
NOTE :
Texte

C’est la première fois, à notre connaissance, que l’État français invoque devant les juridictions nationales la nullité d’une marque pour atteinte à un droit antérieur sur l’appellation de son territoire. La Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a fait droit à cette demande en retenant que l’usage du mot « France » dans les marques litigieuses était de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public, dès lors que celui-ci pourrait identifier les produits et services visés à l’enregistrement des marques « comme émanant de l’État français ou à tout le moins d’un service officiel bénéficiant de sa caution ».

Un parallèle peut être établi avec des décisions récentes à l’occasion desquelles a été soulevée la question du caractère déceptif, au sens de l’article L. 711-3 c) du CPI dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, d’un signe susceptible de laisser croire à la caution d’un organisme officiel. Les juges du fond ont retenu à plusieurs reprises que les signes en cause étaient de nature à induire le public en erreur :

-CA Paris, pôle 5, 1re ch., 1er mars 2016, Pro France c. INPI, 15/15779 (M20160110 ; PIBD 2016, 1050, III-419 ; rejet de la demande d’enregistrement de la marque semi-figurative ORIGINE FRANCE GARANTIE) : « Selon [l’article L 711-3 c) du CPI], ne peut être adopté comme marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ; qu'il en est ainsi d'un signe suggérant faussement la caution d'un organisme officiel ; […] Considérant qu'il résulte de l'examen du signe litigieux, tel que figurant sur la demande d'enregistrement déposée, que la forme d'un sceau très sobre sous laquelle figurent les éléments verbaux ORIGINE FRANCE GARANTIE et la reprise des couleurs bleu, blanc, rouge, dans l'ordre du drapeau français, sont effectivement susceptibles de laisser croire au public de façon trompeuse que l'origine France garantie émane d'un service officiel ou à tout le moins d'un opérateur économique habilité par les autorités publiques. » ;

-CA Aix-en-Provence, 2e ch., 3 juill. 2014, Philippe-Roger C. c. INPI et al., 13/24409 et 13/21195 (M20140414 et M20140413 ; LPA, 248, 12 déc. 2014, p. 16, note de P. Mouron ; rejet de la demande d’enregistrement de la marque semi-figurative Palais De L’Elysée: « Le signe "palais de l'Élysée" va induire les consommateurs en erreur puisque ceux-ci vont croire légitimement que les produits visés, de nature variée et donc destinés à un large public, sont commercialisés avec la caution officielle de la Présidence de la République. […] Le "PALAIS DE L'ELYSEE" est indubitablement associé dans l'esprit du consommateur au Président de la République et au pouvoir qu'il représente. La calligraphie du signe litigieux s'apparente aux documents en tête de la Présidence de la République. Le signe litigieux suggère donc la nature officielle des produits commercialisés. » ;

-TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 13 janv. 2012, Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) c. Société d’informations privées administratives et juridiques (SIPAJ), 10/11950 (M20120153 ; PIBD 2012, 962, III-361 ; annulation de la marque Aide Administrative A Allocation familiale Caf Et Apl) : « la CNAF étant le seul organisme chargé en France de la gestion des allocations familiales, la référence faite à cet établissement dans la marque litigieuse par l'emploi immédiatement après l'expression "Allocation Familiale" des acronymes "CAF" et "APL" qui ne peut que renvoyer d'une part aux Caisses d'allocation familiale et d'autre part aux Aides Personnalisées au Logement, lesquelles font parties des allocations versées par les CAF, de même que l'emploi de l'adjectif "administrative" dans l'expression "Aide Administrative à Allocation Familiale" suggérant un accompagnement émanant de l'Administration entendue comme l'ensemble des services de l'Etat, sont de nature à faire naître dans l'esprit du public une attente particulière en terme de contrôle de l'autorité publique, de garantie et de qualité qui est ainsi trompée par la référence abusive faite à la Caisse d'Allocation Familiale. » ;

