Jurisprudence
Marques

Dépôt de mauvaise foi de la marque WORMBOX - Intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité sur le marché de niche du lombricompostage

PIBD 1213-III-6
Décision INPI, 12 juillet 2023

Validité de la marque verbale (non) - Dépôt de mauvaise foi (oui) - Droit de l'UE - Usage antérieur intensif d'un signe non renouvelé à titre de marque - Connaissance de cause - Identité des signes - Secteur d’activité identique - Marché restreint - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Intérêts sciemment méconnus

Texte
Marque n° 4 844 911 de M. [N]
Texte

La marque verbale contestée WORMBOX, enregistrée pour désigner les produits et services suivants : « récipients d'emballage en matières plastiques; boîtes en bois ou en matières plastiques ; poubelles ; mise à disposition d'informations en matière de traitement de matériaux; traitement des déchets (transformation); recyclage d'ordures et de déchets » est annulée en application des articles L.714-3 et L.711-2 du CPI selon lesquels est déclaré nul l’enregistrement d’une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le déposant.

Le demandeur en nullité, qui exploitait une marque identique pour désigner un lombricomposteur, et qui a oublié de procéder à son renouvellement, invoque le dépôt de mauvaise foi par le titulaire de la marque attaquée.

Conformément aux principes dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne, pour apprécier la mauvaise foi du titulaire, il convient de prendre en compte tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce et notamment l’intention du déposant.

La mauvaise foi est susceptible d’être retenue lorsqu’il ressort « d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [1].

Constitue notamment un facteur pertinent de la mauvaise foi, le fait que le déposant sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire pour des produits et/ou services identiques ou similaires, prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est contesté [2]. Cette connaissance peut être présumée, notamment, lorsqu’il existe une connaissance générale, dans le secteur économique concerné, d’une telle utilisation [3] ou lorsque les parties opèrent toutes les deux sur un marché restreint [4].

Le caractère frauduleux du dépôt s'apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l'allègue.

En l’espèce, il ressort des pièces fournies par le demandeur en nullité qu’il a effectué un usage répétitif et intensif du signe WORMBOX pour désigner un modèle de lombricomposteur depuis 2011, soit une période antérieure au dépôt de la marque contestée.

Le titulaire de la marque contestée et le demandeur opèrent sur le même marché de niche du lombricompostage, marché sur lequel le demandeur bénéficie d’une médiatisation avérée. Il en résulte que le titulaire de la marque contestée ne pouvait ignorer au jour du dépôt de la marque, l’usage antérieur du signe WORMBOX par le demandeur pour désigner un modèle de lombricomposteur.

En ce qui concerne l’intention de priver illégitimement autrui d’un signe nécessaire à son activité, en l’espèce, la marque contestée porte sur un signe identique au signe antérieur exploité de manière intensive par le demandeur et elle désigne des produits et services identiques et similaires aux activités du demandeur, ayant trait au traitement et au recyclage des déchets et ordures.

Il est également important de souligner que le dépôt de la marque contestée a été réalisé seulement trois mois après l’expiration de la marque WORMBOX du demandeur.

Au surplus, le demandeur utilisait le signe ® sur son site internet afin de désigner son lombricomposteur WORMBOX, sensibilisant ainsi le public sur la protection conférée à ce signe. Même en l’absence de valeur juridique rattachée à ce symbole, il reste aisément compris du public français comme une mention informant de la protection du signe à titre de marque et venant de ce fait identifier l’origine commerciale du produit sur lequel il est apposé.

Au regard de la chronologie des faits (dépôt de la marque contestée postérieurement au non renouvellement de la marque du demandeur), de la situation de concurrence entre les parties sur un marché de niche, ainsi que de l’identité entre la marque contestée et le signe exploité de manière intensive par le demandeur, le dépôt de la marque litigieuse ne saurait être le fruit du hasard [5].

Il ressort de ces éléments que le titulaire de la marque contestée a agi sciemment au mépris des intérêts du demandeur en le privant par anticipation du signe dont il est susceptible d’avoir vocation à faire usage dans le cadre de son activité, et afin de générer une association avec le signe antérieur exploité par le demandeur dans le domaine du lombricompostage. De ces éléments résulte la caractérisation de la mauvaise foi.

Décision INPI, 12 juillet 2023, NL 23-0021 (NL20230021)
La Ferme du Moutta c. M. N

[1] CJUE, 4e ch.,29 janv. 2020, Sky, C 371/18, §75 (M20200025, PIBD 2020,1139, III-3 ; Propr. industr., févr. 2020, p. 18, note de A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 3, J. Canlorbe ; Propr. industr., mai 2020, étude 12, V. Ruzek, A. Folliard-Monguiral ; RTDCOM, 2, avr-juin 2020, p. 332, note de J. Passa ; L'Essentiel, avr. 2020, n° 113b8, note de S. Chatry ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, C. Le Goffic).

[2] CJUE, 1re ch., 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, C-529/07.

[3] CJUE, 5e ch.,12 sept. 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret AŞ, C-104/18 ; M20190251 ; PIBD 2019, 1126, III-495 ; RTDCOM, 4, oct-déc 2019, p. 885, note de J. Passa ; Propr. industr., nov. 2019, p. 32, note de A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 3, J. Canlorbe ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, Y. Basire).

[4] Cass. com., 2 févr. 2016, Maviflex SAS c. Nergeco France SAS, 14-24.714 (M20160063 ; PIBD 2016, 1047, III-284 ; Propr. intell., 60, juill. 2016, p. 354, note de J. Canlorbe).

[5] TUE, 6e ch., 28 janvier 2016, M. J-M D, T-335/14.