Déchéance partielle de la marque figurative (oui) – 1) Usage sérieux pour les produits visés - Droit de l'UE - Usage pour des services de réparation des produits visés - Usage à titre de marque - Usage limité - Luxe - 2) Usage sous une forme modifiée - Exploitation de marques semi-figuratives - Altération du caractère distinctif
Déchéance partielle des marques semi-figuratives (non) - Usage sérieux - Preuve - Commencement ou reprise de l’exploitation plus de trois mois avant la demande en déchéance
Validité des marques semi-figuratives (non) - Caractère déceptif sur l’origine des produits - Droit de l’UE - Risque de confusion
Concurrence déloyale - 1) Pratiques commerciales trompeuses (oui) - Droit de l’UE - Mentions trompeuses - Référence au savoir-faire d’autrui - Acquisition d’une marque - Activité différente - Risque de confusion - 2) Imitation du produit et de sa présentation (non) - Proximité géographique - Risque de confusion
Préjudice - Atteinte à l'image de marque
La déchéance des droits sur la marque figurative invoquée au soutien de l’action en contrefaçon, constituée d'un motif à chevrons n’est pas encourue en ce qu’elle désigne les malles et valises. Selon l’arrêt Ansul de la Cour de justice de l’Union européenne [1], la circonstance selon laquelle l'usage de la marque ne concerne pas des produits nouvellement offerts sur le marché, mais des produits déjà commercialisés, n'est pas de nature à priver cet usage de son caractère sérieux, si la marque est effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou pour des produits ou des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ces derniers. En l’espèce, les services de réparations relatifs à diverses prestations de restauration de doublures, de fermetures éclair, de changement de passepoil, de recollage et de nettoyage se rapportent directement aux valises et malles déjà commercialisées sous la marque afin de répondre aux demandes de remise en état de la clientèle de commandes spéciales. Ces prestations constituent un usage à titre de marque, conformément à la fonction essentielle d'indication de l'origine commerciale du produit. En outre, l'usage de la marque peut être minime, à condition qu'il ne soit ni sporadique ni symbolique et qu’il ne soit pas destiné au seul maintien des droits sur la marque. Par ailleurs, le caractère sérieux de l’usage doit être apprécié au regard du secteur économique en cause. En l'espèce, compte tenu du caractère très exclusif du marché des ventes de valises et de malles à un prix très élevé, sur commandes spéciales de pièces uniques confectionnées en fonction des désirs du client, les services de réparation portant sur vingt et une valises et trois malles suffisent à établir un usage sérieux de la marque sur la période de référence.
En revanche, la déchéance des droits sur cette marque doit être prononcée pour les « savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; métaux précieux et leurs alliages ; papier et articles en papier, carton, articles de bureau ; cuir et imitations du cuir ; parapluies, parasols et cannes ; sellerie; tissus ; couvertures de lit et de table ; vêtements, chaussures, chapellerie ; colliers pour animaux », en application de l’arrêt Rintisch de la Cour de justice[2]. En effet, l'exploitation par la promotion et la commercialisation des produits revêtus des marques semi-figuratives du titulaire de la marque en cause ne peuvent constituer des actes d'usage de celle-ci. La marque reproduit, sur fond noir, des chevrons blancs et jaunes formant des lignes continues, traversés de lignes verticales grises et jaunes. Elle se distingue nettement des marques semi-figuratives qui comportent des chevrons beige et marron formant des lignes en pointillé, traversés de lignes verticales marron, les termes «e. goyard » et « honoré paris » étant apposés à intervalles réguliers à la place des lignes verticales ou des chevrons. Les marques semi-figuratives ainsi exploitées diffèrent de la marque figurative telle qu'enregistrée, par des éléments, en particulier les éléments verbaux, qui en altèrent le caractère distinctif exclusivement lié au motif de toile « goyardine ».
