Jurisprudence
Brevets

Demande de CCP pour un médicament - Nouvelle application thérapeutique d’un principe actif

PIBD 1143-III-1
CJUE, 9 juillet 2020 avec une note

Demande de CCP – Médicament - Pluralité d’AMM – 1re AMM – Principe actif – Application nouvelle d’un principe actif connu – Champ de protection du brevet de base – Droit de l’UE

Texte

L’article 1er, sous b), du règlement (CE) no 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments doit être interprété en ce sens que le fait qu’un principe actif, ou une combinaison de principes actifs, soit utilisé aux fins d’une nouvelle application thérapeutique ne lui confère pas la qualité de produit distinct dès lors que le même principe actif, ou la même combinaison de principes actifs, a été utilisé aux fins d’une autre application thérapeutique déjà connue.

Une AMM ne peut pas être considérée comme étant la première AMM d’un médicament, au sens de l’article 3, sous d), du règlement, lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique. Il n’y a pas lieu de prendre en compte le champ de protection du brevet de base.

Cour de justice de l'Union européenne, gr. ch., 9 juillet 2020, Santen SAS c. INPI, C-673/18 (B20200023)
(décision préjudicielle)

Titre
NOTE :
Texte

Le 9 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, dans l’affaire Santen, un arrêt de principe en matière de certificat complémentaire de protection (CCP) en réponse à une question préjudicielle posée par la cour d’appel de Paris[1] à l’occasion d’un recours contre une décision de refus de délivrance d’un CCP du directeur général de l’INPI.

Rappelons que le CCP vise à étendre la durée de protection d’un brevet afin de compenser le délai s’écoulant entre le dépôt du brevet de médicament et l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) de celui-ci, destinée à en contrôler l’efficacité et la sécurité. Ce délai peut s’avérer long lorsque le médicament comporte des principes actifs qui n’ont pas encore été mis sur le marché.

Selon le règlement (CE) n°469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009, définissant le régime juridique des CCP pour les médicaments, cette prolongation de durée ne peut être accordée qu’à un brevet de médicament portant sur un produit pour lequel l’AMM est « la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament » (article 3, sous d) du règlement).

Le produit est défini par l’article 1er du règlement comme étant « le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament ». Il ne s’agit pas de la spécialité pharmaceutique mais de la substance ayant des propriétés curatives, préventives, correctrices ou diagnostiques.

Dans un premier temps, la Cour de justice, adoptant une interprétation littérale du règlement, a jugé que le produit ne pouvait être défini en fonction de la destination du médicament ou de sa forme pharmaceutique, ni même de son usage thérapeutique défini dans le brevet de base[2]. Elle considérait ainsi qu’au regard de l’article 1, sous b), la notion de « première AMM » désignait la première AMM d’un médicament incorporant le principe actif ou la composition de principes actifs. Dès lors, un CCP ne pouvait être octroyé que sur la base de la première AMM dans le temps délivrée pour le principe actif ou la composition de principes actif [3].

La Cour, dans son arrêt Neurim[4], est revenue sur cette jurisprudence antérieure aux termes de laquelle l’application thérapeutique du principe actif en cause était indifférente pour apprécier la notion de « première AMM » au sens de l’article 3, sous d).  S’orientant vers une interprétation téléologique du règlement, elle a jugé que « dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, la seule existence d’une AMM antérieure obtenue pour le médicament à usage vétérinaire ne s’oppose pas à ce que soit délivré un CCP pour une application différente du même produit pour laquelle a été délivrée une AMM, pourvu que cette application entre dans le champ de la protection conférée par le brevet de base invoqué à l’appui de la demande de CCP » (point 27).

Elle n’a toutefois pas donné d’indication quant à ce que recouvre la notion d’application thérapeutique différente ou encore quant à l’articulation de ces nouveaux principes avec notamment sa jurisprudence constante sur l’article 1, sous b), du règlement relatif à la définition de « produit »,  laquelle constitue pourtant la « clé de voûte » du règlement, comme le note très justement l’avocat général dans l’affaire Santen[5].

