Jurisprudence
Marques

Actes de contrefaçon commis sur un stand de marché aux puces - Responsabilité du propriétaire du stand en tant qu’intermédiaire

PIBD 1207-III-6
CA Paris, 8 mars 2023

Validité des constats d'achat (oui) - 1) Identification de la personne assistant l'huissier - Indépendance du tiers acheteur - Droit à un procès équitable - Droit à la preuve - Droit de l’UE - 2) Lieu du constat - Erreur matérielle

Contrefaçon de marque (oui) - Preuve - Reproduction - Responsabilité (oui) - 1) Exploitant du fonds de commerce - Faits postérieurs à la radiation de la société titulaire du bail - Faute personnelle - 2) Propriétaire du fonds de commerce - Qualité d’intermédiaire - Droit de l'UE

Préjudice - 1) Réparation par l’exploitant du fonds de commerce - Durée des actes incriminés - Masse contrefaisante - Qualité inférieure - Atteinte au pouvoir distinctif - Banalisation - Préjudice moral - 2) Réparation par le propriétaire - Injonction sous astreinte - Dommages-intérêts - Condamnation in solidum (non)

Texte
Marque figurative française « 4 G » n° 3 684 033 au nom de la société Givenchy
Marque figurative française n° 3 199 970 au nom de la société Lacoste
Marque figurative française n°1 533 029 au nom de la société Nike Innovate CV
Texte

L’offre en vente et la vente, sur un stand du marché aux puces de Saint-Ouen, de produits revêtus des marques verbales, figuratives et semi-figuratives invoquées constituent des actes de contrefaçon. Les produits, saisis à l'occasion des constats d'achat successifs[1], ont fait l’objet d’une d’une analyse formalisée par les titulaires des marques. Les signes invoqués sont reproduits sur ces produits qui ne correspondent pas aux standards des marques en cause, étant de qualité très inférieure aux produits authentiques et vendus en vrac sur un marché en dehors des circuits de distribution habituels de ces marques, à des prix très inférieurs à ceux auxquels les sociétés titulaires commercialisent leurs produits.

Ces faits sont imputables au commerçant qui exploite le stand en cause. La dissolution et la radiation de la société dont il était le gérant, qui était titulaire du bail, est sans effet sur sa responsabilité, qui est recherchée à titre personnel. Il s’agit d'actes de contrefaçon répétés, qui lui sont imputables personnellement au regard des avertissements reçus et qui sont séparables de ses fonctions de gérant. Après la dissolution et la radiation de cette société ainsi que la dénonciation du bail par son gérant, un nouveau bail a été conclu avec une personne qui apparaît, sans contestations sérieuses, comme un prête-nom pour poursuivre l’activité contrefaisante. Ainsi, il convient de retenir l'implication du gérant dans la persistance de l'exploitation litigieuse du commerce dans les mêmes conditions. Par conséquent, sa responsabilité personnelle est également retenue pour les faits postérieurs à la radiation de sa société.

Le propriétaire du stand, qui loue celui-ci à un commerçant proposant à la vente des marchandises contrefaisant des marques, a la qualité d’intermédiaire, au sens des articles 9.1° a) et 11 de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et de l'article L. 716-4-6 du CPI, issu de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 qui a transposé cette directive.

En application de la directive précitée, des injonctions peuvent être prononcées à l’encontre de l’intermédiaire. À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne[2] a notamment dit que « l'article 11, 3e phrase, de la directive 2004/48/CE […] doit être interprété en ce sens qu'il exige des États membres d'assurer que les juridictions nationales compétentes en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle puissent enjoindre à l'exploitant d'une place de marché en ligne de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par des utilisateurs de cette place de marché, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature. Ces injonctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et ne doivent pas créer d'obstacles au commerce légitime ».

En première instance, le propriétaire bailleur a été reconnu responsable des dommages causés aux titulaires des marques par son locataire actuel et le jugement lui était opposable. Sa responsabilité a été retenue in solidum avec le contrefacteur dans l’hypothèse où il ne procéderait pas à la résiliation du bail et à l’éviction du locataire.

L’injonction de procéder à la résiliation du contrat de bail commercial le liant à son locataire contrefacteur, dans un délai raisonnable, constitue une mesure adaptée car elle assure un juste équilibre entre la protection des droits de propriété intellectuelle des titulaires des marques, sans être une mesure excessivement coûteuse ni générer d'obstacles au commerce légitime, le bailleur ayant été avisé des faits litigieux à plusieurs reprises et incité à agir. L'injonction ne le prive pas de ses droits de propriété et de sa liberté de choisir un nouveau locataire, mais a pour seul but de mettre fin aux faits délictueux en cause.

