Validité de la marque semi-figurative (oui) - Caractère distinctif - Désignation générique - Caractère descriptif - Provenance géographique - Caractère déceptif
Contrefaçon de la marque semi-figurative (oui) - Imitation - Similitude visuelle - Mot identique - Suppression de l’accent - Différence insignifiante - Élément distinctif et dominant - Adjonction d’un mot final et d’un dessin - Éléments faiblement distinctifs - Similitude phonétique - Similitude intellectuelle - Caractère évocateur - Risque de confusion et d'association - Exception - Signe dépourvu de distinctivité ou se rapportant à une caractéristique des produits ou services
Préjudice moral - Banalisation de la marque
La demande en nullité de la marque semi-figurative pokaï, qui désigne notamment les plats préparés et cuisinés à base de poisson ou de sushi ainsi que les services de restauration, est rejetée.
Les deux articles de presse fournis par la société poursuivie en contrefaçon, à titre de preuve de l’absence de caractère distinctif de la marque, font état de l'engouement pour un nouveau plat d'origine hawaïenne dénommé « poke bowl », composé de cubes de poisson cru marinés. Toutefois, ils ne font pas référence à la plage d'Hawaï dénommée « Pokaï » et ne mentionnent pas davantage cette dénomination pour désigner une spécialité culinaire, quand bien même l'un des articles précise que le terme « poke » se prononce « pokaï ». Il n'est donc pas établi que le terme « pokaï » était, à la date du dépôt de la marque, connu du public d’attention moyenne (auquel il convient de se référer s'agissant des produits alimentaires et services de restauration en cause) pour désigner un plat d'origine hawaïenne.
En conséquence, outre que la dénomination « pokaï » est déposée sous une forme semi-figurative lui conférant un caractère arbitraire, la société poursuivie échoue à démontrer que la dénomination « pokaï » constitue la désignation générique d'un plat hawaïen ou peut servir à désigner une caractéristique ou la provenance géographique des produits ou services visés. De plus, elle ne démontre pas le caractère trompeur de la dénomination pour les produits alimentaires visés au dépôt qui n'entrent pas dans la composition du « poke bowl ».
L'usage, par la société poursuivie, de la dénomination « pokai » ou « pokai bowl » à titre de dénomination sociale, nom commercial et enseigne, dans le cadre d’une activité de restauration rapide sur place et à emporter, ou bien pour désigner des produits alimentaires et des services de restauration, caractérise la contrefaçon par imitation de la marque pokaï.
Visuellement, les signes en conflit ont en commun une dénomination identique, l'absence du tréma sur le « i » dans les dénominations contestées étant insignifiante. Le mot « pokaï » est représenté dans la marque selon un graphisme particulier, la forme du « p » pouvant évoquer un poisson. Néanmoins, ce graphisme ne lui fait pas perdre son caractère arbitraire et dominant, le public visé retenant principalement l'élément verbal qui pourra, seul, être prononcé. De même, l'adjonction, dans les signes contestés, du vocable « bowl » – inscrit en plus petits caractères – et de la représentation d'un bol avec des baguettes, éléments peu distinctifs s'agissant de spécialités japonaises, n’est pas suffisante pour ôter au terme « pokai » son caractère arbitraire et dominant. Ce terme présente en effet un caractère arbitraire pour désigner des « poke bowl » ou des services de restauration rapide spécialisés, aucun élément n'étant de nature à démontrer qu'il est compris par le public comme désignant un « poke bowl », un sondage révélant au contraire qu’il n’évoque rien pour 86 % des personnes interrogées.
Sur le plan conceptuel, les signes en litige sont composés du mot « pokai » sans signification particulière. Et pour les consommateurs qui pourraient comprendre ce vocable comme évoquant le « poke bowl », ils auront la même signification.
Il en résulte que les similitudes visuelles et phonétiques, voire conceptuelles, sont suffisantes pour caractériser un risque de confusion ou d'association dans l'esprit du public – soit le consommateur d'attention moyenne, s'agissant de produits et services de consommation courante que sont les plats japonais et les services de restauration rapide –, celui-ci étant susceptible de rattacher la marque et les signes contestés à une même entreprise ou à des entreprises économiquement liées, d'autant que les signes en litige sont utilisés pour désigner des produits et services identiques.