-CA Paris, pôle 5, 1e ch., 26 oct. 2011, Tramp SARL et al. c. Me Francis V et al., 09/28685 (M20110623 ; annulation de marques reprenant l’expression Cirque de Moscou) : « Le choix de la société Tramp de décliner, pour désigner des spectacles de cirque, différentes marques comprenant les mots "cirque de Moscou", ne peut être regardé comme arbitraire ou le fruit d'un hasard ; que, de toute évidence, ce choix a été dicté par le souci de créer dans l'esprit du public l'idée confuse que les spectacles identifiés par cette marque ont un rapport avec les artistes qui s'illustrent régulièrement au festival international du cirque de Monte-Carlo sous les couleurs du Cirque d'État de Moscou ou avec le Cirque d'État de Moscou lui-même, alors qu'un tel rapport est en fait inexistant ; Considérant qu'il est ainsi établi que les termes de cirque de Moscou ainsi repris dans les marques litigieuses ont été choisis pour tromper le public en lui présentant faussement des spectacles comme des productions créées ou au moins contrôlées ou parrainées par le Cirque d'État de Moscou. » ;

-CA Aix-en-Provence, 2e ch., 5 janv. 2011, Renaud V. c. INPI et al., 10/09980 (M20110005 ; PIBD 2011, 936, III-2010 ; rejet de la demande d’enregistrement de la marque HADOPI) : « le signe HADOPI choisi par Monsieur Renaud V à titre de marque pour désigner différents produits et services [dont certains en matière de réseaux de communication électronique] est de nature à tromper le public sur la nature et/ou la qualité des produits et services visés dans sa demande d'enregistrement ; que dans l'esprit du très large public qui a été soumis au "débat", relayé abondamment par les médias, sur la nécessité ou non d'une protection des droits d'auteur sur Internet, le signe HADOPI bien avant la promulgation de la loi créant la Haute Autorité, évoquait le dispositif (textes et institution) qui serait mis en place pour assurer différentes missions de protection des droits d'auteurs sur Internet ; qu'au jour du dépôt de la demande d'enregistrement, le signe ou le sigle HADOPI évoquait pour un très large public la mise en place par l'État d'une autorité de régulation ; qu'il s'ensuit que le signe HADOPI qui est déposé à titre de marque par Monsieur Renaud V, mais qui était rattaché de manière étroite à un dispositif étatique, est de nature à induire en erreur un public d'attention moyenne (d'abord lecteur /auditeur, puis consommateur) ; qu'il lui était directement suggéré que les produits et services portant la marque HADOPI relèvent ou émanent, d'une manière quelconque, du dispositif "officiel", peu important que ce dernier ait été alors en voie de création ; […] que le signe HADOPI ne pouvait, le 19 mai 2009, être adopté en tant que marque dès lors qu'il était de nature à tromper le public sur la qualité de tous les produits et services visés dans la demande en ce qu'il laissait croire à leur possible rattachement à un dispositif légal, dont la mise en place était alors imminente. ».

Dans une autre affaire, le caractère déceptif de la marque a été écarté :

-CA Bordeaux, 1e ch. civ., 11 mai 2021, Laulhere SAS c. Rodolphe G. et al., 18/01905 (M20210112 ; PIBD 2021, 1164, III-3 ; validité des marques verbale et semi-figurative Le Béret Français avec emploi des couleurs du drapeau français) : « Il n'existe aucune instance officielle de contrôle ou de certification dans le domaine des bérets et […] le seul emploi de l'adjectif "français", pas plus qu'il n'est susceptible à lui seul de priver la marque de son caractère distinctif, n'est de nature à induire le consommateur moyen en erreur sur l'existence d'une garantie officielle du produit. Il en est de même pour l'emploi des couleurs du drapeau français dans la marque semi-figurative compte tenu de l'agencement de ces couleurs dans une présentation stylisée éloignée de celle du drapeau national, à l'instar des nombreuses marques enregistrées comportant les couleurs françaises comme "LE SLIP FRANCAIS". Le béret constituant un produit typiquement français qui vise un public de touristes français et étrangers, le jugement qui retient que le terme "français" renvoie dans l'esprit du public à une spécificité nationale et non à une garantie officielle que rien ne vient conforter, mérite approbation. ».

Baptiste Deschamps et Sylvie Lepoutre
Rédacteurs au PIBD

 

[1] L’article L. 711-3 I 10 du CPI, dans sa version postérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, cite désormais expressément le nom d’une entité publique dans la liste des droits antérieurs auxquels une marque enregistrée ou demandée peut porter atteinte.