La notion de nouvelle application thérapeutique a été source de nombreux contentieux et a été appréhendée diversement par les différents États membres de l’Union européenne, certains, comme l’office néerlandais, la limitant strictement au cas de l’affaire Neurim (AMM humaine contre AMM vétérinaire), d’autres, comme le juge britannique, s’interrogeant sur la nécessité d’y englober jusqu’aux formulations nouvelles de produits connus.

En France, l’INPI s’est efforcé d’appliquer avec mesure la jurisprudence Neurim en gardant à l’esprit les objectifs du règlement n° 469/2009 et la nécessité de tenir compte de tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique.

Ainsi, une modification du mode d’administration d’un produit (forme de poudre pour solution à diluer pour perfusion, dans un cas / forme de solution injectable, dans l’autre cas) ne s’apparente pas à une nouvelle application thérapeutique, quand bien même elle induirait une modification physiologique des tissus de façon à permettre l’administration du médicament sous sa forme différente[6].

De même, l’INPI a pu décider que deux AMM avaient la même indication thérapeutique, s’agissant pareillement d’analgésiques, peu important la forme du médicament, à savoir son mode d’administration, sa posologie, l’intervention ou non d’un tiers pour son administration[7]                              

Il a également jugé que deux AMM portant sur le même principe actif avaient la même indication médicale, à savoir le traitement d’infestations ectoparasitaires (tiques et puces), la formulation et la population cible ne pouvant être prises en compte (la première AMM concernait une formulation à mâcher pour chiens, la seconde une formulation topique pour chiens et chats)[8].

Il en va enfin de même, selon l’INPI, d’un nouveau procédé de fabrication d’un médicament [9].

S’agissant de l’affaire Santen ayant donné lieu à la décision préjudicielle ici présentée, la question posée était de savoir si, dans le cadre d’une demande de CCP, une AMM antérieure délivrée pour un médicament ayant pour principe actif la ciclosporine, commercialisé sous le nom de « Sandimmun », se présentant sous forme buvable et indiqué notamment pour le traitement de l’uvéite endogène, inflammation de tout ou partie de l’uvée (partie centrale du globe oculaire), pouvait être opposée, comme première AMM du principe actif, à un nouveau médicament commercialisé sous le nom d’Ikervis et ayant le même principe actif, mais utilisé pour le traitement de la kératite sévère chez des patients adultes présentant une sécheresse oculaire dépourvue d’amélioration malgré l’instillation de substituts lacrymaux, provoquant une inflammation de la cornée.

Le directeur général de l’INPI a considéré que cette première AMM était bien opposable et, par décision du 6 octobre 2017, a refusé de délivrer le CCP, jugeant que l’AMM en cause n’était pas la première, au sens de l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009, pour la ciclosporine.

Sur un recours en annulation de cette décision exercé par la société Santen, la cour d’appel de Paris a constaté que le directeur général de l’INPI et la société Santen s’opposaient sur l’interprétation de la notion d’« application différente du même produit » issue de l’arrêt Neurim.

Ainsi, selon la société Santen, l’« application thérapeutique différente » doit s’entendre de manière large et inclure non seulement des indications thérapeutiques et des usages pour des maladies différentes, mais encore des formulations, des posologies et des modes d’administration différents. Cette conception aboutissait à permettre le dépôt en très grand nombre de CCP pour un même produit.

En revanche, pour le directeur de l’INPI, l’AMM invoquée doit concerner soit une indication relevant d’un nouveau champ thérapeutique, au sens d’une nouvelle spécialité médicale, par rapport à l’AMM antérieure, soit un médicament dans lequel le principe actif exerce une action différente de celle qu’il exerce dans le médicament ayant fait l’objet de la première AMM. De surcroit, pour l’INPI, la portée du brevet de base doit coïncider avec celle de l’AMM invoquée et, par conséquent, se limiter à la nouvelle utilisation médicale correspondant à l’indication thérapeutique de l’AMM. Par cette approche, l’INPI entendait mettre en place un système équilibré prenant en compte tous les intérêts en jeu, y compris les enjeux de la santé publique.