Les marques semi-figuratives de la société défenderesse doivent être annulées. Elles comportent les éléments verbaux « Fauré Le Page » et « Paris 1717 », cette mention évoquant le lieu historique et la date de création de l'entreprise Fauré Le Page au XVIIIe siècle, cette perception étant renforcée par les typographies anciennes utilisées. Il est cependant démontré que l’activité d'achat et de vente d'armes de cette société s'est arrêtée en 1992, la société ayant été dissoute et transférée à titre universel à une société tierce dont il n'est pas justifié qu'elle ait continué la même activité. La société défenderesse, cessionnaire de la marque Fauré Le Page, n'a pas repris, ni continué l'activité de la Maison Fauré Le Page, ni celle de la société cédante. En conséquence, ces marques sont de nature à tromper le public en créant un risque de confusion sur l'origine des produits visés à l'enregistrement, en lui laissant croire qu'ils proviennent d'une société ancienne de plusieurs siècles, ce qui est un gage de savoir-faire, de qualité et de sérieux pour le consommateur de ces produits, le risque de tromperie étant ainsi suffisamment établi.
Par ailleurs, les faits de concurrence déloyale résultant de pratiques commerciales trompeuses sont également caractérisés. En effet, la seule cession de la marque FAURE LE PAGE ne permet pas à son acquéreur de se présenter comme le successeur ou l'héritier direct d'une entreprise créée en 1716, ni de se prévaloir d'une tradition liée à un savoir-faire alors que l'activité actuelle de maroquinerie de luxe est très éloignée de celle de vente d'armes qu'exerçait la Maison Fauré Le Page. Les sociétés défenderesses ont ainsi trompé le consommateur sur un élément susceptible d'altérer de manière substantielle son comportement économique en l'amenant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 23 novembre 2021, 20/08095 (M20210280)
Goyard St-Honoré SAS c. Fauré Le Page Maroquinier SAS et Fauré Le Page Paris SAS
(Infirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 janv. 2015, 12/14871, M20150056 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 4 oct. 2016, 15/04193, M20160453 ; Cass. com., 27 juin 2018, 16-27.856, M20180258, PIBD 2018, 1100, III-554 ; D IP/IT, 12, 2018, p. 692, note de K. Disdier-Mikus et H. Miereanu ; Propr. intell., 70, janv. 2019, p. 48, p. 54, notes de J. Canlorbe).
[1] CJCE, 11 mars 2003, Ansul BV, C-40/01 (M20030458 ; D. aff., 39, 6 nov. 2003, p. 2691, note de S. Durrande ; Propr. intell., 9, oct. 2003, p. 429, note de G. Bonet ; Propr. industr., 2003, comm. 43, A. Folliard-Monguiral). Sur l’application de cet arrêt, voir notamment : CA Rennes , 3e ch. com., 15 juin 2021, Gilles D, Laser Force SARL et al. c. France Hayon Service SAS, 19/00919 (M20210143 ; PIBD 2021, 1168-III-6) ; Cass. com, 11 janv. 2017, Denty SAS c. Les Amis de Delage, 15-17.332 (M20170010 ; PIBD 2017, 1066, III-138 ; D IP/IT, mai 2017, p. 281, note de C. Le Goffic ; CJUE, 4e ch., 22 oct. 2020, Ferrari SpA c. Du, C-720/18 et C-721/18 (M20200235 ; PIBD 2020, 1149, III-3 ; Propr. industr., déc. 2020, comm. 68, note d’A. Folliard-Monguiral)
[2] CJUE, 3e ch., 25 oct. 2012, Bernhard R , C-553/11 (M20120525 ; PIBD 2012, 973, III-779 ; Propr. industr., déc. 2012, p. 23, note d’A. Folliard-Monguiral ; Europe, déc. 2012, p. 33, note de L. Idot ; Comm. com. électr., déc. 2012, p. 22, note de C. Caron ; RLDA, 78, janv. 2013, p. 23, note de J. de Romanet ; Propr. industr., janv. 2014, p. 8, note de J. Passa). La solution de cet arrêt a été réaffirmée par : CJUE, 5e ch., 18 avr. 2013, Colloseum Holding AG, C-12/12 (M20130238 ; PIBD 2013, 986, III-1245 ; JCP G, 18, 29 avr. 2013, p. 881, note de F. Picod ; Propr. industr., 7-8, juill.-août 2013, p. 31, note d'A. Folliard-Monguiral ; Europe, 6, juin 2013, p. 36, note de L. Idot ; Propr. industr., janv. 2014, p. 8, note de J. Passa).