La société poursuivie, qui soutient qu’elle utilise le mot « pokai », évocateur selon elle du « poke bowl », dans son sens habituel, demande l’application des dispositions de l'article L. 713-6, I, 2° du CPI selon lesquelles le titulaire de la marque ne peut interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce « de signes ou d’indications qui sont dépourvus de caractère distinctif ou qui se rapportent à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci »[1]. Cependant, elle ne peut pas être suivie dans sa démonstration, aucun élément fourni ne venant démontrer que le mot « pokai » est dépourvu de caractère distinctif ou est descriptif.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 31 mars 2023, 21/15179 (M20230056)
Pok'Bowl SARL (anciennement dénommée Pokai) c. Sushi Shop Management SAS
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 20 mai 2021, 19/14193)
Les juges du fond se sont déjà prononcés sur la question du caractère distinctif d’une marque constituée du nom d’une spécialité culinaire, pour désigner divers produits alimentaires.
Récemment, la cour d’appel de Paris[2], statuant sur renvoi après cassation, a jugé que les marques française et de l'Union européenne GARUM - qui est le nom savant d'un extrait de viscères de poisson hydrolisé par autolyse puis séché - étaient distinctives pour désigner notamment les produits pharmaceutiques, les produits diététiques pour enfants et malades ainsi que le poisson. Elle a estimé qu’il n’était pas établi qu’aux dates de dépôt des marques, le public pertinent – soit le grand public ou les professionnels de la santé – percevait celles-ci comme descriptives des produits en cause ou de l’une de leurs caractéristiques. Elle a relevé que le terme « garum » n’était plus utilisé depuis l’Antiquité, sauf par les historiens ou les latinistes. Ainsi, les ouvrages ou éléments très spécialisés citant le « garum », non destinés au grand public, ne permettaient pas d’établir un usage courant de ce terme aux dates de dépôts des marques. Par ailleurs, elle a souligné que le consommateur moyen ne comprend pas le latin. Enfin, il résultait d’un sondage réalisé auprès du grand public que très peu des consommateurs connaissent le sens du mot « garum ».
La première cour d’appel avait annulé les marques en cause après avoir notamment considéré que les produits comestibles qu'elles visaient s'adressaient aussi à des professionnels de préparations de compléments alimentaires, soit un public ayant une certaine connaissance des termes latins utilisés dans leur domaine d'intervention. Elle avait également retenu qu'en matière de produits pharmaceutiques, diététiques et alimentaires, une partie du public était composée de consommateurs développant un intérêt particulier pour ce domaine et montrant une attention particulière, s'agissant de produits liés à la santé et à l'alimentation. Elle a été sanctionnée par la Cour de cassation, ces motifs ne permettant pas d’établir qu'aux dates de dépôt des marques, les milieux intéressés, qui, à la date de l’étude de notoriété, ignoraient dans leur grande majorité le sens du mot « garum », percevaient cette marque comme descriptive des produits en cause ou de l'une de leurs caractéristiques, ou qu'il était raisonnable d'envisager que cela soit le cas dans l'avenir.
Il est intéressant de noter que la marque de l'Union européenne GARUM avait été, dans un premier temps, refusée à l’enregistrement par l'OHMI sur le fondement de l’article 7, § 1, b) du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, pour absence de caractère distinctif pour désigner du poisson et des conserves de poisson. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes [3] a annulé la décision de la chambre de recours qui avait rejeté le recours contre cette décision de refus d’enregistrement. Il a jugé que la marque était distinctive au regard des produits alimentaires concernés. Ainsi, il a estimé qu’il n’était pas établi, d’une part, que le public pertinent (le consommateur moyen et le public spécialisé et professionnel de la restauration) associe au terme « garum » un produit particulier ou des caractéristiques de produits concrètes et, d’autre part, que ce public ne sera pas en mesure de distinguer les produits à base de poisson ou les conserves de poisson portant la marque GARUM d’autres produits.