Dans la décision Abraxis[10] , la Cour de justice avait déjà eu l’occasion de préciser que la jurisprudence Neurim ne trouvait pas à s’appliquer dans l’hypothèse où la demande de CCP s’appuyait sur une nouvelle AMM portant sur une nouvelle formulation d’un principe actif connu. La décision, bien que semble-t-il limitée aux nouvelles formulations de principes actifs connus, était annonciatrice de la décision commentée.

La Grande Chambre, dans la présente affaire, abandonne en effet sans équivoque la jurisprudence Neurim et revient à une interprétation de l’article 3, sous d), en cohérence avec son interprétation des autres dispositions et des objectifs du règlement n° 469/2009.

Ainsi, pour la Cour, l’AMM doit avoir été la première délivrée pour un produit déterminé. La Grande Chambre revient donc à une conception stricte de la notion de « produit » dans le contexte de l’article 3, sous d), en s’appuyant à la fois sur sa jurisprudence antérieure (voir ci-dessus) et sur la lecture conjointe de l’article 1, sous b), et de l’article 4 du règlement.

Elle en conclut que l’AMM portant sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique, ne peut pas être considérée comme la première AMM du principe actif, au sens de  l’article 3, sous d), du règlement, et ce quel que soit le champ de protection du brevet de base (points 48 à 53 de l’arrêt).

En effet, outre que l’article 3, sous d), ne fait aucunement mention du champ de protection du brevet de base, la Grande Chambre souligne qu’interpréter la notion de « première AMM » à la lumière de ce dernier est nécessairement contraire à la définition stricte de la notion de « produit » au sens de l’article 1, sous b). Autrement dit, dès lors que la Cour exclut toute souplesse dans l’interprétation de cette dernière notion, elle lit, de la même manière, strictement l’article 3, sous d).

Cette décision de la Cour de justice constitue un revirement de jurisprudence majeur qui vient mettre fin à un certain nombre d’incertitudes juridiques. À ce titre, il doit être relevé que, contrairement à l’affaire Neurim, la  Cour se réfère très précisément et de manière littérale aux objectifs du règlement n° 469/2009, tels qu’énoncés par le législateur européen dans l’exposé des motifs et les considérants du règlement, pour corroborer son interprétation.

En effet, et comme souligné dans l’étude indépendante commandée par la Commission européenne à l’Institut Max Planck (voir en ce sens le point 11.3.1.6, p 233[11]), ni la Cour ni l’avocat général n’avaient donné de motifs à l’adoption d’une solution contra legem dans la décision Neurim.

Pour rappel, l’objectif du système des CCP, tel que découlant du règlement n° 469/2009, est de permettre à l’opérateur économique ayant investi dans la recherche et le développement d’un nouveau médicament, couvert par un brevet, de compenser tant la période pendant laquelle, ayant obtenu son brevet, il ne peut toutefois l’exploiter dans l’attente de l’octroi de l’AMM, que les dépenses nécessitées par les tests et essais cliniques en vue de l’obtention de celle-ci.

Toutefois, il ressort clairement du considérant 10 du règlement précité que l’octroi d’un CCP a été conçu comme une récompense exceptionnelle afin de tenir compte de tous les intérêts en présence dans un « secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique ».

De même, il ressort de l’exposé des motifs de la proposition de règlement (COM(90)101 final) que l’intention du législateur n’était pas de récompenser tous les médicaments mis sur le marché. Les points 11, 35 et 36 dudit exposé sont en ce sens limpides. 

