Jurisprudence
Indications géographiques

Évocation des AOP « Côtes de Provence », « Les Baux de Provence », « Coteaux d'Aix-en-Provence » et « Coteaux Varois de Provence » par l’usage des dénominations « Cœur de Provence » et « Luberon Cœur de Provence »

PIBD 1211-III-7
TJ Nanterre, 23 janvier 2023

Atteinte à une AOP (oui) - 1) Article 103, § 2, b) et c) règlement n° 1308/2012 - Droit de l'UE - Évocation (oui) - Identité des produits - Reproduction partielle - Mot commun - Nom géographique - Élément dominant - Suppression de mots - Substitution du mot d’attaque - Similitude visuelle et phonétique - Structure identique - Lien entre l'appellation d’origine et le signe litigieux - Absence de risque de confusion inopérant - Usage à titre d'information (non) - Usage à titre commercial (oui) - Indication fausse ou fallacieuse (non) - 2) Application de l’article 2 décret n° 68-807 (non) - Droit de l'UE - Caractère uniforme et exhaustif du régime européen de protection des IG - 3) Atteinte à l'article 5 décret n° 2012-655 (non)

Préjudice moral - Banalisation de l’AOP - Atteinte à son pouvoir attractif

Texte

Porte atteinte aux AOP « Côtes de Provence », « Les Baux de Provence », « Coteaux d'Aix-en-Provence » et « Coteaux Varois de Provence », par évocation au sens de l’article 103, § 2, b) du règlement (UE) n° 1308/2013, l’usage par l’office du tourisme poursuivi, dans son nom de domaine et sur son site internet, des dénominations « Cœur de Provence » et « Luberon Cœur de Provence » pour présenter des vins et des domaines vinicoles du Luberon ou du Ventoux ne bénéficiant pas des AOP provençales invoquées, communiquer sur les vendanges et proposer des dégustations de vins.

En effet, la dénomination contestée « Luberon Coeur de Provence », lorsqu’elle est associée au vin et aux services associés, couvre les mêmes produits que les AOP invoquées. Elle incorpore en partie l’appellation protégée, en l’occurrence le terme « Provence » qui constitue l’élément dominant des AOP et en particulier de l’AOP « Côtes de Provence ». En effet, le terme « Côtes » constitue un terme commun qui ne saurait, pris isolément, être susceptible de protection particulière, contrairement au terme « Provence » qui est bien identifié par le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, lorsqu’il est mis en rapport avec le vin et les services qui y sont afférents, comme couvrant des vins d’appellation protégée, répondant à des critères définis par un cahier des charges. En outre, il existe une parenté phonétique et visuelle certaine entre les dénominations « Côtes de Provence » et « Cœur de Provence » qui comportent le même nombre de mots, un premier mot commençant par « co » et comprenant cinq lettres, et la même préposition « de » entre le premier mot et le terme « Provence ».

Il en résulte que l’emploi des expressions « Cœur de Provence » ou « Luberon Cœur de Provence », en lien avec du vin ou des services qui y sont liés, évoque nécessairement, dans l’esprit du consommateur de référence, les AOP protégeant les vins ou domaines vinicoles bénéficiant des AOP vinicoles provençales, en particulier l’AOP « Côtes de Provence »[1].

Ainsi que l’a notamment retenu la CJUE dans l’arrêt « Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne »[2], il n’y a pas lieu de démontrer l’existence d’un risque de confusion entre ces termes, le champ d’application de la protection conférée par l’appellation d’origine contrôlée étant plus vaste. Ainsi, il importe peu que le consommateur soit susceptible, à la lecture des textes figurant sur le site internet litigieux, de comprendre que les vins qui y sont présentés sont protégés par des AOP Ventoux ou Luberon, et d’en déduire qu’ils ne peuvent être également protégés par des AOP vinicoles provençales.

Enfin, l’office du tourisme poursuivi fait, en échange de financements de l’État ou des collectivités territoriales, la promotion du tourisme dans le Luberon et, dès lors, mène des actions de nature à mettre en valeur non seulement des sites touristiques du secteur géographique concerné, mais également à faire connaître les produits et services que le touriste peut s’y voir offrir à la vente, contribuant ainsi au développement de l’économie issue du tourisme. Il ne peut soutenir qu’il ne fait qu’un usage informatif et non commercial des termes « Luberon Cœur de Provence », l’usage même des termes « Cœur de Provence » n’étant pas nécessaire pour promouvoir le tourisme dans le Luberon.

En revanche, l’article 2, al. 3 du décret n° 68-807 invoqué par les demandeurs n’a pas vocation à s’appliquer, dès lors que le régime européen de protection des AOP revêt un caractère uniforme et exhaustif et que les interdictions posées par cet article ne sont qu’une déclinaison particulière de celles prévues à l’article 103 du règlement (UE) n° 1308/2013.

Par ailleurs, l’usage de la dénomination « Luberon Cœur de Provence » ne constitue pas une atteinte aux AOP invoquées au sens du point c) de l’article 103, § 2 du règlement (UE) n° 1308/2013 en raison d’une indication fausse ou fallacieuse.

Dans son arrêt « Scotch Whisky Association »[3], la CJUE a dit pour droit qu’aux fins d’établir l’existence d’une telle indication, il n’y a pas lieu de tenir compte du contexte dans lequel l’élément litigieux est utilisé. Elle a notamment précisé que l’article 16, c), du règlement n° 110/2008 « prévoit une protection large des indications géographiques enregistrées. Or, si une indication fausse ou fallacieuse pouvait néanmoins être autorisée en raison d’informations supplémentaires entourant cette indication et portant, notamment, sur la véritable origine du produit concerné, cette disposition perdrait son effet utile ». Cette décision est transposable au cas d’espèce.

Ainsi, constitue une atteinte à une AOP « toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l'origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné », et ce quand bien même des indications supplémentaires portant sur la véritable origine du produit concerné figurent également.

Cependant, en l’espèce, les demandeurs invoquent les mêmes faits sur le fondement du point b) et du point c) de l’article 103, § 2. Or, la formule « toute autre indication fausse ou fallacieuse » laisse supposer que ne peuvent entrer dans son périmètre d’application que les indications qui ne peuvent entrer dans le champ des a) et b) de l’article 103, § 2, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, une atteinte au titre du point b) ayant été reconnue pour les mêmes indications litigieuses.

En tout état de cause, la dénomination litigieuse « Luberon Cœur de Provence » manque de précision pour être considérée comme l’affirmation d’une indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance du produit. Au surplus, elle n’émane pas des producteurs des vins présentés, mais de l’office de tourisme.

Tribunal judiciaire de Nanterre, pôle civil, 1re ch., 23 janvier 2023, 21/07842
Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et Syndicat des Vins Côtes de Provence c. Office de Tourisme Luberon Monts de Vaucluse (OTLMV, EPIC)

[1] Dans un arrêt récent publié au PIBD et ayant donné lieu à la rédaction d’une note par Nathalie Gauthier Rougon, la cour d’appel de Paris a prononcé la nullité des marques NEWRHONE pour atteinte, par évocation, aux AOP « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages » (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, INAO et al. c. Newrhône Millésimes SAS, 21/09232 ; M20230066 ; PIBD 2023, 1210, III-5).

[2] CJUE, 5e ch., 9 sept. 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC), C-783/19 ; PIBD 2021, 1167, III-8 ; Europe, nov. 2021, comm. 376, A. Rigaux ; L'Essentiel, 10, nov. 2021, p. 1, S. Chatry.

[3] CJUE, 5e ch., 7 juin 2018, Scotch Whisky Association c. Michael K, C-44/17.