Jurisprudence
Marques

Demande d’enregistrement de la marque verbale GIANT - Absence de caractère distinctif intrinsèque pour désigner des hamburgers et défaut d’acquisition de la distinctivité par l’usage

PIBD 1181-III-3
CA Paris, 11 février 2022

Demande d'enregistrement d’une marque verbale - Caractère distinctif intrinsèque (non) - Élément informatif - Quantité - Fonction d’indication d’origine - Acquisition du caractère distinctif par l’usage (non) - Usage à titre de marque - Preuve - Exploitation de la marque sous une forme modifiée

Texte
Demande d’enregistrement de marque n° 4 068 628 de la société Quick Restaurants
Texte

La marque demandée GIANT est dépourvue de caractère distinctif intrinsèque. Au jour du dépôt, le public français pertinent, de par sa compréhension de l’anglais basique et la proximité du signe avec l'adjectif français « géant », percevait nécessairement ce signe comme signifiant « géant » et par extension « énorme ».

Ainsi, appliqué aux produits alimentaires visés par la marque, il sera perçu comme une mention informative indiquant qu’ils seront servis dans de très grandes portions et donnant une indication sur leur quantité. Le signe ne remplit donc pas la fonction essentielle de la marque qui est de permettre de distinguer les produits ou services d'une entreprise de ceux de ses concurrents.

Par ailleurs, il n’est pas établi que la marque demandée aurait acquis un caractère distinctif par un usage à titre de marque antérieur au dépôt. En effet, les pièces produites (attestation comptable, page Wikipédia ...) ne justifient pas de la connaissance du terme « Giant », par le public pertinent, pour désigner les produits de la société déposante. Si certains articles de presse établissent que ce terme est bien le nom d’un hamburger commercialisé auprès du public français, il ne peut en être déduit qu’il est exploité à des fins d'identification commerciale. Il ne ressort pas davantage de ces documents que, du fait de son exploitation intensive, il ne serait plus perçu comme la simple indication de la grande taille d’un hamburger, mais comme une marque. Par ailleurs, le document portant sur des investissements publicitaires de la société déposante et les visuels de publicité communiqués ne prouvent pas un usage intensif du signe « giant » en tant que marque verbale mais son utilisation sous une forme stylisée et accompagné des termes « Junior », « Love », « Max » ou « Quick ».

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 11 février 2022, 18/17342 (M20220058)[1]
Quick Restaurants SA c. INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 9 avr. 2018)

[1] Dans la présente affaire, la cour d’appel (CA Paris, 21 juin 2019) avait sursis à statuer dans l’attente d’un arrêt de la Cour de cassation dans un autre litige, mettant en cause la validité de la marque internationale GIANT. Dans cette affaire, les juges de première instance avaient considéré que le terme « giant » n’était pas distinctif intrinsèquement et que les sociétés Quick ne rapportaient pas la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque. Ils ont donc annulé sa partie française (TGI Paris, 24 oct. 2013, France Quick SAS et Quick Restaurants c. Bougro Sodebo SAS, 12/10515). Ce jugement a été infirmé par la cour d’appel de Paris au motif notamment que la marque était seulement évocatrice des caractéristiques des produits et services désignés (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 14 avr. 2015, 14/14110 ; M20150150 ; PIBD 2015, 1028, III-382 ; Propr. intell., 56, juill. 2015, p. 310, note d'A. Bouvel). La Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel en rappelant que « sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique des produits ou services couverts par la marque » et « qu’il est indifférent que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d’être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires » (Cass. com., 8 juin 2017, 15-20.966 ; M20170306 ; PIBD 2017, 1076, III-546 ; RTDCOM, oct.-déc. 2017, p. 879, note de J. Azéma ; Propr. intell., 67, avr. 2018, p. 59, note de J. Canlorbe). Reprenant le raisonnement des juges de première instance, la cour d’appel de renvoi a prononcé la nullité de la marque GIANT (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 3 juill. 2018, 17/17762 ; M20180271 ; PIBD 2018, 1101, III-597). Après un nouveau pourvoi et plus de huit années de procédure judiciaire, la nullité de la marque GIANT a été confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 janvier 2021 (Cass. com., 27 janv. 2021, 18-20.702 ; M20210032 ; PIBD 2021, 1158, III-6 ; Contrats, conc. consom., mai 2021, comm. 84, M. Malaurie-Vignal  ; Légipresse, 390, mars 2021, p.78 ; RTDCOM, 2, avril-juin 2021, p. 345, note de J. Passa ; Légipresse, 397, nov. 2021, p. 568, note de C. de Marassé-Enouf). Celle-ci a relevé qu’il était courant d’indiquer dans le nom même des hamburgers une caractéristique quantitative telle que « long » ou « double », ce qui impose de laisser à la disposition de tous les acteurs de la restauration rapide le terme « giant ». Elle a ajouté que le consommateur de ce type de produits ne décèlera dans le terme « giant » qu’une caractéristique du produit et non une marque. Par ailleurs, la juridiction suprême a rappelé que l’usage continu, intense et de longue durée d’une marque dépourvue de caractère distinctif intrinsèque ne rend pas nécessairement distinctive ladite marque.