Par ailleurs, une injonction qui n’est assortie d’aucune sanction ne constitue plus une mesure effective et dissuasive. Le propriétaire justifie avoir adressé plusieurs mises en demeure à ses locataires successifs afin de faire cesser les faits litigieux, puis avoir fait délivrer au nouveau locataire une assignation en résiliation de son bail commercial antérieurement à la plaidoirie en première instance, le bail ayant effectivement été résilié. Toutefois, il a manifestement tardé à révéler l'identité de son locataire malgré plusieurs relances des titulaires des marques et ne l’a fait qu'une fois que la société du défendeur a été radiée. Il a dû ensuite être enjoint par le juge des référés[3] de produire le contrat de bail en cause et de justifier de toute mesure à l'encontre de son locataire propre à empêcher la poursuite des actes argués de contrefaçon et a pourtant reloué le local à un proche de son ancien locataire. Il a enfin contesté vivement les faits de contrefaçon en première instance.

Au vu de ce comportement, qui ne se limite pas à la seule défense légitime de ses intérêts, il convient de considérer que l'injonction de procéder à la résiliation du bail conclu avec le locataire actuel doit être accompagnée d'une mesure à caractère dissuasif pour s'assurer de son effectivité, une première injonction prononcée par le juge des référés n'ayant manifestement pas produit ses effets au vu de la persistance des faits de contrefaçon. Néanmoins, au cas présent, le bailleur ne peut être assimilé au contrefacteur et être tenu solidairement au paiement des condamnations prononcées à son encontre. Cette sanction apparaît disproportionnée parce que punitive et non seulement dissuasive, cet effet ayant vocation à être assuré par le prononcé d'une astreinte.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 8 mars 2023, 21/09769 (M20230034)
Jean-Pierre A c. Kamel B, Nike Innovate CV, Givenchy SA et al.
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 6 avr. 2021, 19/14801 ; M20210329)

[1] La présente cour d’appel de Paris a jugé que les procès-verbaux de constat d’huissier sont valables, dès lors que les tiers acheteurs sont clairement identifiés et indépendants de la partie requérante. Dans une autre affaire, un tribunal judiciaire a dit qu’un constat d'achat, réalisé par l'huissier avec l'aide d'un tiers acheteur, qui est un professionnel spécialisé dans les investigations en matière de propriété industrielle et qui a été rémunéré spécifiquement pour cette tâche par le requérant, était valable (TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 25 oct. 2022, Intellectual Ventures I LLC c. Société Française du Radiotéléphone SA, 16/16345 ; B20220083 ; PIBD 2023, 1196-III-1). Un panorama des décisions traitant de la question de l’indépendance du tiers qui assiste l’huissier pour réaliser un constat d’achat a été dressé dans la note de Cécile Martin publiée dans PIBD sous : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 6 avr. 2022, Rimowa GmbH c. HP Design et al., 20/17307 (D20220028 ; PIBD 2022, 1190-III-8 ; L'Essentiel, juin 2022, p. 7, note de J.-P. Clavier).

[2] CJUE, gde ch., 12 juill. 2011, L’Oréal SA, C-324/09 (M20110535 ; PIBD 2011, 952, III-718 ; RLDI, 74, août-sept. 2011, p. 31, note de L. Costes et M. Trézéguet ; JCP E, 40, 6 oct. 2011, p. 5, note de C. Caron ; RLDA, 63, sept. 2011, p. 19, note de I. D. Mpindi ; Gaz. Pal., 299-300, 26-27 oct. 2011, p. 19, note de L. Marino ; Comm. com. électr., nov. 2011, p. 33, note de C. Caron ; Légipresse, 288, nov. 2011, p. 638, note d'A. Bouvel ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 4, N. Bouche). Voir également : CJUE, 2e ch., 7 juill. 2016, Tommy Hilfiger Licensing LLC, C-494/15 (M20160310 ; PIBD 2016, 1055, III-655 ; Propr. industr., sept. 2016, p. 29, note d'A. Folliard-Monguiral ; Comm. com. électr, sept. 2016, p. 27, note de C. Caron ; Gaz. Pal., 37, 25 oct.2016, p. 22, note de L. Marino).

[3] Dans cette affaire, le juge des référés avait constaté l’existence d’atteintes vraisemblables aux droits de marque et fait droit aux demandes de mesures provisoires dirigées contre le commerçant qui exploite le stand sur lequel sont vendus les produits incriminés. Il avait également été demandé au propriétaire du stand, en sa qualité d’intermédiaire, de communiquer sous astreinte le contrat de bail et de justifier de mesures prises contre son locataire pour empêcher la poursuite des actes argués de contrefaçon. Une note de Madeleine Bigoy fait le point sur la jurisprudence française concernant une demande de mesures provisoires formée à l’encontre d’un intermédiaire dont le prétendu contrefacteur utilise les services, à l’occasion de la parution de cette décision dans PIBD : TGI Paris, ord. réf., 18 nov. 2019, 19/57403 (M20190368 ; PIBD 2020, 1138, III-4 ; Propr. industr., 7-8, juill. 2020, comm. 43, note de P. Tréfigny).