Jurisprudence
Marques

Qualification d’hébergeur de l'exploitant d’une plateforme en ligne - Détermination du rôle actif

PIBD 1207-III-4
Cass. com., 13 avril 2023

Responsabilité de l’exploitant d'une plateforme en ligne - Contrefaçon de marques et de droits d’auteur - Concurrence déloyale - Régime exonératoire de responsabilité - Qualité d’hébergeur - Rôle actif - Services de livraison et de fabrication des produits - Droit de l’UE

Texte
Marque n° 011 543 857 de la société Sprd.net
Texte

Aux termes de l'article 6-I-2 de la loi n° 575-2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), les hébergeurs ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des données qu’ils stockent s’ils n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.

Conformément à deux arrêts de principe de la Cour de justice de l’Union européenne interprétant l'article 14, § 1 de la directive 2000/31/CE - dont l’article 6-I-2 de la LCEN constitue la transposition en droit français - le rôle actif de l’hébergeur peut être retenu quand un prestataire de services prête une assistance consistant à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci[1], les dérogations en matière de responsabilité prévues par la directive ne couvrant que les cas où l'activité du prestataire de services revêt un caractère « purement technique, automatique et passif », impliquant que le prestataire « n'a pas la connaissance ni le contrôle des données transmises ou stockées »[2].

La cour d’appel a rejeté les demandes en contrefaçon des marques Spreadshirt et de droits d'auteur, ainsi qu'en concurrence déloyale, formées par une société spécialisée dans le commerce de vêtements et d'accessoires personnalisés à la demande sur sa plate-forme. Elle a en effet reconnu la qualité d’hébergeur de données, au sens de l'article 6-I-2° de la LCEN, à la société défenderesse qui propose à la vente des vêtements et des accessoires sur son site internet et permet à des créateurs de mettre en ligne leurs créations en vue d’une reproduction sur des produits textiles ou des accessoires de leur choix.

Elle a relevé que le créateur met seul en ligne sa création sur le site internet, pendant une durée et à un prix qu'il fixe lui-même, moyennant un objectif de souscription qu'il détermine, et qu'il peut organiser lui-même la promotion de son produit. Elle a retenu que la circonstance que le site offre également au créateur un support technique pour « créer votre design en un clic », qu'il publie des articles concernant des astuces à caractère général par pays pour l'aider dans la préparation d'une campagne et mette à sa disposition un service logistique de fabrication et de livraison des produits avec pour corollaire l'autorisation, donnée par le créateur à la société défenderesse, de reproduire son œuvre, et pour l'acheteur les garanties y afférentes, ne suffit pas à caractériser le rôle actif de la société défenderesse, de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives aux créations mises en ligne sur le site et au contenu de la « description de la campagne » qui les accompagne. Elle en a déduit que le rôle exercé par la société défenderesse était neutre, en ce que son comportement était purement technique, automatique et passif, impliquant l'absence de connaissance ou de contrôle des données qu'elle stockait.

En statuant ainsi, au regard de la seule mise en ligne des propositions de création, alors qu'elle avait relevé que la société défenderesse offrait au créateur un service logistique de fabrication et livraison des produits en contrepartie de l'autorisation de reproduction de son œuvre et à l'acheteur les garanties y afférentes, ce dont il s'inférait que cette société n'occupait pas une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels mais avait un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 6-I-2° de la LCEN.

Cour de cassation, ch. com., 13 avril 2023, 21-20.252 (M20230068)[3]
Sprd.net AG c. Teezily SAS, BTSG2 SCP et BL & Associés
(Cassation partielle CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 mai 2021, 19/18143)

[1] CJUE, gde ch., 12 juill. 2011, L’Oréal SA et al., C‑324/09 ; M20110535 ; PIBD 2011, 952, III-718 ; Comm. com. électr., nov. 2011, p. 33, note de C. Caron ; Légipresse, 288, nov. 2011, p. 638, note d'A. Bouvel ; Propr. industr., oct. 2011, comm. 71, A. Folliard-Monguiral.

[2] CJUE, gde ch., 23 mars 2010, Google France SARL et al., C-236/08, C-237/08 et C-238/08 ; M20100169 ; PIBD 2010, 918, III-296 ; Comm. com. électr., sept. 2010, p. 40-, P. Stoffel-Munck ; Légipresse, 274, juill.-août 2010, p. 158, C. Maréchal ; RJDA, juill. 2010, p. 750 ; Comm. com. électr., 7-8, juill.-août 2010, p. 23, C. Caron ; Propr. industr., juin 2010, p. 43, J. Larrieu ; Propr. industr., juin 2010, p. 28, A. Folliard-Monguiral ; Europe, mai 2010, p. 37, L. Idot ; Propr. industr., mai 2010, p. 58, P. Tréfigny-Goy.

[3] A rapprocher de : TJ Marseille, 1re ch. civ., 15 sept. 2022, M. X c. M. Y & Art Majeur (www.legalis.net). Voir également, à propos de la mise en cause de la responsabilité d’exploitants de places de marché en ligne, en raison de contenus portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou à un réseau de distribution sélective : CJUE, gde ch., 22 déc. 2022, Christian L c. Amazon Europe Core SARL et al., C-184/21 et C-184/21 (M20220330 ; PIBD 2023, 1200-III-1 ; Comm. com. électr., févr. 2023, comm. 8, P. Kamina ; Europe, févr. 2023, comm. 73, P. Bruyas ; Propr. industr., févr. 2023, comm. 8, A. Folliard-Monguiral) ; CA Paris, pôle 1, 2e ch., 1er juill. 2021, Ebay Marketplaces GmbH c. Beauté Prestige International Shiseido EMEA SASU, 20/17234 (M20210178 ; PIBD 2021, 1170-III-6) ; CA Paris, pôle 1, 3e ch., 30 juin 2021, Amazon Europe Core et al. c. Beauté Prestige International SA, 20/11968 (P20210064) ; TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 10 janv. 2020, Lafuma Mobilier SAS c. Alibaba et. al., 18/00171 (M20200090 ; PIBD 2020, 1138, III-3 ; Expertises, 456, avr. 2020, p. 133) ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 28 juin 2019, Jansport Apparel Corp. c. Cdiscount ; www.legalis.net) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 25 janv. 2019, Alibaba France et. al. c. Lafuma Mobilier SAS, 17/22056 (M20190020, PIBD 2019, 1116, III-230, avec une note de C. Martin effectuant un topo sur les décisions rendues à sujet).