Jurisprudence
Dessins et modèles

Absence de protection par le droit d’auteur de bracelets et d’une bague inspirés du culte bouddhiste - Copie servile sanctionnée au titre de la concurrence déloyale et parasitaire

PIBD 1213-III-7
CA Paris, 21 juin 2023

Recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur (oui) - Personne morale - Cessionnaire des droits patrimoniaux - Présomption de titularité (oui) - Exploitation paisible et continue sous son nom - Date certaine de commercialisation - Preuves

Protection du modèle au titre du droit d'auteur (non) - Originalité - Combinaison d’éléments connus - Inspiration d'une œuvre préexistante - Savoir-faire technique - Choix créatifs - Genre - Banalité - Empreinte de la personnalité de l'auteur

Concurrence déloyale et parasitaire (oui) - Copie servile - Couleur et dimension des produits - Imitation de la présentation promotionnelle des produits - Prix de vente inférieur - Risque de confusion - Volonté de se placer dans le sillage d'autrui - Volonté de profiter de la notoriété et des investissements d'autrui - Préjudice - Baisse des ventes

Responsabilité (oui) - Dénigrement à l’encontre de la société poursuivie (oui) - Publication sur les réseaux sociaux

Texte
Bracelet de la société Baan - Source : https://baan-baan.com/
Texte

La société demanderesse est recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur les bijoux invoqués. Même si ceux-ci ont été créés et exploités initialement par la personne qui est à l’origine de sa constitution, la société demanderesse prouve qu’elle les commercialise de manière paisible et continue depuis son immatriculation. Ainsi, en l'absence de revendication de la créatrice, ou de toute autre personne se revendiquant comme l’auteur, la société demanderesse bénéficie de la présomption de titularité, sans qu'il soit nécessaire qu'elle établisse les circonstances dans lesquelles la cession des droits patrimoniaux est intervenue à son profit, ni les conditions de création des bijoux.

Les bracelets et bague jonc invoqués, constitués par des tubes en plastique transparent soufflés à la feuille d'or, ne sont pas protégeables au titre du droit d'auteur, faute d'originalité.

La créatrice s'est directement inspirée, pour la conception de ces bijoux, d'un bracelet jonc acheté sur un marché en Asie du Sud-Est, qu'elle a ensuite décliné en bracelets torsadés ou tressés et en une bague. Le bracelet est présenté comme utilisé pour le culte bouddhiste comme porte bonheur, ainsi qu'elle le mentionne elle-même sur son catalogue et ainsi qu'il ressort de nombreux articles de revues de presse produits aux débats. Par ailleurs, la technique revendiquée, à savoir de la poudre d'or soufflée dans un tube en plastique souple, était déjà utilisée antérieurement et le scintillement spécifique mis en avant s'apparente à du savoir-faire. Il n’est au demeurant pas démontré en quoi la réalisation de torsades ou de tressages avec les joncs en plastique découlerait de choix créatifs, alors que ces techniques appartiennent indubitablement au fonds commun de la bijouterie, dans lequel il est banal de combiner, sous ces formes, des mailles, fils ou joncs de différentes matières.

Enfin, concernant la bague jonc, la seule déclinaison d'un bracelet traditionnel soufflé à la feuille d'or en une simple bague reproduisant la même forme et le même aspect ne découle pas d'un choix créatif mais est le résultat d'un savoir-faire technique.

En conséquence, le simple fait d'associer deux techniques connues ne peut suffire à conférer aux trois bijoux invoqués, appréciés dans l'ensemble de leurs caractéristiques, l'empreinte de la personnalité de leur auteur et justifier le bénéfice de la protection du droit d'auteur. La société demanderesse est donc déboutée de ses demandes en contrefaçon.

La demande en concurrence déloyale et parasitaire doit toutefois être accueillie.

La société demanderesse justifie, en effet, avoir engagé des frais et des moyens matériels et humains depuis de nombreuses années pour mettre au point et valoriser ses produits afin de leur conférer une valeur économique singulière. Ainsi, elle a développé, notamment, une large campagne de communication pour les faire connaître et les mettre en valeur dans de très nombreux magazines en France et même à l'étranger. Elle s’est également adjoint les services d’une égérie. Enfin, elle a assuré la promotion et la commercialisation de ses produits dans des enseignes prestigieuses à destination d'une clientèle haut de gamme, comme en atteste notamment la parution récente, dans un célèbre magazine féminin, d’un article présentant trois de ses bracelets comme faisant partie des « 400 essentiels de la rédaction », dans le cadre d'un numéro spécial pour la 4000e parution de ce magazine.