Dans une autre affaire, la cour d’appel de Fort-de-France[4] a jugé que la marque verbale DOUCELETTE, déposée pour désigner notamment les « gelées, confitures, compotes », ne présentait pas de caractère distinctif dès lors qu’elle constituait la dénomination usuelle d'une confiserie antillaise. Elle a relevé que de nombreux ouvrages et sites internet, à vocation culinaire ou touristique, montraient que la « doucelette » était une confiserie des Antilles, à base de sucre de canne, de lait de coco et de lait concentré sucré, qui faisait partie du patrimoine culinaire français et créole depuis le début du vingtième siècle. Elle a également souligné que la spécialité était vendue sous ce nom par différents producteurs et était présentée au Salon de la gastronomie des Outre-mer comme une douceur typique de la Caraïbe que tous les Antillais connaissent. Elle en a conclu qu’il était ainsi démontré que cette confiserie était communément, usuellement et depuis longtemps, dénommée « doucelette », même si le terme ne figure pas dans certains dictionnaires de langue, ces derniers ne comprenant pas tous les mots de la langue française et pouvant omettre ceux dont l'usage est insuffisamment généralisé. S’agissant de la marque semi-figurative associant cette dénomination présentée dans une mise en forme, une police et une couleur particulières, à un graphisme composé d’une demi-noix de coco, de fragments de cette noix et de feuilles de cocotier, la cour d’appel a toutefois jugé qu’elle était valable, son caractère complexe et recherché étant de nature à lui conférer un caractère distinctif.
Dans une affaire plus ancienne, la cour d’appel de Paris[5] a rejeté le recours contre la décision du directeur général de l’INPI de refus d’enregistrement, à titre de marque, du signe verbal « Mhajeb » (se prononçant indifféremment M'hadjeb, Mhadjeb, Mhadjab, M'hadjab) pour désigner des crêpes, galettes feuilletées fourrées, de la farine et des préparations faites de céréales. L'INPI avait notamment estimé que le signe Mhajeb, sous ses diverses prononciations possibles, était descriptif pour désigner ces produits dont il indiquait l'une des caractéristiques, à savoir la nature ou la destination, et n'était pas apte, en conséquence, à satisfaire à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits marqués. La cour a souligné qu’il était d'usage de conserver, pour désigner les spécialités culinaires étrangères, la dénomination utilisée dans le pays d'origine (ex. pizza, sushi, hamburger, muffin, tacos) de sorte que, même si une telle dénomination, issue d'une langue étrangère, n'était pas connue ou n'était pas comprise d'une partie significative du public, elle constituait, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire de la spécialité culinaire concernée. Elle a jugé qu’en l'espèce, tant pour le consommateur que pour le professionnel de la restauration ou de la pâtisserie, seul le mot en langue arabe « mhajeb » était à même de décrire explicitement et spécifiquement la recette de crêpe fourrée telle que confectionnée dans les pays d'Afrique du Nord dont elle est originaire. Il s'ensuivait que l'appropriation du terme « mhajeb » à titre de marque était de nature à faire obstacle à l'activité concurrente des opérateurs économiques exerçant dans le même segment de marché, en leur interdisant l'usage d'un terme nécessaire pour le déploiement de leur activité.
[1] L’exception invoquée a été ajoutée dans l’article L. 713-6 du CPI par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 qui a transposé, en droit français, la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015. Elle figurait déjà, mais seulement pour l'usage de signes descriptifs, au point 1, b) de l’article 6 de la directive 2008/95/CE ainsi qu'à l'article 12, b) du règlement (CE) n° 207/2009, relatifs à la limitation des effets de la marque. Selon ces dispositions, le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, « d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci ».
[2] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, Compagnie Générale de Diététique SAS c. Clavis SRL, 22/00297 (M20230077 ; PIBD 2023, 1208-III-5) ; Cass. com., 23 juin 2021, Compagnie Générale de Diététique SAS c. Clavis SRL, 18-20.170 (M20210151 ; PIBD 2021, 1166, III-4 ; L'Essentiel, oct. 2021, p. 5, S. Chatry ; RTD Com., 4, oct.-déc. 2021, p. 789, J. Passa) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 12 déc. 2017, 16/03473 (M20170529 ; PIBD 2018, 1088, III-131 ; LPA, 105, 25 mai 2018, p. 16, P. Mouron).
[3] TPICE, 3e ch., 12 mars 2008, Compagnie Générale de Diététique SAS c. OHMI, T-341/06.
[4] CA Fort-de-France, ch. civ, 9 avr. 2019, Marcel R c. Denel Confitures et al., 17/00093 (M20190104 ; PIBD 2019, 1118, III-310).
[5] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 sept. 2013, Asia Food Co SAS c. INPI, 13/03904 (M20130491 ; PIBD 2013, 995, III-1598).