Revendication de la propriété de la marque - Dépôt frauduleux (oui) - Relations d'affaires - Volonté de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité - Nom d’un personnage - Caractère trompeur - Provenance des produits - Paternité de l’œuvre - Transfert (oui)
Préjudice (oui) - Dommages-intérêts
L’auteur des paroles des chansons mettant en scène le personnage dénommé Bébé Lilly est fondé à revendiquer la propriété de la marque BEBE LILLY déposée par son producteur.
Il a été irrévocablement jugé que le dépôt de la marque était frauduleux, le producteur ayant en toute connaissance de cause privé le demandeur de la possibilité d’exploiter paisiblement la dénomination « Bébé Lilly », contrairement aux dispositions contractuelles liant les parties. En effet, le producteur, prenant l'initiative de réaliser divers enregistrements sous forme phonographique et vidéographique commercialisés sous cette dénomination, avait confié à la société représentée par le demandeur la production exécutive et la réalisation artistique de ces enregistrements. En s'appropriant la dénomination « Bébé Lilly », le producteur s'assurait l'exclusivité de son utilisation pour les titres de son choix tandis que le demandeur se trouvait empêché de diffuser, avec un autre producteur, les nouvelles œuvres qu'il aurait écrites autour de ce personnage.
Le demandeur ne peut se voir refuser le transfert de la marque au motif qu'il qualifie celle-ci de trompeuse. Le caractère trompeur n'est invoqué que dans la mesure où la marque déposée par le producteur confère à celui-ci le droit exclusif d'exploiter la dénomination « Bébé Lilly », laissant ainsi croire au public que les enregistrements commercialisés sous cette dénomination procèdent, tels les titres déjà commercialisés ou ceux évoqués dans le contrat de production exécutive, de la réalisation artistique du demandeur. Le transfert de la marque sera de nature à faire disparaître son caractère trompeur dès lors que seul le demandeur disposera dorénavant du droit d'utiliser la dénomination « Bébé Lilly » ou d'autoriser une telle utilisation pour les créations de son choix. En conséquence, un lien de rattachement, exempt de tout caractère trompeur, pourra être effectué par le public entre les produits commercialisés sous cette dénomination et le demandeur.
Bien que la preuve du succès commercial des premiers titres commercialisés ne soit pas rapportée, le dépôt frauduleux de la marque BEBE LILLY a néanmoins causé un préjudice certain au demandeur, ouvrant droit à réparation, en le privant de la possibilité d’exploiter paisiblement la dénomination « Bébé Lilly ».
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 25 mars 2022, 20/15907 (M20220106)[1]
Abdelkader D c. MJS Partners SELAS (mand. jud. à la liquidation judiciaire de Heben Music SAS)
(Infirmation TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 15 juin 2012, 09/00184 ; sur second renvoi après cassation)
[1] Dans cette affaire, la Cour de cassation, dans un premier arrêt, a cassé l’arrêt des juges d’appel sur les deux points litigieux soulevés par le demandeur, le caractère frauduleux du dépôt de la marque BEBE LILLY et le caractère déceptif de cette marque (Cass. com., 11 janv. 2017, 15-15750, M20170009 ; PIBD 2017, 1067, III-180 ; décision citée dans l’étude De la fraude à la mauvaise foi : un passage de relais ou une continuité en matière de nullité du dépôt d’une marque française ? de C. Martin, publiée au PIBD 2022, 1175, II-1 ; RLDI, 134, fév. 2017, p. 19, note de L. Costes ; Propr. industr., mars 2017, p. 36, com. 16, P. Tréfigny ; RTDCom., 1, janv.-mars 2017, p. 76, note de F. Pollaud-Dulian ; RJDA, avr. 2017, p. 340, n° 294, obs. ; D IP/IT, mai 2017, p. 280, note de J. Daleau). L’auteur des paroles des chansons Allo Papy et À l’école, mettant en scène un personnage de bébé chanteur dénommé Lili ou Bébé Lilly, avait été débouté de sa demande en revendication de la propriété de la marque BEBE LILLY, déposée par son producteur qui avait commercialisé sous l'intitulé « Bébé Lilly, Allo Papy » un disque comprenant les deux chansons (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 27 janv. 2015, 12/15801 ; M20150075). Le demandeur revendiquait des droits d’auteur sur le personnage et le nom de celui-ci et reprochait également au producteur un manquement à son devoir de loyauté. La Cour suprême a déclaré qu’un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité, ce que les juges du fond avaient omis de rechercher. Par ailleurs, elle a estimé qu’en vertu de l’article L. 711-3 du CPI, dans sa version alors applicable, une marque peut être déceptive lorsqu’elle est susceptible de tromper le consommateur sur la relation entre le signe et une œuvre relevant de la protection par le droit d’auteur. Les juges du fond avaient dit que ces dispositions ne visaient pas les tromperies sur l’origine et la paternité des œuvres et des enregistrements. La cour d’appel de renvoi a jugé que le demandeur ne pouvait pas revendiquer de droits d’auteur sur la dénomination « Bébé Lilly », mais que le producteur avait en toute connaissance de cause et de façon déloyale privé le demandeur de la possibilité d’exploiter paisiblement cette dénomination en dépit de ce qui avait été convenu contractuellement (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 30 mars 2018, 17/04929 ; M20180137 ; rect. erreur matérielle le 29 juin 2018, 18/09424). Cependant, bien que l'intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité était ainsi établie, de même que l’existence d’intérêts sciemment méconnus, la demande en revendication a été rejetée. Les juges ont estimé que le demandeur ne pouvait à la fois revendiquer la propriété de la marque et soutenir que le dépôt avait pour but de tromper le public sur la provenance des enregistrements. Cet arrêt a lui aussi été cassé, la Cour suprême déclarant que si une marque constituée d’un signe de nature à tromper le public doit en principe être annulée, elle peut néanmoins donner lieu à revendication dans l’hypothèse où le transfert de sa propriété ferait disparaître son caractère déceptif (Cass. com., 4 nov. 2020, 18-18.455 ; M20200229 ; PIBD 2021, 1051, III-2 ; Propr. industr., fév. 2021, comm. 12, P. Tréfigny ; L'Essentiel, janv. 2021, p. 7, note d’A. Favreau ; D IP/IT, avr. 2021, p. 216, note de J. Daleau).