La défenderesse a ainsi indûment profité de cette valeur économique individualisée et de cette notoriété pour lancer et exploiter son activité concurrentielle de vente de bijoux en s'inscrivant directement dans son sillage. Le fait qu’elle justifie elle-même d'investissements, essentiellement en terme de dépenses publicitaires, pour promouvoir son activité, ne saurait suffire à établir un comportement s'inscrivant dans le jeu de la libre concurrence, le parasitisme n'excluant pas, en soi, l'existence de dépenses effectuées par l'auteur d'actes de parasitisme.

Si les bijoux revendiqués ne sont pas protégés par le droit d'auteur, les bracelets joncs, torsadés et tressés commercialisés par la défenderesse, qui en constituent une copie servile, sont offerts à la vente selon les mêmes gammes de coloris, les mêmes déclinaisons (modèle fin ou épais) et font l'objet d'une présentation promotionnelle identique à celle de la société demanderesse (notamment par la mise en scène spécifique et singulière des bijoux, empilés dans des coupelles ou sur des matériaux bruts), sans qu'aucune nécessité, ni même tendance de mode, n'imposent qu'ils soient présentés de la sorte. Ces bijoux incriminés sont en outre proposés à la vente par la défenderesse à un prix moindre que ceux de sa concurrente et à un tarif dégressif selon le nombre d'exemplaires commandés.

Par ailleurs, la défenderesse a indiqué, sur son blog et sur sa page Facebook, publiée au nom de sa société, qu’elle portait les bracelets et bague joncs en mentionnant le nom de la société demanderesse, créant ainsi un lien avec les bijoux de sa concurrente aux yeux du public concerné, qui ne peut être considéré comme fortuit. Le fait qu’elle diversifie plus récemment la gamme de bijoux offerte dans des coloris totalement différents ou que d'autres sociétés commercialisent le même type de produits est sans conséquence sur l'examen de ces faits avérés.

L'ensemble de ces agissements est de nature à créer un risque de confusion, laissant supposer un lien entre la société demanderesse et les bijoux qu'elle commercialise, d'une part, et la défenderesse exerçant sous sa propre enseigne, d’autre part.

Sur la demande reconventionnelle en dénigrement, il convient de rappeler que la divulgation par une personne d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par une autre personne, même en l'absence de situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, peut constituer un acte de dénigrement.

La société demanderesse a publié, sur son compte Instagram, deux messages d'avertissement présentant les produits vendus par la défenderesse sous son nom commercial comme des produits contrefaisants. Si l'année de publication n'est pas mentionnée, la copie de ces messages ayant été coupée en partie haute, leur datation ne fait pas de doute au regard de leur contenu. De telles déclarations rendues publiques dans des termes peu mesurés excédant les limites admissibles de la liberté d'expression, et alors qu'aucune décision de justice constatant le caractère contrefaisant des produits n'a été prononcée, présentent un caractère dénigrant et causent un préjudice à la défenderesse.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 21 juin 2023, 21/08929 (D20230027)[1]
Baan SARL c. Mme[B] [K] (exerçant sous la dénomination Chérie Sheriff)
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 26 févr. 2021, 20/00297)

[1] Sur l’originalité de modèles de bracelets inspirés d’une œuvre préexistante, voir les décisions récentes suivantes : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 20 janv. 2023, La Coque de Nacre SAS c. Gemstar SAS et al., 21/05655 ; D20230002 ; PIBD 2023, 1200, III-7 ; Les MÀJ Irpi, 46, mars 2023, p. 6, C. Kpolo (originalité d’un bracelet jonc comportant des motifs géométriques inspirés des pyramides aztèques) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 15 févr. 2022, Marie-Laure C et al. c. Valérie B et al., 19/12641 ; D20220017 ; PIBD 2022, 1182, III-7 (défaut d’originalité de bracelets tressés ou tissés qui revisitent le genre des bracelets dits « brésiliens ») et CA Paris, pôle 5, 1re ch., 23 mars 2021, APM Monaco SAM c. Swarovski Crystal Online, 18/28435 ; D20210013 ; PIBD 2021, 1162, III-6 (originalité d’un bracelet inspiré des menottes médiévales ou des manilles).