S’il est vrai que le règlement ne limite pas la délivrance d’un CCP à la seule hypothèse de la protection  d’un nouveau produit, c’est-à-dire un nouveau principe actif ou composition de principes actifs, l’exposé des motifs précité précise néanmoins que l’octroi d’un CCP pour une nouvelle application thérapeutique d’un produit ou encore une nouvelle formulation est possible « si par ailleurs, toutes les conditions de la proposition de règlement se trouvent remplies » (point 29 de l’exposé des motifs). Par conséquent, il était clair dans l’esprit du législateur que si un CCP pouvait être octroyé pour un produit quelle que soit la portée du brevet de base (nouveau produit, nouvelle indication thérapeutique, nouvelle formulation), il ne pouvait en revanche être octroyé deux ou plusieurs certificats pour un même produit, ni être pris en considération une AMM qui ne serait pas la première pour ce produit.

Enfin il est constant que le législateur avait pour objectif de mettre en place un système à la fois simple, transparent et facile à appliquer pour les offices nationaux en charge de la délivrance des CCP (point 16 de l’exposé des motifs) ainsi qu’un système uniforme au niveau communautaire (considérant 7 du règlement).

Cette première question préjudicielle française en matière de CCP restera dans les annales du droit des brevets et aura permis un retour à une certaine orthodoxie juridique. 

Virginie Landais, chargée de mission au service du contentieux de l’INPI
Indira Lemont Spire, chargée de mission au service juridique et international de l’INPI

[1] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 9 oct. 2018, Santen SAS c. INPI, 2017/19934 (B20180083 ; PIBD 2018, 1104, III-678 ; Propr. industr., juill.-août 2019, p. 22, note de H. Gaumont-Prat).

[2] CJCE, 5e ch., 19 oct. 2004, Pharmacia Italia, C‑31/03 (EU:C:2004:641) ; CJCE, 2e ch., 4 mai 2006, Massachusetts Institute of Technology (MIT), C‑431/04 (EU:C:2006:291) ; CJCE, 8e ch., 17 avr. 2007, Yissum Research and Development Company of the Hebrew University of Jerusalem, C‑202/05 (EU:C:2007:214).

[3] CJUE, 4e ch., 24 nov. 2011, Medeva, C-322/10, point 40 (EU:C:2011:773 ; B20110213 ; PIBD 2012, 958, III-187 ; Europe, 1, janv. 2012, p. 41-42, note de L. Idot).

[4] CJUE, 4e ch., 19 juill. 2012, Neurim Pharmaceuticals, C-130/11 (EU:C:2012:489 ; B20120127 ; PIBD 2012, 971, III-691 ; Petites Affiches, 145, 22 juill. 2013, p. 7, note de H. Gaumont-Prat ; Propr. industr., juill. 2020, chron. 6 de H. Gaumont-Prat).

[5] Conclusions de l’avocat général M. Giovanni présentées le 23 janvier 2020 (point 48).

[6] Décision de rejet de la demande de CCP n° 15C0053, en date du 7 mars 2018, 18/14332, inscrite au RNB le 12 mars 2018 sous le n° 221263 (recours en cours devant CA Paris).

[7] Décision de rejet de la demande de CCP n° 16C0010, en date du 4 févr. 2019, 19/09425, inscrite au RNB le 27 févr. 2019 sous le n° 0226178 (recours en cours devant CA Paris).

[8] Décision de rejet de la demande de CCP n° 16C1013, en date du 2 août 2019, 19/22596, inscrite au RNB le 2 août 2019 sous le n° 0229366 (recours en cours devant CA Paris).

[9] Décision de rejet de la demande de CCP n° 16C0032, en date du 4 oct. 2019, 20/00119, inscrite au RNB le 8 oct. 2019 sous le n° 0230354 (recours en cours devant CA Paris).

[10] CJUE, 4e ch., 21 mars 2019, Abraxis Bioscience, C-443/17 (ECLI:EU:C:2019:238).